L’Étrange Festival 2014 — Palmarès & autres bagatelles

© FredMJG/EF 2014

This is the end.  Le dernier jour de L’Etrange Festival a toujours un goût de pas assez mais cette année, nous avons été particulièrement gâtés (ou j’ai fait les bons choix, ce qui revient au même).

The dark valley de Andreas Prochaska est un western allemand, certes, mais qui n’a que peu à voir avec la série des Winnetou réalisée par Harald Reinl ou Alfred Vorherr qui voyait notre Pierre Brice national se grimer en indien pacifiste. Bénéficiant d’un Sam Riley ténébreux, The dark valley est un western crépusculaire et glacial, un revenge movie mâtiné de libération des femmes emprisonnées dans les montagnes enneigées du Tyrol. Le héros, photographe à ses heures, se damne certes mais débarrasse toute une communauté du joug d’un ogre priapique. Espérons que le film de Andreas Prochaska bénéficiera d’une sortie nationale, tout comme le danois The salvation auréolé de la présence de Mads Mikkelsen, le bad guy interprété ici par Tobias Moretti étant bien moins grimaçant et de fait, plus inquiétant, que l’affreux Jeffrey Dean Morgan.

Godfrey Reggio est venu présenter son dernier né, Visitors, dont la vision enchanteresse nous poursuit longtemps après le générique de fin. Il s’est ensuite abondamment étendu sur son travail, ses diverses collaborations et a rendu hommage à toute l’équipe qui l’accompagne dans ses périples. Filmé dans un superbe noir et blanc des plus veloutés, les visages et les regards des « visiteurs » qu’ils soient animaux ou humains nous happent dès l’ouverture pour ne plus nous quitter (l’heure et demie passe comme un charme et il est amusant de noter que si nous les contemplons, ces figures ne nous regardent pas), que la grandeur humaine ou le gâchis décadent envahissent l’écran, avec cette même suprême beauté qui fait la force du long travail qu’a entrepris Godfrey Reggio depuis 1983 avec la réalisation de Koyaanisqatsi. Philip Glass est à nouveau de l’aventure et il est essentiel, pour que l’œuvre offre sa pleine mesure, qu’elle soit distribuée et de fait, projetée/vue sur grand écran.

The world of Kanako de Tetsuya Nakashima © GAGA

Enfin, ce fut le moment du palmarès et Marjane Satrapi, jointe en duplex, laissa éclater sa joie. Après avoir bien ri avec les deux courts-métrages primés, The world of Kanako de Tetsuya Nakashima, film de clôture ô combien frappadingue, nous secoua par tous les pores. Après le fascinant Confessions, où déjà une institutrice torturée par la perte de sa fille était aux prises avec des écolières désaxées, le réalisateur poursuit son auscultation de la jeunesse nipponne en perte de repères. Kanako (Nana Komatsu) a disparu. Sous ses airs angéliques, l’étudiante se révèle, à mesure des découvertes de son paternel, ex-flic borderline aux humeurs de psychopathe (A noter une interprétation de haut vol par ce cinglé de Kōji Yakusho, bigger than life, monstrueusement décadent et définitivement passé du côté obscur), en Mata-Hari détraquée. Dans un monde devenu dingue où la police elle-même en croque et pervertit la jeunesse, la folie guette à chaque plan d’une violence implacable et à la réalisation popissime, très clippée et baignée d’une musique ad-hoc. Ce portrait d’une enfant déchue, tour à tour mutine et bourreau (des cœurs et des corps), restera dans les annales nippones. The world of Kanako est un film monstre, rejeton goguenard d’un Takeshi Miike sous acide mâtiné d’insolence et d’exagération cartoonesque. Pour preuve, ces flics increvables aux allures de croquemitaines et ce père au parfum incestueux qui éructe, hurle, viole, vocifère et refuse lui-aussi de mourir avant d’avoir retrouvé la chair de sa chair, cette erreur qu’il a engendré. Jamais monde de jeunes filles kawais ne fut si obscur, ni psyché paternelle plus torturée. Le film a reçu un accueil triomphal au Japon, espérons donc qu’il sorte sur les écrans français.

Palmarès

Prix Nouveau Genre Canal+ & Prix du public

© Le Pacte
© Le Pacte

The voices de Marjane Satrapi, que j’ai raté pour cause de présence saugrenue de Ryan JeJoueTresBienLEndive Reynolds. La  sortie du film est prévue pour le 15 mars 2015. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler.

Court métrage — Prix du jury

© Topkapi Films
© Topkapi Films

Pony Place de Joost Reijmers_2013

Cette charmante comédie qui voit des grands-parents accepter à contre-cœur de s’occuper de la ferme virtuelle de leur petite-fille et perdre peu à peu la boule au fur et à mesure que les chevaux rendent l’âme l’un après l’autre pour cause de mauvais traitements a donc eu les faveurs du Jury Nouveau genre.

Court métrage — Prix du public

© Fortress Features
© Fortress Features

Sequence de Carles Torrens_2013

Le public, manifestement, préfère le gore, puisque Sequence, qui nous conte l’aventure extraordinaire d’un homme en bute à toute la population de son quartier qui a méchamment rêvé de lui la nuit précédente, en contient une sacrément screugneugneu, extrêmement drolatique, franc hommage à Society de Brian Yuzna réalisé en 1989.
 
Comme d’habitude, il y eut un poil de déception [Open windows de Nacho Vigalondo ou Arcana de Yoshitaka Yamaguchi], quelques frustrations [Killers/Kirazu de Mo Brother, I number number de Donovan Marsh, Hyena de Gerard Johnson ou CUB de Jonas Govaerts] et beaucoup d’excitation [l’insubmersible Retour de flammes et entre autres, It follows de David Robert Mitchell, La casa del fin de los tiempos de Alejandro Hidalgo, Tokyo tribe de Sono Sion,  A girl walks alone at night de Ana Lily Amirpour, Moebius de Kim Ki-Duk, The tribe de Myroslav Slaboshpytskiy, pour finir en beauté avec le film de la clôture The world of Kanako de Tetsuya Nakashima dont je ne suis pas encore tout à fait remise].

Rendez-vous donc l’année prochaine !