Festival Paris Cinéma 2012 [03/07/12 — Journal de bord 5] : Raoul Ruiz, Kim Nguyen & Julia Murat

© FredMJG

Viva Raoul ! Une « petite » journée que ce mardi plus ou moins ensoleillé.

Je vais profiter d’une longue coupure entre deux Raoul Ruiz — la rétrospective se tient au Nouveau Latina qui expose également les photographies de tournages en noir et blanc de Bernard Hébert et ce, jusqu’au 31 août prochain — que je n’ai jamais eu l’occasion de voir  (j’abandonne par contre définitivement l’idée de découvrir Cofralandes, n’étant pas parvenu à intégrer le film à mon petit programme) et les films en compétition pour tenter de commencer à gratter sur mes compte rendus… Ambitieux projet que je ne pourrais mener à bien qu’une fois les festivités achevées étant donné ma légendaire lenteur.

Et pour m’en griller une car mine de rien, cela fait quatre jours que je n’en ai pas trouvé l’occasion…

© MargoFilms

13h40. Dias de campo de Raoul Ruiz_2004
avec Marcial Edwards, Mario Montilles, Belgica Castro, Ignacio Agüero, Rosita Ramirez, Monica Echevarria, Carlos Flores et Francisco Reyes

Souvenirs de la maison Chili. Dans un bar de Santiago, deux hommes s’enivrent de paroles et de vin. Vu leur âge, il est probable qu’ils tiennent chaque nouvelle rencontre pour la dernière. Se décrivant comme « imaginistes », « bricolistes », voire singulièrement anarchistes, on croit deviner que l’un d’eux qui prétend écrire un roman tend à égrener des souvenirs d’enfance. Cela reste à prouver.

Car ce diable de Raoul Ruiz se joue effrontément encore une fois de la chronologie et ses jeux de l’oie habituels empruntent ici de tortueux chemins de traverse entremêlant les époques, quand ses héros ne se dédoublent pas dans quelques existences parallèles. A moins que nos compagnons de voyage ne soient issus de la mémoire chilienne d’un exilé, narrant en voix off les rêves qui le hantent, où les défunts rajeunissent à peine refroidis et reviennent servir leur maître dont les songes ne sont jamais foncièrement les mêmes.

Sans compter que pour qui apprécie Borges, il ne fait aucun doute que le souvenir du héros principal de Dias de campos s’évanouira dès que le rêveur qui le rêve s’éveillera.

La méthode ruizienne file le tournis, oui.

Le Chili filmé par Raoul Ruiz n’a rien de flamboyant. Le film est sombre — et préfigure d’ailleurs étonnamment la palette terrienne de son dernier film, La nuit d’en face —, intimiste, tout entier confiné dans une grande maison austère, où les seuls points de couleurs sont les bateaux qui habitent les toiles accrochées aux murs. Même lorsque le réalisateur s’égare dans la campagne, l’atmosphère y est ouatée comme la réminiscence d’un long cauchemar dont on aurait du mal à se dépêtrer. Y compris lorsque l’on sent poindre, sous l’ironie du désespoir, cette hantise de la mort reconnue comme un mal nécessaire, un passage vers une autre réalité, le début d’une nouvelle aventure humaine et non comme une fin.

Soyons honnête, si l’on retrouve dans Dias de campos toutes les obsessions que Raoul Ruiz a semé de film en film, et ce jusqu’à son ultime réalisation, certaines private jokes demeurent quelque peu incompréhensibles si l’on est peu versé dans l’histoire chilienne. Une occasion en or pour notre farceur de nous perdre encore plus dans ses jeux labyrinthiques.

Mais on peut tout de même s’y amuser — ou se laisser aller tantôt à une douce torpeur (comme votre serviteur) en se laissant bercer par la voix off — et mesurer cette maison Chili à l’aune des disparitions et des fantômes qui habitent la résidence, des morts qui trainent éternellement sur les lieux de leurs crimes et des lettres apocryphes que les mères n’hésitent pas à s’envoyer pour continuer de croire encore quelque temps à la survie de leurs fils disparus.

Un film à revoir donc, avec l’esprit clair et quelques clés supplémentaires. Et accessoirement dans de meilleures conditions que celles qu’offre cette damnée salle du Nouveau Latina que certains spectateurs prennent pour un hall de gare.

© La Sept

15h25. La Chouette aveugle de Raoul Ruiz_1987
avec Jean-Marie Böglin, Jean-François Lapalus, Alain Rimoux, François Berthet, Jean-Bernard Guillard, Alain Halle-Halle, Jessica Ford et Brigitte Coscas

Un homme (Jean-François Lapalus, un peu terne) marche la nuit dans une ruelle qui sent le carton pâte. L’avertissement « Toi qui entre ici abandonne toute espérance » apparaît à peine sur l’écran que notre inconnu pénètre dans un cinéma de quartier. L’humour ruizien vient encore de frapper et la blague est loin d’être courte.

A l’affiche, un étrange métrage oriental dont quelques dialogues en allemand non sous-titré nous parviennent dans la cabine où notre héros, projectionniste, se réfugie plus qu’il n’y travaille. C’est que l’héroïne du film l’a regardé droit dans les yeux et qu’il en est tombé éperdument amoureux. Et depuis qu’elle lui a mis la fièvre, il est victime de tant d’aberrantes hallucinations que l’on pourrait sans peine imaginer que cet homme dort debout.

Peu importe toutefois de ne pas avoir lu le dépressif roman de Sadegh Hedayat qui a plus ou moins inspiré Raoul Ruiz. S’ensuit une histoire totalement surréaliste et foncièrement angoissante — même si l’on rit beaucoup — où l’homme sans illusion ni famille — quoiqu’il ne cesse de croiser des étrangers qui prétendent lui être apparentés — va s’immiscer de l’autre côté de l’écran, devenir un assassin, vivre mille et une nuits dantesques et plusieurs vies qui sont autant de choix possibles et imaginables, et être le héros d’une de ces entreprises rocambolesques dont Dumas avait le génie.

Il croisera sur sa route — ou sur l’écran, qui sait ? — des femmes fatales — qu’il découpe en morceaux, puis trimballe dans des malles magiques — et des malandrins de purs mélodrames qui se plaisent à provoquer sa candeur velléitaire.

On ne peut que songer aux formidables péripéties du magnifique Trois couronnes du matelot [film malheureusement absent de la rétrospective consacrée cette année à Raoul Ruiz] en écoutant la voix du narrateur — héros de son propre fantasme à moins qu’il ne soit lui-même que le personnage d’un film autrefois projeté dans le cinéma où il prétend œuvrer — nous conter combien la vie s’est jouée de lui. Il est cependant regrettable que Jean-François Lapalus n’ait pas le charisme de Jean-Bernard Guillard, le fameux matelot aux 3 couronnes. Ce dernier fait une apparition en forme de clin d’œil dans le rôle d’un homme masqué se prétendant défiguré. Qu’il apparaisse enfin en plein jour et les souvenirs cinéphiles affluent.

Trompe l’œil, clair obscur et lanterne magique, tout le décorum est convoqué par Raoul Ruiz pour mieux nous perdre dans le labyrinthe de cette existence qui pourrait être bien misérable si quelques songes opiacés ne venaient la rehausser.

Mais le cinéma est, lui, bien réel nous martèle le réalisateur, et la seconde partie de La chouette aveugle, abandonnant brusquement notre personnage à la triste figure à ses aventures, nous fait pénétrer sans crier gare dans le film qui l’a tant fasciné. Et nous place derechef dans la peau du projectionniste. L’œuvrette est en arabe et en vieil espagnol non sous titré, nous ne pouvons en conséquence — sauf à être polyglotte — que deviner le drame qui se noue à l’écran, où des jumeaux se disputent, en sus du pouvoir, le cœur de sœurs jumelles dans un palais de Grenade. Avec force félons à l’appui. Nous sommes désormais aussi perdus que le narrateur et ne s’offre plus à nous qu’une seule option, nous immerger dans le spectacle en y notant le moindre détail ou fuir vers la sortie (ce que n’hésita pas à faire les ¾ des spectateurs. Dommage pour eux).

Malgré son intérêt, La chouette aveugle se doit d’être vu après avoir acquis quelques clés divinatoires sur les grandes mystifications ruiziennes. Sans compter qu’emporter avec soi les petits livres illustrés de Borges et de son compère Cortazar n’est certes pas de trop.

*****

Infernale cavalcade dans l’interminable échangeur de Châtelet Les Halles [Je me vois dans l’obligation de revoir mon programme de samedi soir, les travaux actuels dans le Forum des Halles — obligeant à des tours et des détours nettement moins amusants que ceux offerts par le cinéaste chilien — m’empêcheront définitivement d’arriver à l’heure dite pour The arch, à moins de téléportation] pour être de retour au MK2 Bibliothèque où comme d’habitude, notre mère à tous, Jérome, nous a donné rendez-vous pour nous remettre nos billets d’entrée.

Je le soupçonne de faire l’appel en douce pour s’assurer que le jury ne tente pas l’école buissonnière avec les films de la compétition.

© Happiness Distribution

19h. Rebelle/War Witch de Kim Nguyen_2012
avec Rachel Mwanza, Alain Bastien et Serge Kalienda

Le réalisateur, Kim Nguyen, foncièrement aimable et doté d’un charmant accent québécois, était présent et s’est fait une joie d’entamer un Q&A avec le public. Son intervention débordait d’enthousiasme, tandis qu’il nous régalait d’anecdotes diverses sur les péripéties ayant présidé à son casting — il a même avoué trop aimer ses personnages pour souhaiter les voir disparaitre trop vite de l’aventure — ou sur certaines activités fort étranges dont il a été témoin lors du tournage.

Sortie prévue pour le 21 novembre 2012. Chronique à venir.

*****

Quelques achats de nourritures terrestres plus tard — esquimau, croque et chocolat — nous revoilà installés tous les quatre — avec Valérie, Anna et Chris (Noémie prise par des obligations professionnelles verra les films le lendemain) — dans cette fameuse salle 12 dont nous commençons à reconnaître nos sièges les yeux fermés et dans lesquels, je dois l’avouer, mon squelette devient derechef bien mollasson.

© Bodega Films

21h15. Historias, les histoires n’existent que lorsque l’on s’en souvient/Histórias que só existem quando lembradas de Julia Murat_2011
avec Sonia Guedes, Lisa E. Fávero, Luiz Serra, Ricardo Merkin, Antônio Dos Santos, Nelson Justiniano et Maria Aparecida Campos

La réalisatrice étant absente pour cause d’accouchement imminent, le film est présenté par sa productrice qui très étonnamment nous enjoint de rire de bon cœur si l’idée nous en vient. Personnellement, n’ayant pas pour habitude de me priver, le conseil me parait bien hasardeux et m’inquiète quelque peu. Bingo ! Ce sera rarement l’hilarité générale dans la salle.

Sortie prévue pour le 18 juillet 2012. Chronique à venir.

*****

Après quelques échanges animés sur le parvis du MK2, nous sommes repartis vers nos pénates tout en regrettant fortement qu’Historias de Julia Murat n’ait pas tenu dès le départ les belles promesses qui ne se révèlent qu’au bout d’une demi-heure — fort esthétique, par ailleurs — d’ennui profond.

A suivre…

Si vous avez raté le début

  • Avant première de Holy Motors de Léos Carax
  • Teaser
  • Jour 1 — vendredi 29 juin 2012 — avec Jeff Mills, André Sauvage & Herman Yau
  • Jour 2, Part 1 — samedi 30 juin 2012 — avec Roman Cheung, Nam Nai-choi, Herman Yau & Chin Man-kei
  • Jour 2, Part 2 — samedi 30 juin 2012 — avec Ann Hui, Yuen Wo Ping, Wu Ma, Miguel Gomes & Yeun Sang-ho
  • Jour 3 — dimanche 1er juillet 2012 — avec Ann Hui, Clara Law, Ringo Lam, Bence Fliegauf & Khavn de la Cruz
  • Jour 4 — lundi 2 juillet 2012 — avec Patrick Tam, Michael Hui, Yang Yong-hi, Tom Shu-yu Lin & Yim Ho

Et le palmarès du Festival Paris Cinéma 2012