Tout sur la mère. Décidément, le couple Newman-Woodward a le vent en poupe. Un de leurs baisers (surpris sur le tournage de La fille à la casquette/A new kind of love de Melville Shavelson_1963) orne l’affiche de la 66e édition du Festival de Cannes 2013. Et après s’être offert une nouvelle jeunesse sur grand écran il y a deux ans, voilà que le 3e film* réalisé par Paul Newman et interprété par son épouse-actrice-muse Joanne Woodward (qui emporta à Cannes le prix d’interprétation féminine en 1973) est enfin édité en DVD.
Inspiré d’une pièce de Paul Zindel, De l’influence des Rayons Gamma sur le comportement des Marguerites nous conte la pathétique histoire d’une femme vieillissante, hantée par une jeunesse trop vite enfuie et abîmée par de perpétuelles désillusions. L’insubmersible femme sous influence filmée par Paul Newman, Béatrice Hunsdorfer (Joanne Je-sais-tout-jouer Woodward), ne sait plus comment offrir un sens à sa vie, mais refuse obstinément de passer la main.
Abandonnée par son époux et flanquée de deux filles qui au mieux l’encombrent, au pire la rappellent à des responsabilités qu’elle est foutrement incapable d’honorer, Béatrice navigue dangereusement entre enthousiasme débordant et amères frustrations. Alors qu’elle ne rêve que d’ouvrir un salon de thé où enfin ses talents culinaires seraient reconnus et où elle pourrait trôner, triomphante comme une cheerleader à ses heures de gloire, la réalité économique (l’Amérique est alors en pleine récession) la dépose lâchement au bord du chemin et l’oblige, pour survivre, à héberger dans sa maison délabrée des personnes âgées négligées par leurs propres enfants.
Egoïste, fantasque et tristement infantile, cette forte en gueule en oublie d’aimer correctement sa progéniture qui évolue pourtant, envers et contre tout, tout contre elle. L’aîné, Ruth (Roberta Wallach, fille de cette belle canaille d’Eli, ami du couple vedette), d’ores et déjà en compétition, est en perpétuelle rébellion, mais adopte nonobstant le même chemin emprunté par sa coquette de mère qu’elle n’hésite pas à croquer férocement lors d’un cours de théâtre. Leurs relations d’amour-haine culminent lors d’une scène d’épilepsie où l’impuissance maternelle se révèle un crève-cœur. La cadette, Matilda (Nell Potts**), tout en modestie et retenue, sans nul doute copie conforme du mari disparu et méchamment rudoyée, s’évade avec les encouragements d’un professeur attentif dans des recherches scientifiques.
C’est d’ailleurs à son dernier travail que le titre du film fait allusion. Et cette œuvre est emplie d’espoir. Car si Matilda (« future Madame Pasteur » comme persifle Ruth, secrètement admirative) fait subir — au grand dam de sa génitrice — d’étranges expériences à son carré de marguerites, c’est pour mieux prouver que rien dans la vie n’est jamais totalement perdu et que des fleurs bien singulières peuvent naître du fumier. Béatrice Hunsdorfer peut continuer à se débattre et parfois, en arriver à des extrémités déraisonnables, les jeunes pousses qu’elle a engendrées connaîtront vraisemblablement un avenir bien plus radieux que le sien, pour peu qu’elles parviennent à se libérer de l’ogresse qui les étouffe.
De l’influence des Rayons Gamma sur le comportement des Marguerites est un film strident où trois femmes au bord de la crise de nerfs rugissent (la tapageuse Béatrice qui ne peut manifestement pas s’exprimer autrement que deux ou trois octaves au-dessus de la moyenne et l’épileptique Ruth) ou crient intérieurement (Matilda) sous le regard encore vif d’une veille dame muette qui retrouverait presque une seconde jeunesse au contact de tant de folie.
Et bien que Joanne Woodward bouffe perpétuellement l’écran tant son énamouré de mari-réalisateur lui a offert une remarquable partition à interpréter, Roberta Wallach et Nell Potts ne s’en laissent guère compter. Ces émouvantes petites marguerites irradient sereinement dans l’ombre de leur impressionnante partenaire. Et les gros plans que Paul Newman leur octroie — ainsi qu’à Judith Lowry, témoin silencieux de leurs cruelles joutes féminines — magnifient leur intrigante et délicate beauté.
* Après Rachel Rachel_1968, qui a valu un Golden Globe à Joanne Woodward, et, dans une moindre mesure, Le clan des irréductibles/Sometimes a great notion_1972 où Paul Newman remplaça au pied levé Richard A. Colla.
** La fille aînée du couple Newman-Woodward avait personnifié la jeunesse de sa mère dans Rachel, Rachel et abandonna définitivement le cinéma après cette seconde — et fort heureuse — apparition.
A noter : Le DVD édité par Potemkine Films/Agnès b. DVD sort le 7 mai 2013. En bonus, un entretien avec Jean-Baptiste Thoret, historien et critique, auteur entre autres de 26 secondes : L’Amérique éclaboussée. L’assassinat de JFK et le cinéma américain et Politique des zombies, l’Amérique selon Romero.
De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites/The effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds de Paul Newman_1972
avec Joanne Woodward, Roberta Wallach, Nell Potts, Judith Lowry et David Spielberg