Le temps des bubons. Fatalitas ! Alors que nous aurions pu espérer qu’avec ses choix de l’an passé (comme celui de s’unir à ce grand siphonné de Werner Herzog pour une relecture salutaire de Bad lieutenant), Nicolas Cage allait arrêter de gâcher sa carrière en cachetonnant dans des films (?) indignes du talent dont il sait faire preuve pour peu qu’il s’en donne l’ambition, que nenni !
Le revoilà, renouant le dialogue avec Dominic Sena*, l’inoubliable réalisateur de 60 minutes chrono/Gone in sixty seconds_2000 (où Cage roulait des mécaniques aux côtés d’un honteux cabotin nommé Robert Duvall) ou d’Opération Espadon/Swordfish_2001 (farce égrillarde exploitant les pectoraux d’Hugh Jackman**).
C’est dire si l’idée d’aller voir Le dernier des Templiers, traduction improbable du titre original Season of the witch (qui n’a strictement rien à voir avec le film éponyme réalisé en 1969 par George Romero, une fantastique variation sur l’intrinsèque schizophrénie d’une desperate housewife) pouvait prêter à sourire avant même le prologue, du genre brutal, où trois villageoises sont jugées pour sorcellerie, pendues, noyées et exorcisées. Ou pas.
Revoici donc, pour le bonheur de tous, une énième variation sans grande originalité sur l’éternel combat entre les gens de bien contre le mal, agrémentée de quelques libertés prises avec la vérité historique puisque le film mêle gaiement inquisitions, croisades, obscurantisme et peste bubonique.
Et c’est toujours une joie sans égale que de découvrir la dernière création capillaire qui aura l’insigne honneur d’orner le merveilleux crâne de Nic Cage. Puisqu’il le vaut bien, et parce que le port constant du heaume n’est guère tendre pour le cuir chevelu, ce sont des pointes bien grasses et d’un blond vénitien sale que nous verrons virevolter durant une fascinante heure trente.
Se déroulent alors sous nos yeux ébahis de captivants affrontements contre les infidèles — été, automne comme hiver, dans la brise printanière, sous la pluie, dans la boue, la neige, au centre des villes et des campagnes, voire en plein désert (au bout d’un moment, on ne sait plus trop qui est qui, on perd le fil de l’épée et pour tout dire, on s’en cogne) où le fameux Templier Behmen de Bleibruck, flanqué de son fidèle compagnon (soit l’impayable Ron Perlman qui s’amuse comme un petit fou dans cette aimable plaisanterie à ne guère prendre au sérieux), pourfend généreusement l’ennemi dans l’ignorance crasse que ce dernier est en lui.
Jusqu’au jour où se battant dans l’obscurité — car le film est bien sombre, et ce n’est pas une litote —, vlan ! ne voilà-t-il pas que notre preux transperce de manière fort peu chrétienne une gente dame qui passait par là. Et la lumière fut.
Enfer et croisés putréfiés ! Ses yeux cernés se dessillent ; le sieur de Bleibruck comprend enfin que les mécréants décédés sur tant de champs de bataille ne lui ont laissé à écharper que femmes et enfants. Arrrgh ! Dieu mais que d’horreurs ne commet-on pas en ton nom ! (air connu) brame notre Behmen, et d’un blasphème l’autre, le voici déserteur, dégouté des saloperies de la vie, à jamais stigmatisé par sa faute, sa très grande faute.
Et notre pauvre hère de errer, accompagné de son croisé de compère qui ne cause — dans l’espoir fou de le dérider — que de trousser la gueuse une fois rentré au pays. Mais la peste est partout. Et les délateurs itou. Trahi par le pommeau de son épée, le voilà jeté en un cachot obscur d’où il ne sera tiré que s’il accepte une mission secrète dont le haut dignitaire responsable de ce chantage niera avoir eu connaissance en cas d’échec. Diable ! Le suspense est à son comble.
Car sa sainteté n’est autre que l’increvable Christopher Lee, méconnaissable en cardinal souffreteux (saignées et bubons à tous les repas, remercions les maquilleurs de l’avoir déguisé en homme qui rit. Car oui, il faut bien l’avouer, nous avons ri, aussi). Hors donc, le décati le somme d’accompagner une accorte sorcière*** en une lointaine abbaye sur une route semée d’embûches — où il aura tout loisir de faire contrition — aux fins que la péronnelle soit jugée, puis au choix, pendue, noyée, brulée, écorchée vive, voire exorcisée. L’important est que cette chienne paie sa forfaiture de sa vie car Satan l’habite (oups ! j’ai spoilé) et que cesse enfin cette infamie qui décime la chrétienté déjà bien entamée par d’incessantes batailles pleines de bruit et de fureur qui ne signifient plus grand chose.
Je ne sers plus Dieu croasse Behmen de Bleibruck tandis que Perlman se gausse. Un œil sur la pauvre fille martyrisée par le tonsuré du coin et un regain de folle chevalerie enflamme le cœur accablé de Behmen qui n’écoutant que son sens moral (et les écrits du scénariste) accepte finalement de faire un beau geste. Car Templier un jour, Templier toujours.
Passons sur les événements aussi divers qu’avariés qui parsèment l’histoire : recrutement de samouraïs (le fameux moine fourbe — pléonasme —, un chevalier dépressif — Ulrich Thomsen, inexistant —, un enfant de chœur vindicatif pour d’éventuelles fausses pistes et un arnaqueur pour la caution humour), apparitions surnaturelles dans un cimetière de pestiférés, traversée de la forêt de Brocéliande****, rencontre avec des loups en animatronic, franchissement très Salaire de la peur d’un pont défaillant, pour nous attacher au dénouement à pleurer de rire, tant par le sérieux sans faille d’un Nic Cage jouant au chevalier sans peur mais non sans reproche (regards hallucinés à l’appui) que par la terrible indigence des effets spéciaux et de la révélation finale qui ne dépareraient pas un Harry Potter du pauvre.
L’ultime bataille d’une laideur et d’un ridicule achevés rajoute au mystère de la sortie d’un tel film sur les écrans alors que tant de productions bien plus subtiles sont privées de distribution. Les mystères du saigneur sont décidément impénétrables.
* Egalement auteur il est vrai d’un Kalifornia_1993 intéressant à plus d’un titre puisqu’il réunit les juvéniles Brad Pitt (enlaidi à plaisir), Juliette Lewis et un David Duchovny sur les chemins de la renommée par la grâce d’un MIB nommé Fox Mulder.
** Oui, bon, après tout, pourquoi pas ? Les garçons peuvent de leur côté se consoler avec les obus généreusement dévoilés par miss Berry.
*** S’agissant avant tout (quoique le film oscille paresseusement entre massacres et dépeuplement maladif) d’un divertissement familial, les mécréants qui espèrent que Claire Foy — au jeu minimaliste — échappée de séries télévisées sera aussi peu farouche que Valentina Vargas dans Le nom de la rose, peuvent passer leur chemin, merci.
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Le dernier des Templiers/Season of the witch de Dominic Sena_2011
avec Nicolas Cage, Ron Perlman, Cathy Foy, Stephen Campbell Moore, Stephen Graham, Ulrich Thomsen, Robert Sheehan et Christopher Lee