Liv & Ingmar de Dheeraj Akolkar [Ciné Nordica 2013]

Liv & Ingmar. Painfully connected de Dheeraj Akolkar © KMBO

Amours bergmaniennes. Ingmar Bergman ne l’a jamais épousée, certes, mais elle fut sa muse (une dizaine de films* dont quasi autant de chefs d’œuvre), la mère d’un de ses enfants, et selon ses propres termes — rapportés par l’actrice émue aux larmes — son Stradivarius.

Liv Ullmann, après avoir été approchée par Dheeraj Akolkar, opiniâtre jeune réalisateur tombé en amour de la passion dévorante qui la lia au metteur en scène et de leur flamboyante histoire**, a finalement accepté d’être l’héroïne de Liv & Ingmar. Painfully connected, documentaire élevé en cartographie de l’intime*** qui témoigne de la relation exceptionnelle — privée et professionnelle —  qu’elle entama en 1966 avec le grand maitre suédois, tout en pestant aimablement qu’on ne s’intéresse encore une fois qu’à son histoire avec Ingmar Bergman, comme s’ils n’avaient point, chacun, connu le salut et une carrière loin de l’autre.

Mais Liv & Ingmar, décliné en six tableaux : « Amour. Solitude. Colère. Souffrance. Nostalgie. Amitié », n’est pas un aigre règlement de comptes, bien au contraire. Et c’est ce qui fait ton son suc. Aucune amertume ne vient jamais assombrir le regard de Liv Ullmann qui ne se voilera qu’à l’évocation de la disparition d’Ingmar Bergman en 2007. Malgré les coups bas, la jalousie morbide, les cris et les heurts lorsque l’amour disparut entre eux, l’actrice, tout en charme et reconnaissance, se livre sans fard et confirme que l’amitié doublée d’une communion d’âmes et de talents vaut toutes les flammes éteintes et les potins moqueurs.

Par un regain de coquetterie, Dheeraj Akolkar souligne de temps à autre lourdement les propos évoqués par une musique quelque peu envahissante et en rajoute dans le sentimentalisme, et l’émotion bien naturelle de l’actrice. Nonobstant contrebalancée par une force de caractère et un sens de l’humour bien trempés. Désireux par ailleurs de la filmer sur les « lieux du crime », le jeune metteur en scène a bien du mal à nous faire oublier que seul Bergman sut filmer l’île de Fårö comme un personnage de fiction à part entière. Quelques plans dignes d’une virée touristique ne parviennent toutefois pas à abimer la qualité des anecdotes contées par une Liv Ullmann pouffant comme une gamine, souvent à la limite du fou rire tant le temps a passé sur les méchants souvenirs qui lui reviennent en mémoire. Ceux nimbés de cruauté du tournage de L’heure du loup en compagnie d’un Max Von Sidow**** manifestement à l’ouest et n’en comprenant que pouic sont particulièrement croustillants.

La tendresse, seule, demeure et bien que l’on puisse être quelquefois gêné aux entournures sur l’impudeur tranquille de l’actrice qui nous convie à partager ainsi son intimité, sa bonne humeur et le rire cristallin qui éclate souvent alors qu’elle se remémore les plaisantes aventures ayant égaillé la vie de plateau (Comment, au sortir de Cris et chuchotements, pourrait-on aisément imaginer Ingmar Bergman courant de chambres en chambres enfermer à double tour toutes ses femmes qui s’emploient à le rendre totalement fou en complotant chaque soir une tournée des grands ducs ?) nous font agréablement passer le temps, tout en nous confirmant que les fameuses « scènes de la vie conjugale » — qui ne réconcilient guère avec l’idée du mariage — n’étaient point œuvre d’imagination, mais bien un « exorcisme selon Bergman ».

* Persona_1966, L’heure du loup/Vargtimmen_1968, La honte/Skammen_1968, Une passion/En passion_1969, Cris et chuchotements/Viskningar och rop_1972, Scènes de la vie conjugale/Scener ur ett äktenskap_1973, Face à face/Ansikte mot ansikte_1976, L’œuf du serpent/The serpent’s egg_1977, Sonate d’automne/Höstsonaten_1978 et Sarabande/Saraband_2003.
** Inspiré par Devenir, l’autobiographie de l’actrice et metteur en scène, Dheeraj Akolkar a fait le siège de l’actrice pour qu’elle accepte de participer à son projet. Le réalisateur présent à la 5e édition du Festival Ciné Nordica nous a lu à l’occasion le poème qu’il lui avait adressé.
*** On peut toutefois s’interroger sur la fausse bonne idée de distribuer au cinéma [18 sorties enregistrées cette semaine] ce documentaire qui trouverait plus aisément sa place à la télévision. Souhaitons-lui par ailleurs une belle carrière en vidéo.
*** Il aurait sans doute été fort amusant de faire intervenir l’acteur et de lui demander quelle place il tenait réellement dans les multiples vexations que ce diable de Bergman en proie aux démons de la jalousie faisaient subir à Liv Ullmann.

A noter que ce documentaire projeté à l’occasion de la 5e édition du Festival Ciné Nordica est sorti sur les écrans le 8 mai 2013.

© KMBO
© KMBO

Liv & Ingmar. Painfully connected de Dheeraj Akolkar_2012
avec Liv Ullmann

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