Tam en modes Polar ou Godard, au choix. J’avale trois dolipranes pour contrer une migraine qui tente en loucedé de prendre le pouvoir et je file vaillamment au MK2 Bibliothèque.
Projection ce jour — en sus d’un polar, puis d’un téléfilm de Patrick Tam, réalisateur de The sword et décidément ahem… surprenant (et le terme est faible) et de la seconde réalisation d’Allen Fong — des deux derniers films de la compétition, à ne pas rater puisque demain est le grand jour des délibérations où nous allons sans doute discuter ardemment, éventuellement nous empoigner, tenter de nous corrompre,voire plus si affinités.

13h10. My heart is that eternal rose/Sha shou hu die meng de Patrick Tam_1989
avec Joey Wang, Tony Leung Chiu-wai, Kenny Bee, Michael Chan et Gordon Liu
Mélancolique ballade en mode rouge sang. Sous son titre de roman-photo, My heart is that eternal rose* camoufle un thriller de fameuse facture qui, s’il laisse la part belle à la tragédie amoureuse séparant dès le sanglant prologue deux jeunes inconstants qui s’interrogeaient alors sur leurs sentiments mutuels, se révèle d’une impudente cruauté tandis que le réalisateur ne dédaigne pas, en pleine romance, filmer des scènes de torture, voire un massacre généralisé sans autre forme de procès.
Séparés par un coquin de sort alors qu’ils venaient de se déclarer, Rick (Kenny Bee, belle gueule qu’il tire durant tout le film en un jeu des plus absents, était le neveu à marier de The spooky bunch d’Ann Hui) et Lap (la charmante Joey Wang, héroïne des Histoires de fantômes chinois), objet de tous les désirs, ne cesseront durant tout le film de se croiser et de se rater. Le couple semble être poursuivi par une éternelle malédiction depuis que Lap s’est vendue à un impitoyable parrain aux tifs gominés, Shen (interprété par l’ineffable Michael Chan Wai-Man, ici foncièrement réfrigérant), aux fins qu’il protège son père des foudres de la police après une malhonnête opération des plus foireuses.
Rick, exilé aux Philippines, n’a pas trouvé d’autre manière de subsister que d’embrasser la carrière de tueur à gages — Il est à noter que Chow Yun Fat connaissait le même destin dans Story of Woo viet d’Ann Hui, à croire que le pays n’offre pas d’autres recours aux réfugiés — tandis que Lap traine son spleen, tente d’empêcher son paternel rongé par la culpabilité de se détruire et, à son (beau) corps défendant, inspire violemment à deux hommes de tendres sentiments.
L’un, Cheung, garde du corps et confident — soit, mesdames, Tony In the mood for love Leung Chiu-wai qui, à 27 ans et doté d’un brushing aérodynamique échouant à masquer son charme (déjà) fou, emporte le morceau dans un rôle tout en sensibilité** — la couve et risquera sa vie à vouloir la sauver ; l’autre, Lai, est une immonde vermine d’un sadisme raffiné et là, c’est le drame capillaire, l’hallucination collective : Gordon Liu, notre moine shaolin préféré, joue les odieux avec un enthousiasme féroce et porte en cette fabuleuse occasion une satanée moumoute ! Aberration inouïe pour un film qui en compte plus d’une. Si Cheung subit un supplice pour protéger la belle, Lai, lui, n’hésitera pas à tenter de la violer dans l’évier, ce qui laisserait à penser que le gredin a regardé Liaison fatale en boucle.
Tandis que le film bénéficie d’un rythme infernal et que la question qui vient à toutes les lèvres est Saperlipopette mais qui diable, entre l’impassible Rick et le choupinet Cheung, Lap va-t-elle choisir désormais ?, Patrick Tam se soucie des retournements de situation comme d’une guigne — en plein suspense, le Shen bien marri d’être cocu n’hésite pas, avec tout le respect nécessaire dû aux anciens mais force menaces sous-jacentes, à inviter la mamie de Cheung à raisonner son chenapan de petit-fils pour qu’il se décide à rentrer dans le droit chemin de la triade — et s’avère bien peu enclin à faire de quartier.
Un gunfight final d’une dinguerie prodigieuse ne laisse aucun espoir ou presque aux divers protagonistes, néanmoins fort résistants. Pour Patrick Tam, les fautes se doivent d’être rachetées au prix du sang (effusions assurées). Et il n’y a pas de seconde chance, sauf pour les cœurs purs. Bouleversant.
Et si l’on ajoute que l’un des directeurs de la photographie est un certain Christopher Doyle — Le second, David Cheung se chargea de coordonner sobrement les scènes de combat —, futur compagnon de route de Wong Kar Wai, on peut aisément imaginer que la beauté du film touche parfois au sublime.
* Ce film sera suivi d’une éclipse de 17 ans (période pendant laquelle Patrick Tam montera entre autres Nos années sauvages_1990 puis Les cendres du temps de Wong Kar Wai_1994 et Election de Johnnie To_2005). A lire : l’entretien accordé à Aurélien Dirler et Xavier Chanoine en 2007 à Deauville sur Cinémasie.
** Pour lequel il remporta le prix du meilleur second rôle aux 9th Hong Kong Film Awards.
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Nous nous retrouvons pour la première fois depuis le début du festival au complet pour profiter du 7e film de la compétition.
C’est une chance, le film est excellent. Et pour l’œil — Hello Andy ! —, et pour les papilles.

15h. A simple life de Ann Hui_2011
avec Andy Lau, Deanie Ip, Wang Fuli et Qin Hailu
Malheureusement, Ann Hui n’a pu venir au festival et c’est bien regrettable, la face du focus qui lui est consacré cette année en eut été changée.
Le film n’a pas encore de date de sortie de prévue, mais gageons que le prix du public, couplé à celui que les étudiants lui ont décerné, attireront un distributeur.
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Encore enchantée par le polar de Patrick Tam vu en début d’après-midi, j’entraîne avec moi une Valérie intriguée par mon programme. La taulière de Shunrize aura ensuite bien du mal à se remettre de cette expérience inédite… qui sera loin d’être la dernière que je lui ferais subir.
Quoiqu’il en soit, le focus Patrick Tam nous est présenté par Bastian Meiresonne, un charmant et enthousiaste garçon au débit de mitrailleuse, spécialiste du cinéma asiatique, et auteur entre autres de Shohei imamura : évaporation d’une réalité.

17h15. Seven Women: Miu Kam-fung de Patrick Tam_1976
avec Miu Kam-fung, Lo Yuen, Ng Ching-yuen et Cheung Suk-yi
I love Godard. Avant de réaliser en 1980 son premier film, The sword, Patrick Tam fourbit ses armes à la télévision et y laissa notamment libre court à sa singulière passion pour Jean-Luc Godard.
Étonnant décalque — pour la forme uniquement, l’histoire est mélodramatique à souhait bien que narrée de manière distanciée (ce qui signifie en clair que l’on se fiche peu ou prou de ce qui peut arriver aux personnages) — de Deux ou trois choses que je sais d’elle, nous sommes les témoins d’un reportage/confession d’une femme au foyer qui, face caméra, s’annonce également actrice, et dont la vie est d’une effrayante vacuité.
Marié à un homme mollasson et volage qui écoute Beethoven — et l’Internationale ! — et ne rêve que de voitures de luxe tout en lisant le journal à haute voix ou en édictant lors de fêtes bien ennuyeuses de puissants aphorismes, notre jolie blasée ne parait se réaliser que dans un consumérisme effréné.
Sa falote existence n’est que faux-semblants et pure indifférence, y compris lorsqu’elle apprend que son époux — qui l’honore chaque nuit par désir, habitude ou besoin, nul ne le sait et sans doute pas même lui — la trompe avec sa meilleure amie. La mort accidentelle de cette dernière ne déplacera pas d’un cheveu son impeccable mise en plis.
Bizarrement, le seul événement qui pourrait quelque peu inquiéter notre futile est d’avoir vraisemblablement surpris sur le pas de sa porte un éventuel cambrioleur. A croire que Patrick Tam s’amuse follement à voir affleurer une crispation inquiète sur son beau visage d’ordinaire impassible.
Léger assoupissement devant des plans méthodiquement métamorphosés en affichage publicitaire ou authentique hallucination auditive mais il s’avèrerait qu’à une occasion la dame ait écouté, d’un air absent, Noël à Jérusalem d’Enrico Macias… quoique je n’en jurerais pas.
Ce second épisode de Seven women* restera incontestablement comme l’ovni du festival.
* qui en comprends sept — comme son titre l’indique — et dont la particularité est de porter le patronyme de leur interprète principale. A noter que la série a été écrite par Joyce Chan, scénariste de The spooky bunch de Ann Hui.
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Nous nous échappons durant l’entracte — et manquons l’épisode 3 de la série Seven women — intitulé On Sai, Yeung See-tai, May Lee — initialement prévu, dans la mesure où 1/ j’ai l’étrange impression que Valérie va coller un contrat sur ma tête 2/ nous serons obligées de partir durant la projection pour ne pas arriver en retard pour le 8e et dernier long métrage de la compétition. Quoiqu’il en soit, je déteste partir au cours d’un film.
Un bon thé aux fins que ma collègue se remette de ses émotions et c’est reparti !

19h. Beyond the hill/Tepenin ardi de Emin Alper_2012
avec Berk Hakman, Tamer Levent, Reha Őzcan et Mehmet Ozgur
Le réalisateur n’a pas fait le déplacement mais a envoyé en éclaireur l’acteur principal, Berk Hakman, au très joli torse malheureusement tronqué dans la photo ci-dessus.
Manifestement intimidé, il tendit à parler de préférence à son bonnet — lire, la traductrice — plutôt qu’à la salle. Devant quelques rappels à l’ordre fort peu amènes, il affirma d’une voix haute et claire avoir apprécié participer au film. Le contraire eut été étonnant. Personne n’osa l’interroger sur l’extravagance de la dernière scène du film, qui demeure à ce jour parfaitement incompréhensible.
Sortie prévue en janvier 2013.
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Un tantinet en mode feignasse, je décide de surseoir à mon passage au Forum des images où j’avais prévu de voir In the face of demolition de Lee Tit et m’affale à nouveau dans la salle 11 pour la première projection de Ah Yin d’Allen Fong, ce qui me permettra, perfide que je suis, de profiter itou de son premier film Father and son qui repasse demain et sur lequel j’avais fait une croix, la mort dans l’âme. On se fait plaisir comme l’on peut.

21h. Ah Ying de Allen Fong_1983
avec Hui So-ying, Peter Wang et Cheng Chi-hung
Ah Ying (Hui So-ying, source d’inspiration pour le personnage qu’elle interprète et résolument magique) est la troisième fille quelque peu malmenée d’une famille nombreuse. Ses amours sont au point mort ; quant à ses parents — mère surchargée, père alcoolique —, ils ont d’ores et déjà décidé de son avenir. La jeune femme écoute David Bowie et Brian Eno et, rêveuse hors pair, ne souhaite rien tant que devenir actrice.
Dotée d’une force de caractère peu commune, Ah Ying va réussir à bénéficier de cours de théâtre où sa franche candeur (A l’argent ou la gloire après lesquels soupirent ses camarades de classe, elle préfère l’affirmation de soi) et ses aptitudes vont séduire — en tout bien tout honneur — l’enseignant, Cheung (Peter Wang, co-scénariste du film, metteur en scène, et accessoirement, professeur de théâtre de Hui So-ying, interprète de Ah Ying… vous suivez ?), réalisateur en vue, de retour d’Amérique avec un projet sous le bras fort ardu à financer.
Cheung, travaillé par l’histoire et la mémoire, prépare un documentaire sur Hong Kong et ses habitants. Aussi va-t-il s’intéresser à Ah Ying quand elle lui confie vouloir échapper à sa condition de vendeuse de poissons. L’idée lui vient d’en faire l’héroïne d’un segment de son grand œuvre, tout en l’impliquant dans le projet comme collaboratrice, tout à la fois sujet, actrice et mine de renseignements. Il est amusant de constater que Cheung suit les mêmes traces qu’a auparavant empruntées Allen Fong lors de ses repérages, lorsqu’il va sur le terrain enquêter sur la réalité sociale dans laquelle se morfond son élève. Mais il est souvent malaisé de faire la part des choses entre l’objet que l’on étudie et la créature que l’on filme.
Et c’est ainsi qu’insidieusement, nous ne savons plus si nous sommes toujours dans l’aventure improvisée par Allen Fong qui voit naître une amitié amoureuse que Cheung (Relativement désillusionné par ses échecs successifs auprès de potentiels producteurs, il se permettra même un parallèle entre sa jambe folle et la carcasse de la voiture antédiluvienne qu’il conduit établissant d’emblée que leur différence d’âge est pour lui une barrière infranchissable) crèvera dans l’œuf en repartant aux États-Unis pour raison de santé — non sans avoir offert à Ah Ying en guise de cadeau d’adieu l’occasion de briller sur scène à ses côtés — ou si nous assistons à une projection du documentaire réalisé par Cheung.
Tout au plus, espérons-nous — perdus que nous sommes entre la fiction et le réel — après avoir suivie notre battante dans diverses démarches puis l’avoir retrouvée derrière son étal, écaillant et vidant les poissons avec dextérité (ces images familières semblent répondre à la scène qui ouvre le film, tournée sous un angle sensiblement différent… mais encore faudrait-il revoir Ah Ying pour en être convaincu), qu’il ne s’agisse bien que de l’histoire gigogne concoctée par Allen Fong et non d’un retour à la plus triste des réalités.
Nonobstant, Ah Ying est avant tout une œuvre qui se ressent plus qu’elle ne s’explique. D’un charme évanescent mais d’une intelligence redoutable, le second film d’Allen Fong repousse les limites de sa méthode et ce, jusqu’au vertige.
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J’essaie de gratter quelque peu sur mon journal de bord et me rends compte, mais un peu tard, qu’il m’est impossible de ne pondre que 3/4 lignes sur les films que j’ai vus. Je commence à craindre fortement avoir présumé de mes forces (et surtout de mon esprit de synthèse résolument défaillant).
A suivre…
Si vous avez raté le début
- Avant première de Holy Motors de Léos Carax
- Teaser
- Jour 1 — vendredi 29 juin 2012 — avec Jeff Mills, André Sauvage & Herman Yau
- Jour 2, Part 1 — samedi 30 juin 2012 — avec Roman Cheung, Nam Nai-choi, Herman Yau & Chin Man-kei
- Jour 2, Part 2 — samedi 30 juin 2012 — avec Ann Hui, Yuen Wo Ping, Wu Ma, Miguel Gomes & Yeun Sang-ho
- Jour 3 — dimanche 1er juillet 2012 — avec Ann Hui, Clara Law, Ringo Lam, Bence Fliegauf & Khavn de la Cruz
- Jour 4 — lundi 2 juillet 2012 — avec Patrick Tam, Michael Hui, Yang Yong-hi, Tom Shu-yu Lin & Yim Ho
- Jour 5 — mardi 3 juillet 2012 — avec Raoul Ruiz, Kim Nguyen & Julia Murat
- Jour 6, Part 1 — mercredi 4 juillet 2012 — avec Wu Ma & Kirk Wong
- Jour 6, Part 2 — mercredi 4 juillet 2012 — avec Patrick Lung-Kong, Peter Wai-Chuen Yung & Allen Fong