Désastre, amour et fantaisie. Dois-je l’avouer ? Je me sens un peu lasse mais le merveilleux souvenir que m’avait laissé le film de Patrick Tam — un des rares que je connaisse de lui par ailleurs, en sus de The final victory, et il me tarde de voir ses autres réalisations — fait que je me botte sérieusement le cul et que je me tiens vaillante, et à l’heure dite, à l’entrée de la salle.

13h. The Sword de Patrick Tam_1980
avec Adam Cheng, Norman Chu Siu-keung, Jo Jo Chan, Wei Chiu-hua, Tien Feng et Ko Hung
Le chant des épées. D’une splendeur esthétique à couper le souffle, The sword est un poème tragique balafré rouge sang qui met en scène deux épéistes mus par de bien vilains desseins alors qu’ils tentent chacun de leur côté de retrouver un maitre d’armes fort réputé (interprété avec une belle prestance par Tien Feng, stakhanoviste de la Shaw Brothers, auguste maison pour laquelle il a bien souvent joué les crapules avec talent) qui s’est retiré des vanités de ce monde à la suite d’un combat de trop.
Le premier (Adam Cheng), disciple vertueux quoique fort orgueilleux, souhaite obstinément se mesurer au vieillard pour s’assurer de son habileté, le second (Norman Chu Siu Keung) — le félon de l’histoire, perpétuellement vêtu d’oripeaux immaculés et flanqué d’un ninja d’une spectaculaire agilité — pédant et cruel, convoiterait plutôt sa légendaire épée — baptisée du doux nom d’Etoile de glace et notoirement maudite — aux fins de compléter sa collection d’armes.
Si l’on ajoute que le vicieux a épousé l’amour de jeunesse de notre faillible héros dont il fait de la vie un enfer et que tous deux vont croiser sur leurs route d’expertes combattantes, respectivement fille et amante du reclus, on ne s’étonnera guère du chassé croisé qui va s’opérer dans des combats à mort filmés comme des ballets, tant la quête du pouvoir ou des biens d’autrui paraît brusquement bien absurde au regard de tout ce que l’aventure offre comme promesses de bonheur tant spirituel que terrestre.
Une seconde vision de ce wu xia pan confirme tout le bien qu’il y avait à penser de cette symphonie du désastre, d’une langueur tantôt surprenante, traversée par des assauts d’une fulgurante beauté, tandis que la musique — un même thème récurrent soulignant la fragilité de leur existence — se met au service des dames, éternelles victimes sacrificielles de la folie et de l’égoïsme mâles.
Ne reste plus aux bretteurs que le son des étoffes froissées et des lames qui s’entrechoquent. Avec, en guise de récompense pour le vainqueur, la solitude et d’éternels regrets.
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Il me semble bien en sortant du film reconnaître le duo de tauliers de PixAgain qui converse avec animation sur le parvis du MK2, mais déjà à la bourre pour le film de Michael Hui, je les abandonne à leur discussion animée. Après enquête, c’était bien eux… Notre café est donc reporté sine die.

15h. The Private Eyes de Michael Hui_1976
avec Michael Hui, Sam Hui, Ricky Hui, Angie Chiu, Shek Kin et Richard Ng
Après les amants tragiques de Patrick Tam, place à l’arrivisme à tout crin, à la libre entreprise et à l’exploitation du petit personnel. The private eyes (sorti en nos contrées sous le titre Mister Boo, détective privé) et réalisé quasiment en famille par Michael Hui — ses frères Ricky et Samuel, également responsable de la musique du film, jouent à ses côtés —, est une aimable pochade où pointe cependant une critique acerbe tant du monde du travail — les employés ne sont que des esclaves bons à se tuer à la tâche sans compensation aucune — que des autorités, et une fois encore, les fonctionnaires de police sont décrits comme de sombres crétins et savamment ridiculisés.
Pour faire court, c’est top con mais ça détend relativement les zygomatiques, notamment par la grâce de quelques excellents gags rondement amenés et une bonne humeur saupoudrée de mauvaise foi parfaitement assumée. L’humour enfantin, voire somptueusement infantile, de certaines scènes rappellent même dans une moindre mesure les pitreries de Mister Bean.
Deux scènes d’anthologie sont toutefois chaudement recommandables.
La première est une homérique bataille au kung fu approximatif dans une cuisine où notre détective combat hardiment un éventuel voleur à la tire à coups de louches, de woks et de requin marteau décédé avant de se saisir d’un chapelet de saucisse transformé pour l’occasion en nunchaku mortel. Notons qu’après un clin d’œil à Jaws, c’est Bruce Lee qui fait les frais de ce plaisantin de Michael Hui puisque son feulement tout droit issu de la bande originale d’Opération dragon (Enter the Dragon_1973) résonne alors que l’assaut fait rage et que la pièce est méticuleusement détruite.
Robert Clouse est manifestement à la fête puisque nous retrouverons bien plus tard, dans le rôle d’un machiavélique chef de gang, l’inénarrable Shih Kien (plus connu par les amateurs du Petit dragon sous le nom de Han, dont la mort dans la galerie des glaces de son imprenable forteresse a suffisamment marqué les esprits pour qu’il ait une poupée à son effigie !*), auteur ici d’un hold-up des plus fantaisistes.
La seconde scène, plutôt croquignolette, se tient dans un love hôtel où nos détectives ont filé une femme adultère (qui s’avèrera être procureur de la république. No comment) et où un waterbed et une baignoire — choisie comme planque — qui se vide et se remplit au gré de l’humeur coquine des amants sont les accessoires indispensables de cette comédie burlesque et, en définitive, très bon enfant.
Sans compter que la morale est sauve. Lah.
* Les amateurs peuvent se la procurer contre une modique somme ici.
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Je retrouve dans la salle 12 d’autres membres du jury qui n’ont pu être présents hier à la projection du 4ème film en compétition, en compagnie du taulier de Laterna magica.

17h. Our homeland de Yang Yong-hi_2012
avec Ando Sakura, Iura Arata, Yang Ik-june, Kyono Kotomi, Tsukayama Masane, Miyazaki Yoshiko et Suwa Taro
Le film — toujours présenté avec le plus grand enthousiasme par Caroline — n’a pour le moment pas de distributeur. Malheureusement, la salle était loin d’être comble mais les spectateurs présents ont sympathiquement réagi et se sont montrés fort avides d’en apprendre encore plus sur la biographie de Yang Yong-hi à la personnalité décidément passionnante. Le débat fut donc intéressant, dans la mesure où il a offert quelques clés sur une histoire d’une part, totalement inconnue de nos contrées — excepté sans doute pour les amateurs de la Corée —, d’autre part, si absurde qu’on la croirait issue de l’imagination débordante d’un scénariste. Et pourtant.
Chronique prévue fin juillet. Mais vous savez désormais que nous lui avons décerné notre coup de cœur.
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La petite salle 11 était comble, elle, pour la présentation de Starry, starry night de Tom Shu-yu Lin qui a reçu, lors de son arrivée, une formidable ovation de la part de ses compatriotes qui occupaient, il faut bien le reconnaitre les 2/3 de la salle. A noter cependant que l’un d’eux s’endormit tranquillement dès le début de la projection, à peine les lumières éteintes.
Passons très vite sur le discours officiel bien plombant et répétitif, pour ne tenir compte que du délicieux et lunaire réalisateur qui nous a avoué adorer Paris — un peu de vile flatterie ne gâte rien — et être tombé en amour devant le travail de l’illustrateur Jimmy Liao qu’il a décidé d’adapter pour l’écran.

20h. Starry, Starry night de Tom Shu-yu Lin_2011
avec Xu Jiao, Eric Lin Hui-Min, Rene Liu, Harlem Yu, Kenneth Tsang et Guey Lun-Mei
Une seule pièce vous manque et le puzzle est démembré. Récit d’apprentissage, Starry starry night nous conte le passage à l’âge de raison de Mei (Xu Jiao) à peine sortie de l’enfance.
Fille unique et rêveuse, Mei ne vit que pour l’art que lui a enseigné sa mère — autrefois étudiante à Paris et désormais frustrée — et passe son temps à reproduire des tableaux de maitre lorsqu’un jour, patatras, l’une des pièces maitresses d’un puzzle de La nuit étoilée de Van Gogh manque à l’appel.
Au moment même où elle ressent quelque émoi amoureux pour Jie, un camarade d’école nouvellement arrivé et qui semble avoir quelques troubles du comportement, ses parents se préparent à divorcer et son grand-père tant aimé passe de vie à trépas, laissant une sculpture inachevée. Tyrannisés au collège par quelques sombres crétins, les deux gamins fomentent une romantique fugue qui les mènera à la maison de l’aïeul, construite au fin fond d’une forêt où ils vont se perdre et finalement, y grandir.
Le réalisateur adapte dans des couleurs acidulées, le délicat livre de l’illustrateur taïwanais Jimmy Liao, dont quelques planches habillent le générique de fin, en mélangeant allègrement ses protagonistes à des images animées (origamis enchanteurs, puzzles menaçants, ombres chinoises qui révèlent ou camouflent) et réussit ainsi un très joli conte de Noël délibérément optimiste — Paris, la ville des rêves et de tous les possibles, est tout petit pour les gens qui s’aiment comme Mei et Jie d’un aussi grand amour* — affirmant que tous les obstacles peuvent être surmontés et les miracles survenir pour peu que le désir soit assez fort.
En résumé, Tom Shu-yu Lin aime dans le désordre la France, Jean Luc Godard, le charleston — surtout celui de Bande à part, mélancoliquement réinterprété ici par l’excellente Rene Liu avec une infinie tristesse — et Françoise Hardy… comme dans Moonrise Kingdom de Wes Anderson en somme, auquel le film fait immanquablement songer notamment lors de la ballade en forêt par les parti pris stylistiques et la tendresse teintée de drôlerie qui prévaut aux amours enfantines.
Nonobstant, Starry starry night est à réserver de préférence aux enfants, de peur que sa mièvrerie néanmoins parfaitement assumée n’écœure par trop les cyniques adultes que la vie fait de nous.
* © Marcel Carné et Jacques Prévert

22h. Homecoming de Yim Ho_1984
avec Josephine Koo, Siqin Gaowa et Tse Wai-hung
Choc des cultures. Homecoming est un film surprenant, comme hors du temps, qui vous cueille par surprise.
Suivant une dramaturgie somme toute relativement classique et ne favorisant jamais l’une ou l’autre des deux parties en présence — humilité de la vie campagnarde vs éclat de la nouvelle bourgeoisie hongkongaise — le film accompagne une femme d’affaires au bord du burn-out — Coral n’a ni mari ni enfant mais elle est toutefois flanquée d’une sœur acariâtre qui la tyrannise par téléphone interposée — qui retourne dans le petit village de la Chine continentale qui l’a vu naitre et y retrouve deux amis d’enfance qui ont fondé une famille. Elle, est devenue institutrice, lui est un paysan apparemment mal dégrossi.
Si les retrouvailles se fêtent dans la joie et la bonne humeur, des tensions ne tardent pas à éclater de par la dette morale que Coral a contracté (ses amis se sont occupés de l’enterrement de sa mère), leur différence de classes, l’éclatante liberté — bien illusoire — de cette femme sophistiquée et coquette qui tente de retrouver ses racines et avant tout l’insouciance de ses jeunes années, fut-ce au prix d’une trahison, et la jalousie inhérente à tout rapprochement entre de bons vieux copains qui semble vite suspect aux yeux de la communauté. Les rumeurs vont bon train et les masques tombent alors que le trio s’épie et s’affronte plus ou moins brutalement.
Pourtant, si l’on pouvait craindre une énième version du combat entre rat des villes et rat des champs avec adultère à la clé, le respect prédomine entre les trois protagonistes, bien plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Et le trouble ne nait pas là où on l’attend.
Par la grâce du jeu subtil de Josephine Koo et Siqin Gaowa, transpire brusquement dans leurs échanges un amour bien plus profond et strictement féminin dont on imagine sans peine que les deux femmes s’y seraient volontiers abandonnées si la divergence de leurs choix mais surtout les conventions ne l’avaient étouffé définitivement dans l’œuf.
Les deux femmes unies comme au premier jour de leur amitié indéfectible, c’est sans amertume que Coral peut alors repartir vers Hong Kong, l’esprit et le cœur en paix.
Superbes actrices, magnifique film.
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C’est l’esprit légèrement embrumé et la démarche chancelante de fatigue que je me dirige vers le métro où l’attente d’une rame me paraît positivement intenable.
Demain, direction le Nouveau Latina pour y découvrir deux films de Raoul Ruiz qui manquent à ma collection.
A suivre…
Si vous avez raté le début
- Avant première de Holy Motors de Léos Carax
- Teaser
- Jour 1 — vendredi 29 juin 2012 — avec Jeff Mills, André Sauvage & Herman Yau
- Jour 2, Part 1 — samedi 30 juin 2012 — avec Roman Cheung, Nam Nai-choi, Herman Yau & Chin Man-kei
- Jour 2, Part 2 — samedi 30 juin 2012 — avec Ann Hui, Yuen Wo Ping, Wu Ma, Miguel Gomes & Yeun Sang-ho
- Jour 3 — dimanche 1er juillet 2012 — avec Ann Hui, Clara Law, Ringo Lam, Bence Fliegauf & Khavn de la Cruz