[Rétrospective 2014] Sur quelques films d’avril 2/2

Les amants électriques de Bill Plympton © ED Destribution

Avril 2014 au cinéma. Part 2. Suite et fin de la vingtaine de films vus en avril 2014.

Eastern boysLes trois sœurs du YunnanLes amants électriquesAprès la nuitNoorNight movesStates of GraceMan of Tai ChiL’été des poissons volantsJoe

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© Sophie Dulac Distribution
© Sophie Dulac Distribution

Eastern boys de Robin Campillo

Tout en s’attachant à décrire de manière quasi-documentaire la survie d’un groupe d’adolescents débarqués de l’est, les mains dans les poches, l’espoir dans les cœurs, et prêts à tous les sacrifices pour survivre à la capitale et se faire une place au soleil, Eastern boys est avant tout l’histoire d’une fascination. Celle qu’exerce Marek, orphelin ukrainien ayant fui les horreurs de la guerre, sur Daniel, un homme d’une quarantaine d’années assailli par une ultra moderne solitude, qu’il a alpagué à la gare du nord après une danse séductrice et quelques circonvolutions. C’est aussi par une danse fatale que Daniel va se voir dépouiller de tous ses biens par les séides de Boss, un jeune russe aussi charismatique que violent qui dirige sa petite bande et entend bien ne pas laisser Marek lui échapper. Porté par un excellent trio d’acteurs, Olivier Rabourdin l’équilibriste brusquement chatouillé par le désir de paternité, le très joli Kirill Emyalov et Danill Vorobjev, remarquable en leader sous dépendance affective, Eastern boys, œuvre troublante, flirte bientôt avec le conte de fée et s’achève en une double renaissance qui laisse le spectateur quelque peu déconcerté.

© Les Acacias
© Les Acacias

Les trois sœurs du Yunnan/San Zi Mei de Wang Bing

Après le fascinant Fengming, chronique d’une femme chinoise_2003 et la fiction qu’il en a tiré, le sombre et désespéré Le fossé_2010, Wang Bing est parti plusieurs mois filmer trois sœurs — Yingying (10 ans), Zhenzhen (6 ans) et Fenfen (4 ans) —, en s’attachant plus particulièrement à l’ainée. Elles (sur)vivent dans les montagnes du Yunnan aux abords de l’Himalaya, dans un état d’extrême pauvreté. Le père part à la ville chercher un emploi, puis revient en compagnie d’une nouvelle femme, flanquée d’une petite fille dont la présence va provoquer bien des remous. Wang Bing observe sans complaisance, mais comme touché par la grâce dès qu’il accompagne Yingying, tout un peuple abandonné par le miracle économique qui a ébranlé le pays. L’humour, heureusement, n’est pas absent de cette peinture de la misère ordinaire qui vire au surréalisme quand un mouton psychotique refuse de suivre bêtement ses congénères et s’emploie à affirmer sa condition de chien de troupeau. Les trois sœurs du Yunnan (Montgolfière d’or et Prix du public du Festival des Trois Continents 2012) durent 2h30. Le film pourrait être amputé d’une demi-heure comme augmenté de deux, que l’on demeurerait fascinés par la déterminée Yingying, petite force de la nature qui plie sous la violence du vent mais ne rompt point.

© Ed Distribution
© Ed Distribution

Les amants électriques de Bill Plympton

Chronique à lire ici.

© Capricci Films
© Capricci Films

Après la nuit/Até ver a luz de Basil Da Cunha

Tourné avec des comédiens non-professionnels dans le bidonville de Reboleira de Lisbonne, Après la nuit, dans un décor nocturne propice à la magie et aux incantations, accompagne l’errance hallucinée de Sombra, un dealer borderline fraichement libéré de prison, qui vit en compagnie d’un iguane placide, prénommé Dragon. Pauvreté et violence endémiques, frénésie poétique, mystères et grâce de la langue créole sont au menu de ce film insolite, souvent improvisé et qui ne laisse que peu de chance de survie à ses protagonistes. N.B. Découvert en 2013 au Forum des images lors de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs, en compagnie de touristes brésiliens, le spectacle était tout autant dans la salle 300 que sur l’écran.

© Zootrope Films
© Zootrope Films

Noor de Çağla Zencirci & Guillaume Giovanetti

Passionnant docu-fiction que ce film qui s’attache aux Khusras, la communauté transgenre pakistanaise avec dans le rôle titre, ce fameux Noor, d’une beauté androgyne telle que nous voilà autant troublés que les irrespectueux bas du front qu’il tente difficilement de tenir à distance. Les deux réalisateurs l’accompagnent dans sa quête de la femme qui saura l’aimer pour ce qu’il est, ce qu’il a décidé de redevenir envers et malgré tous/tout : un homme. Même s’il a été, et reste, une danseuses des plus appréciées. Nous trimballant dans des paysages fantasmagoriques à bord d’un invraisemblable véhicule croulant sous les décorations, Noor, road-movie initiatique d’une beauté magique et inédite nous émeut par la quête insatiable de son fantasque héros.

© Ad Vitam
© Ad Vitam

Night moves de Kelly Reichardt

Night moves est un thriller en campagne. Comme ses trois activistes écologistes qui, pour secouer des politiques inconscients quant à la protection de l’environnement, décident de faire sauter un barrage hydraulique. Bien évidemment, serait-on tenter de leur souffler, la vie et le hasard réservent toujours quelques (mauvaises) surprises et notre trio improbable va devoir composer avec sa conscience. La préparation du sabotage est filmée comme celle d’un casse, avec un suspense constant, qui nous rend d’emblée complices de ces pieds nickelés s’improvisant terroristes. Puis une cassure s’opère, le groupe se délite, la paranoïa prend le pas sur l’action d’éclat et il ne s’agit plus que de survivre à l’horreur et à la culpabilité. Le plus taiseux — et extrémiste — des trois entame alors une virée sauvage, aussi bizarre que frustrante. Night moves demeure néanmoins un petit objet étrange, aussi fascinant et insaisissable que son protagoniste principal incarné par Jesse Eisenberg.

© Version Originale/Condor
© Version Originale/Condor

States of Grace de Destin Cretton

Chroniques de la vie ordinaire d’un foyer pour adolescents en difficulté, States of Grace, débarquant auréolé d’une belle réputation,  s’attache tout autant aux différents pensionnaires qu’aux affres de Grace, une jeune éducatrice tourmentée par un lourd passé et une grossesse qui l’inquiète. Bien entendu, car le scénario est très calibré — événements drolatiques et scènes sensibles alternent —, c’est sans grande surprise que Grace trouvera, au contact d’une nouvelle « patiente », la force de dépasser ses propres traumas. States of Grace est bien interprété par une troupe homogène et fort sympathique. Plus de mordant aurait été sans doute appréciable.

© Universal Pictures International France
© Universal Pictures International France

Man of Tai Chi de Keanu Reeves

L’intérêt et l’amour que Keanu Neo Reeves portent aux arts martiaux n’est plus à prouver. Il tente ici un hommage aux films de kung-fu d’antan mais le scénario anémié de Man of Tai Chi et une réalisation sans souffle peinent malheureusement à nous intéresser. Désireux de s’offrir un vrai rôle de malfaisant, son air de choupinet nous empêche de croire qu’il est un si vilain garçon, bien qu’il prenne grand soin à tenter de creuser sa ride du lion. A quand une bonne histoire et un metteur en scène de talent aux commandes pour cet adepte de l’éternel retour ?

© Cinémadefacto
© Cinémadefacto

L’été des poissons volants/El verano de los peces voladores de Marcela Said

Découvert en 2013 au Forum des images lors de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs, le film de Marcela Said, tout en filmant en filigrane les conflits qui opposent les grands propriétaires chiliens aux indiens Mapuches, s’attache au doux portrait d’une adolescente, Marina (Francisca Walker), qui, tout en vivant ses premières amours, prend brutalement conscience des valeurs qui régissent la société à laquelle elle appartient et partant, des inacceptables inégalités sociales. La demeure familiale, manoir perdu au cœur d’une forêt fantasmagorique, devient le centre de toutes les obsessions, et notamment celle de son père, bien décidé à débarrasser le lac artificiel de sa propriété des carpes qui y ont élu domicile. Les décors, magnifiques, servent d’écrin à l’initiation amoureuse et politique de Marina dont les baignades sont autant de renaissances. La violence des rapports humains, délibérément laissée hors champ, se devine à mi-mots. Seule demeure de l’été des poissons volants une atmosphère éthérée, quasi-mystique, belle et délicate comme sa naïade.

© Wild Side Films/Le Pacte
© Wild Side Films/Le Pacte

Joe de David Gordon Green

Décidément le Texas n’est pas une contrée joyeuse. Pauvreté, violence, alcoolisme, familles dysfonctionnelles — et ici, le scénario n’y va pas avec la moitié d’une tronçonneuse dans le portrait quasi-complaisant d’un père fouettard, prêt à vendre sa propre fille pour un coup de gnôle —, Joe (c’est aussi l’Amérique) est tout autant l’histoire d’une rédemption sans espoir de retour que l’exaltation du dépassement de soi. Étrangement doublée d’une croyance infinie en l’humanité. Arrivant après Mud de Jeff Nichols, Joe a un ton de déjà vu mais reconnaissons que la relation père de substitution/fils vécue par Nicolas Cage, qui tente la sobriété en bucheron grognon tout en retenue implosive (son passage au bordel est notamment savoureux) et le toujours juste et exquis Tye Sheridan qu’il serait agréable de voir sortir du bayou, est plaisante à suivre. Toutefois, la scène qui restera gravée dans les mémoires est la traque et le meurtre sauvage d’un SDF par le père du jeune héros, incarné par le terrifiant Gary Poulter, vagabond céleste décédé en 2013, dont le jeu fiévreux jusqu’au boutiste fait de l’ombre au couple vedette.

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Si vous avez raté le début de la rétrospective 2014 :

A suivre…