Focus Ann Hui à l’honneur le jour du philippin fou. Grosse journée en perspective. J’essaie de ne pas me retrouver sur les rotules en me levant folle que je suis une heure plus tôt que nécessaire. Petit mémo à mon bonnet : ne jamais oublier de vérifier 1/ le jour que l’on est 2/ le programme établi.
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, je continue avec le plus grand plaisir de découvrir la filmographie d’Ann Hui, revois un Ringo Lam et découvre, après avoir fait mon devoir, l’aberrant univers de Khavn de la Cruz. Un bon jour en somme.

9h15. Social Worker: Ah Sze de Ann Hui_1976
avec Cecilia Wong Hang-say, Ng Wai-kwok, Ng Mang-tat et Damian Lau Chun-ya
Sur un sujet délicat — soit la prostitution de très jeunes émigrées clandestines — Ann Hui réussit un merveilleux portrait de femme.
Avec Ah Sze, tendron de 14 printemps débarquée illégalement à Macao et délibérément ignorée par une sœur ainée débordée de marmaille, la réalisatrice poursuit son exploration du monde parallèle d’un Hong Kong qui broie sans états d’âme ceux qui viennent s’y égarer.
En pleine détresse, Ah Sze tombe bientôt entre les mains d’un proxénète qui a tout d’abord revêtu le masque de l’entraide. Dès lors, plus rien ni personne ne pourra la sauver, et certes pas l’homme avec qui elle essaie de se reconstruire peu à peu au prix d’efforts que le malheureux détruit compulsivement au gré de ses shoots fréquents. Quoiqu’elle ne se pose jamais en victime, Ah Sze, mystérieuse et butée, semble mue par une certaine obstination à gâcher sa vie.
Ann Hui accompagne sur plusieurs années et avec tendresse son héroïne perdue, tout en décrivant scrupuleusement les obstacles qui — comme une malédiction — se dressent devant elle, de ses anciens clients à son amoureux velléitaire, de l’opinion publique à ses beaux-parents bien peu charitables qui la jugent quotidiennement. L’inéluctable se produit alors.
La jeune Cecilia Wong Hang-sau est étonnante de justesse dans le rôle d’Ah Sze et c’est le cœur serré qu’on l’abandonne au gâchis de son existence.

9h15. ICAC: A Man de Ann Hui_1977
avec Damian Lau Chun-yan, Kwan Chung, Wai Lit et Carol Cheng Yu-ling
Corruption ou délation, même combat. Un jeune policier naïf — interprété par Damian Lau Chun-yan qui sera en 1979 le héros de La dernière chevalerie de John Woo — nouvellement promu se retrouve dès son arrivée contraint de fermer les yeux devant les activités parallèles de ses collègues qui perçoivent ainsi double salaire en faisant payer chèrement aux contrevenants leur « protection ».
Pris entre deux feux, le choix cornélien qui s’offre à lui n’est guère enviable : rester loyal envers son corps de métier et ses supérieurs tout aussi pourris que le petit personnel et ainsi rompre avec ses principes moraux ou dénoncer sans trop d’états d’âme à l’ICAC — soit l’Independant Commission Against Corruption créée en 1974 qui fait la fierté du régime de Hong Kong — toute la brigade qui sombrera corps et biens, au risque de perdre sa dignité et, accessoirement, ses amours.
Le drame est exposé sans fard, ni langue de bois, le délateur étant illico mis au banc des accusés pour insoumission au groupe. Le voilà brusquement déconsidéré, jaugé et sommé de s’expliquer sur sa vie privée, ses choix personnels et son passé.
Avec A man, Ann Hui s’attaque sans ambages à la plaie hongkongaise, soit la corruption qui gangrène jusqu’aux plus hautes sphères de la justice. Il n’est donc guère étonnant que ce portrait d’un « pur » ait été interdit d’antenne pendant plus de 20 ans, tant il est vrai que le monde sans foi ni loi, mais sous couverture policière, qu’il décrit est en contradiction totale avec les déclarations triomphantes gouvernementales.

11h15. The spooky bunch de Ann Hui_1980
avec Josephine Siao, Kenny Bee, Kwan Chung, Lau Hark-suen et Tina Liu
Hou hou, fais moi peur. Entre traditions, revenants et autres superstitions de la vie moderne, The spooky bunch est un film radical, empreint de mysticisme mais totalement désopilant.
Une troupe d’opéra cantonais débarque sur une île et y sème la zizanie dès lors qu’un vieillard patelin jette son dévolu sur l’une des charmantes actrices interprétée par la délicieuse et mutine Josephine Siao. Il ne cherche cependant pas à en faire sa concubine mais bien l’honnête épouse de son neveu dans le seul but de contrer une malédiction ancestrale.
Fatalitas ! Les spectres ne l’entendent pas de la même oreille — bien que le spectacle soit magnifique et respectueux des traditions du folklore chinois — et mettent tout en œuvre pour empêcher cette union, meurtres sanglants à l’appui. On sursaute donc beaucoup, quasiment autant que les crédules acteurs qui ne cessent de croiser des trépassés au détour des couloirs (rires).
Le mélange jouissif d’horreur et de bonhomie — certains seconds rôles surjouent avec bonheur — fait de The spooky bunch un film à découvrir. Toutefois, que l’on ne s’y trompe pas, malgré la folie ambiante — que ce soit sur scène car les pièces qui y sont jouées pullulent d’apparitions fantasmatiques ou dans les coulisses où les quiproquos sont rois — les hilarantes scènes abracadabrantesques n’empêchent pas qu’un profond désespoir parcourt tout le film, les fantômes étant parfois foncièrement récalcitrants à accepter leur condition de décédé et à renoncer en conséquence à hanter les vivants et les laisser s’aimer en paix.

13h15. Story of Woo Viet/Woo Yuet dik goo si de Ann Hui_1981
avec Chow Yun-fat, Cherie Chung, Cora Miao et Lo Lieh
La jeunesse du Killer. Ann Hui, avec Story of Woo Viet — sélectionné en 1982 pour La quinzaine des réalisateurs —, s’attache une nouvelle fois au pas de réfugiés vietnamiens condamnés à subir, à leurs espoirs défendant, un funeste destin.
C’est un juvénile mais déjà charismatique Chow Yun Fat que l’on retrouve ici dans le rôle d’un migrant qui tente de rejoindre Hong Kong sur une embarcation de fortune, puis les Etats Unis où il pourrait définitivement oublier son passé guerrier. Mais on ne peut échapper à sa destinée semble nous dire encore et toujours la réalisatrice qui nous prouve encore une fois que, quelque soit les désirs de renaissance ou de rédemption qui animent ses héros, cette chienne de vie se fait fort de les solder sans faillir par un irrémédiable gâchis.
A l’image du nourrisson décédé sur le bateau que sa mère laisse partir au fil de l’eau répondra bientôt celle du faux passeport que Woo brûle sur le sol philippin où les clandestins ont fait escale et dont les bas-fonds peuvent en remontrer dans la crasse et la malignité à sa voisine chinoise.
Pour avoir refusé de fermer les yeux sur un trafic d’esclaves et volé au secours d’une jeune femme vendue par d’ignominieux passeurs à un cruel proxénète, voilà notre preux qui accepte un marché de dupes : devenir l’homme de main de la crapule en échange des faveurs de la dame qui lui est offerte sur un plateau (et qui, par ailleurs, ne semble pas y trouver à redire).
Un tueur chevaleresque au regard mélancolique, l’amitié virile, les amours contrariés, la sauvagerie qui parcourt maintes fois le film jusqu’à l’explosif gunfight final, tout concoure à faire de Story of Woo Viet comme un étrange prequel de The killer de John Woo. Toutefois, Ann Hui excelle tout autant dans la chorégraphie de la violence — filmée sans glamour — que dans la description de puissants personnages féminins — faiblesse que l’on peut souvent reprocher aux films de Woo —. Deux femmes énamourées se disputent notre tragique héros, une amie (Cora Miao) qui le garderait bien près d’elle à Hong Kong alors qu’il ne rêve que d’Amérique et la jeune réfugiée (Cherie Chung) pour laquelle il abandonnera son honneur et ses rêves de liberté.
Story of Woo Viet est donc une excellente surprise qui donne encore plus envie de découvrir toute la filmographie de cette réalisatrice d’exception, manifestement aussi à l’aise dans le drame que dans le thriller pur et dur.

15h. Autumn Moon de Clara Law_1992
avec Masatoshi Nagase, Li Pui-wai, Choi Siu-wan et Maki Kiuchi
Existentialisme à Hong Kong. A l’orée de la rétrocession de la ville à la Chine, Wai — l’impertinente à couettes Li Pui-wai —, adolescente de quinze ans plutôt délurée qui s’apprête à émigrer avec ses parents au Canada, croise sur un pont Tokio — l’impayable Masatoshi Nagas, héros du Mystery train de Jim Jarmusch_1989 —, fumeur invétéré du genre poseur, qui pêche dans la baie pour s’offrir une contenance.
Tokio, le touriste, n’a rien vu à Hong Kong si ce n’est l’abime de sa propre inutilité, Wai s’interroge anxieusement sur son avenir loin de sa ville. Tokio multiplie les aventures purement sexuelles, sa préférence allant à la sœur d’une ancienne maitresse rencontrée fortuitement, Wai va peut-être franchir le pas avec un camarade d’école. Ces deux là que tout oppose vont finir par se comprendre et s’offrir une parenthèse enchantée dans leur vie somme toute bien banale.
En définitive, Autumn moon se révèle être un joli petit film mélancolique et plutôt bavard où pointe cependant une grâce subtile.

17h10. Full alert de Ringo Lam_1997
avec Lau Ching-wan, Francis Ng, Jack Kao et Amanda Lee
Polar d’une violence extrême — on n’hésite guère à y tuer les femmes ou à y menacer les bambins —, Full alert de Ringo Lam, réalisé l’année de la rétrocession de la colonie britannique à la Chine, s’embarrasse non seulement de psychologie — les adversaires en présence semblent être d’ores et déjà à bout de forces alors que le film débute à peine — mais entraine les spectateurs dans les labyrinthes crasseux d’un Hong Kong devenu irrémédiablement hystérique.
Grâce à ses deux stars charismatiques — Liau Ching-wan (cinglé favori de Johnnie To) et Francis Ng (généralement moins flamboyant chez le même To) — qui se livrent un combat sans merci mais pourraient parfaitement échanger leurs rôles tant leurs personnages de flic intraitable* et de malfrat quelque peu psychopathe en proie aux doutes et à la culpabilité se répondent et se complètent — Full alert nous entraine dans une enquête haletante, pleine de bruit et de fureur, qui s’offre en guise d’épilogue un bain de sang doublé d’une apocalyptique déclaration d’amour.
Full alert demeure à ce jour un des plus grands polars hongkongais, d’une sauvagerie inouïe quoique sans complaisance. Et sur grand écran, y a pas photo, ça charcle grave.
* Témoin cette scène où notre poulet furieux s’immerge jusqu’aux coudes dans d’immondes poubelles encombrant une sombre ruelle pour y retrouver son arme, puis repart à la poursuite de la vermine qu’il s’est juré d’exterminer sans se soucier d’éventuels dommages collatéraux

19h. Just the wind//Csak a szél de Bence Fliegauf_2012
avec Lajos Sárkány, Katalin Toldi, Gyöngyi Lendvai et György Toldi
3ème film de la compétition internationale.
La chronique arrivera peut-être en fin de mois.
Puisque désormais, vous connaissez le palmarès, il n’y a plus de raison que je vous cache certaines choses. Nous nous sommes précipitamment enfuies dans le noir sans attendre le réalisateur qui arrivait de pied ferme pour un Q&A avec le public, n’ayant guère l’envie de l’écouter se justifier et d’augmenter ainsi le degré de souffrance que nous a causé son film qui fera l’unanimité contre lui dès le début des délibérations.
Mes collègues sont parties se restaurer et quant à moi, ayant prévu de voir un film philippin qui promettait d’être surprenant, j’ai singulièrement ressenti le besoin de me changer quelque peu les idées avant une nouvelle projection et d’effacer tous souvenirs indélicats de ma mémoire. Pour les impatients qui souhaitent lire plus avant sur cette chose, Chris — qui avait d’ores et déjà vu le film à Berlin où le jury présidé par Mike Leigh (sans doute ivre) lui a offert l’Ours d’argent — l’a quelque peu assassiné sur Accréds.
*****
Pour une fois qui n’est guère coutume donc, je fausse compagnie à mes collègues pour profiter pleinement d’un film qui m’intrigue. Je n’irai voir le 4ème long métrage en compétition — Our homeland de Yang Yong-hi — que demain avec les absents d’aujourd’hui.
D’ailleurs, pour être honnête, deux films à « juger » le même jour, c’est un poil too much. A moins que je n’en rêve comme cela m’est arrivé ces derniers jours avec Holy motors ou Tabou, j’ai grandement besoin de « digérer » le film que je vois avant de pouvoir émettre une opinion personnelle objective et opposer des arguments valables à d’éventuels contradicteurs.

21h15. Mondomanila or how I fixed my hair after a rather long journey de Khavn de la Cruz_2012
avec Tim Mabalot, Marife Necesito, Palito, Alex Tiglao, Stefan Punongbayan, Jonathan Reyes, Whitney Tyson et Tony Hunt
Le freaks, c’est chic. Comédie musicale punk et trash parfaitement déjantée, Mondomanila ne faillit pas à la réputation de son metteur en scène, le prolifique (28 longs métrages et autant de courts à son actif) Khavn de la Cruz qui a déjà commis trois autres films depuis. Le réalisateur, fort hype en sa contrée, est venu dévoiler quelques secrets de fabrication avec un enthousiasme communicatif et s’est avant tout présenté comme poète et musicien*.
Adapté — fort librement sans nul doute, mais il reste à découvrir le bouquin — d’un roman de Norman Wilwayco, Mondomanila réussit là où Bence Fliegauf a échoué avec son Just the wind.
Car ce qui frappe avant tout dans ce gigantesque foutoir drolatique, introduit par un carnavalesque Monsieur Loyal, véritable empereur des gueux, fait d’intermèdes dansés au milieu des bidonvilles — en guise d’hallucination collective si l’on songe aux inondations survenues en 2011 dont quelques images télévisuelles ouvrent et closent le film, pour mémoire — et de collages criards selon la méthode du cut-up chère à William Burroughs, n’est pas tant l’humour ravageur qui parcourt le film en forme de happening que la totale empathie du metteur en scène avec ses personnages, aussi frappadingues ou monstrueux soient-ils.
Aucun jugement n’a droit de cité dans Mondomanila. Les jeunes gens, acteurs amateurs ou gamins des rues, qui peuplent le film ont droit chacun à toute notre considération. Qu’ils rappent, se cament, se prostituent ou flinguent à tout va, et même si Khavn de la Cruz n’hésite guère à les malmener, ils sont les chantres de la survie et témoignent d’une chienne d’existence — ni plus ni moins en réalité qu’une grotesque farce issue de l’imagination perverse d’un dieu bien cruel — qu’il faut embrasser avec toute l’énergie fulgurante de la jeunesse avant qu’elle ne vous crève.
* Pour en savoir plus, rendez-vous sur le non-site officiel (ou pas, car avec lui, rien ne semble jamais moins sûr que l’absurdité de la vie) du réalisateur : This is not a website by Khavn.
*****
Je rentre après cette vivifiante projection. Je suis sur les rotules. Heureusement, j’ai déjà vu The sword dans une minable copie. Je pourrais donc éventuellement continuer ma nuit en début d’après-midi si mes paupières se font trop lourdes.****
A suivre…
Si vous avez raté le début
- Avant première de Holy Motors de Léos Carax
- Teaser
- Jour 1 — vendredi 29 juin 2012 — avec Jeff Mills, André Sauvage & Herman Yau
- Jour 2, Part 1 — samedi 30 juin 2012 — avec Roman Cheung, Nam Nai-choi, Herman Yau & Chin Man-kei
- Jour 2, Part 2 — samedi 30 juin 2012 — avec Ann Hui, Yuen Wo Ping, Wu Ma, Miguel Gomes & Yeun Sang-ho