Des fantômes et du culte. Les affaires reprennent avec, aujourd’hui, un aller-retour de la mort prévu sur la ligne 14 (bénie soit-elle).
Je me rends tout d’abord d’un pas alerte — les deux cafetières englouties ce matin y sont sans doute pour beaucoup — au rendez vous pris hier soir avec la taulière de Shunrize qui compte s’offrir un double programme Sammo Hung tandis que je l’abandonnerais, après le Wu Ma, pour le Kirk Wong que je n’ai jamais vu et qui m’intrigue fort tant il est nimbé d’un statut culte qui ne peut que me titiller les ovaires.

12h. The Dead and the Deadly de Wu Ma_1982
avec Sammo Hung, Cherie Chung, Wu Ma et Lam Ching-ying
Après le wu xia pian Deaf mute heroine, place à la (grosse) kung fu farce signée Wu Ma. The dead and the deadly démarre sur les chapeaux de roue et, tout en entremêlant allègrement comédie et horreur, met en scène des fantômes, qu’ils soient totalement tocs comme Li/Sammo Hung qui aime à se travestir pour affoler les veuves joyeuses, ou bien réels comme celui de l’époux trompé qui compte bien massacrer la gourgandine, son amant et le crétin grimé qui vient de leur foutre la trouille de leur vie, en prime.
Toutefois, le film semble nous dire que tout ceci n’est qu’un affreux cauchemar puisque les justiciers ectoplasmiques n’existent guère. Que nenni !
Alors que cet effarouché de Li tente de se dépêtrer d’une charmante qui tient à lui passer la corde au cou, un de ses potes de beuverie ne trouve rien de mieux que de passer pour trépassé aux fins de palper un héritage conséquent. Li, soupçonnant alors une trahison de la trop jeune épouse dudit, enceinte jusqu’aux dents d’un homme pourtant réputé impuissant, tente par tous les moyens de découvrir les raisons du décès en se travestissant cette fois en offrande, ce qui donne lieu à des scènes de deuil d’un burlesque achevé, notamment lorsqu’un garnement tente de lui coller le feu aux fesses.
Tandis qu’il tente, en vain, d’autopsier le corps — qui, bien frétillant, n’est pas décidé à se laisser découper (fous rires assurés) — les félons en arrivent aux extrémités et refroidissent le supposé mort qui expire définitivement.
Durant cette infernale veillée funèbre, nous assistons à une valse abracadabrantesque d’apparitions spectrales — théâtrales ou authentiques —, puis à un échange d’âmes entre le défunt récalcitrant et notre bon vivant avant d’homériques combats d’une extrême violence entre apparitions justicières et fourbes adultères âpres au gain, où l’on n’hésite pas à déballer l’arme blanche ou à dézinguer brutalement une future mère de famille. Rafraîchissant !
L’épilogue, qui prête à rire, est d’une morale à toute épreuve. L’humour bon enfant qui parcourt le film — offrant une recette imparable sur la manière de profiter d’un moment d’absence de volonté d’une proie pour lui passer illico la bague au doigt — se fait parfois plus grinçant et impitoyable. Et même si tantôt l’histoire est quelque peu poussive, les combats, chorégraphiés par l’acteur principal, qui n’hésite jamais à jouer de son embonpoint, sont de haute volée. Inutile donc de faire la fine bouche devant cet aimable divertissement.

14h. The Club/Wu ting de Kirk Wong_1981
avec Michael Chan Wai-man, Norman Chu Siu Keung, Mabel Kwong et Erina Miyai
Combat sans code d’honneur. Bien avant Le syndicat du crime/A better tomorrow de John Woo, et sans nécessairement rendre son brutal héros plus romantique qu’il n’est — quoique l’on ne manque jamais au court du film de vanter son courage et sa loyauté à toute épreuve — Kirk Wong offre pour son premier film — il signera quelques années plus tard Crime Story avec Jackie Chan en vedette — The Club*, un étrange objet crasseux d’une violence anarchique et bestiale. Les filtres jaunes qui étouffent tantôt l’image ne font qu’ajouter un peu plus au malaise ressenti, en dehors des rares fois où l’on s’étrangle subrepticement dans un gloussement nerveux tant l’excentricité de certaines scènes contribuent à accroitre la datation d’un film réputé pour avoir ouvert la voie à tripotée de polars violents glorifiant peu ou prou les triades.
Asseyant dès l’enfance une amitié masculine inébranlable (ah ! ce long regard langoureux que se lance les deux potes si longtemps séparés… j’en ris encore) liant le trio du film qui, tout en vivant en marge de la loi, a décidé de ne pas se commettre avec le commun des voyous — deux d’entre eux dirigent un night club, objet de toutes les convoitises, le troisième (Norman Chu, l’affreux de The sword) a préféré se rendre maitre de maisons de jeux —, The Club décrit avec minutie la main mise mafieuse sur les quartiers chauds de la ville et l’économie souterraine qui en découle. Et ce, parallèlement à une cité qui semble vivre à son rythme en occultant souverainement les combats sans merci qui se livrent derrière des portes de verre. Témoin cette hallucinante scène de carnage à laquelle se livrent des membres d’un gang sur un homme seul et acculé, condamné à se battre à coups de pâles de ventilateur contre des moteurs hors bord qui vont le mettre en charpie sous le nez de quidams indifférents.
Ne jamais s’immiscer dans les règlements de comptes, tel semble être la loi tacite qui régit Hong Kong, tant pour d’éventuels témoins que pour les forces de police mystérieusement absentes durant toute l’aventure et qui n’apparaissent qu’au générique de fin, réduites à quelques gros titres dans les journaux. Manifestement, pour le réalisateur, les flics ne sortent désormais que pour faire le ménage, soit compter les morts et incarcérer les rares survivants, bien trop las pour se rebiffer. Triste constat.
Sombre héros bien amer, Sai (l’inoxydable Michael Chan Wai-man, maître en arts martiaux et proches des triades, la joua dit-on très goodfella sur ce coup-là et fit embaucher quelques vieux amis parfaitement infréquentables comme figurants, ce qui ne manqua pas de créer certains remous lors du tournage), à la garde robe d’un éclatant mauvais goût, rappelle les gangsters hargneux de Martin Scorsese. Et bouffe l’écran à chaque apparition, aussi kitschissime soit-elle.
Car Sai aime muscler son corps tatoué, se balade en slibard jaunâtre et forge ses nerfs d’acier en se foutant vaillamment sur la gueule avec des mal intentionnés. Aucune trace chez Kirk Wong des mortelles chorégraphies à la John Woo. Dans The Club, on se crève sauvagement (voir plus haut), à mains nues ou l’arme blanche telles celles que Sai collectionne dans son placard à balai transformé en armurerie où s’étalent sabres, hachoirs, coutelas et pics à glace en lieu et place de magnums ou autres kalach’. Faites votre choix.
Notre Sai est également l’objet de convoitise de toutes les entraineuses du Club — leur jeu parfaitement approximatif concourt à nous mettre en joie au milieu de tant de barbarie — dont il pourrait éventuellement devenir le Cosmo Vitelli s’il n’était aussi clairement belliqueux et foncièrement psychopathe.
Soyons clairs, les personnages féminins ne sont que des potiches soupirant à l’approche du bellâtre hypersexué et connaissent, chacune à leur tour, — non sans avoir auparavant atteint l’extase entre les bras athlétiques du mâle — le trépas le plus cruchon qu’il ait jamais été donné de voir sur un écran. Palme à la ravissante idiote qui poignarde un malfaisant, puis laisse choir le couteau aux fins que le cruel s’en empare plus aisément et la trucide derechef. C’est ballot car cela tend à nous faire doucement rigoler alors que nous devrions en être fort peinés, mais notre terreur, se consolant à une rapidité déconcertante de ses veuvages répétés, ne nous tiendra pas rigueur de notre hilarité.
Quoiqu’il en soit, et malgré une qualité de copie foncièrement déplaisante et pour cause**, The Club demeure une œuvre intéressante sur le dernier combat d’un guerrier dont le curieux sens de l’honneur se voit d’ores et déjà dépassé par la folie des jeunes enragés surarmés de Tsui Hark***.
* Le générique est à voir ici (en fin de post)
** A noter qu’Aurélien vint nous apporter en début de séance quelques précisions sur la copie projetée (les conditions de conservation, voire de restauration, de films étant quasi nulles sur Hong Kong), soit un film « recréé » à partir de deux disques laser et d’une bande VHS — concernant notamment quelques scènes fort déshabillées tombées au champ d’honneur de la censure — doublée en anglais de si atroce manière que les éclats de rire fusèrent dans la salle. Mais il ne fait nul doute que l’esthétique salement glauque du film doit tout à la décision du metteur en scène et non aux outrages du temps. [Et quoiqu’il en soit, mieux vaut voir une copie en mauvais état, que pas de film du tout].
*** L’enfer des armes, également à l’affiche du Festival Paris Cinéma
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Direction le Forum des Images pour la projection de Story of a discharged prisonner, un film en noir et blanc de Patrick Patrick Lung-Kong, datant de 1967.
Va y avoir du sport.
A suivre…
Si vous avez raté le début
- Avant première de Holy Motors de Léos Carax
- Teaser
- Jour 1 — vendredi 29 juin 2012 — avec Jeff Mills, André Sauvage & Herman Yau
- Jour 2, Part 1 — samedi 30 juin 2012 — avec Roman Cheung, Nam Nai-choi, Herman Yau & Chin Man-kei
- Jour 2, Part 2 — samedi 30 juin 2012 — avec Ann Hui, Yuen Wo Ping, Wu Ma, Miguel Gomes & Yeun Sang-ho
- Jour 3 — dimanche 1er juillet 2012 — avec Ann Hui, Clara Law, Ringo Lam, Bence Fliegauf & Khavn de la Cruz
- Jour 4 — lundi 2 juillet 2012 — avec Patrick Tam, Michael Hui, Yang Yong-hi, Tom Shu-yu Lin & Yim Ho
- Jour 5 — mardi 3 juillet 2012 — avec Raoul Ruiz, Kim Nguyen & Julia Murat