Maigre moisson de films en ce joli temps de mai pour cause d’invasion cannoise de la capitale, que ce soit au Gaumont Capucines [Cannes à Paris], au Forum des images [Quinzaine des réalisateurs 2014] sans qui ma vie cinématographique parisienne aurait moins de goût, et au Reflet Médicis [Un certain regard 2014].
La frappe — De guerre lasse — May in the summer — Charlie Countryman — La chambre bleue — The homesman — Maps to the stars — X-Men: Days of future past — Maléfique — Ugly — P’tit Quinquin
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La frappe/Pasookkoon de Yoon Sung-hyun
Les campus coréens et leurs dérives inspirent décidément les réalisateurs. Après l’explosif Suneung de Shin Su-won sorti en avril dernier, voici un remarquable premier film de fin d’études (!) qui s’attache à de jeunes étudiants plus ou moins équilibrés, minés par la violence qu’ils subissent dans le milieu scolaire et une solitude endémique. Construit en flash-back, et se collant aux basques d’un père (Cho Seong-ha) désemparé par le suicide de son fils, La frappe — titre qui évoque tout autant les parties acharnées de base-ball qui se jouent le long d’une voie ferrée que les trempes que se collent trois garnements liés par des relations perverses — est une enquête minutieuse sur la psyché d’adolescents en manque de repères familiaux. L’isolement n’étant pas sectaire, le bourreau comme la victime peut finir par y succomber. Au bout d’un éprouvant portrait kaléidoscopique, une vérité peu aimable se fait jour, mêlée d’humiliations et d’amitiés brisées.

De guerre lasse de Olivier Panchot
Ce « western urbain » selon les mots d’Olivier Panchot, ancré dans un Marseille cosmopolite en diable, conjugue thriller mafieux et tragédie antique. Ce retour du fils prodigue, déserteur de la légion étrangère, va précipiter la chute de son père (Tchéky Karyo que l’on est bien content de retrouver), caïd pied-noir rangé des affaires mais nonobstant, rongé par un terrible secret. Que le spectateur aura néanmoins éventé bien avant sa révélation finale. Guerre des gangs (Olivier Rabourdin et Jean-Marie Winting campent des malfaisants d’anthologie), coups bas, violence froide et bain de sang sont au menu de ce premier long métrage qui ne manque pas d’évoquer en sourdine les blessures héritées de la guerre d’Algérie tandis que Jalil Lespert (très impressionnant) et la charmante Sabrina Ouazini campent des Roméo et Juliette d’ores et déjà damnés par les mensonges égoïstes d’adultes inconséquents.

May in the summer de Cherien Dabis
Après Amerrika avec déjà l’impériale Hiam Abbas, Cherien Dabis creuse encore plus le sillon des familles décomposées par l’exil et s’attaque avec tendresse au choc des cultures. Son héroïne, qu’elle incarne joliment, débarque à Amman de New York en vue de passer l’été en famille et a fort à faire avec sa mère, chrétienne pratiquante, qui n’accepte pas l’idée qu’elle puisse envisager d’épouser un musulman et un père inconstant qui s’est maquée avec une fille aussi jeune que les trois siennes. May in the summer est une charmante comédie aux accents féministes affirmés certes, mais qui manque singulièrement de caractère. On peut néanmoins compter sur le talent comique du couple terrible Hiam Abbas et (le revenant) Bill Pullman pour ajouter un peu de sel à ce scénario un peu convenu et sans conséquence. Une nuit passée au bord de la Mer Noire donne nonobstant des envies de voyage.

Charlie Countryman de Fredrik Bond
Un premier film qui pourrait être drôle au 151e degré s’il ne se prenait finalement trop au sérieux. En bref, une première réalisation n’importe nawak envahie par la volatile personnalité de Shia LaBeouf qui semble surestimer un talent qui tient ici tout entier dans ses cheveux gras et sa triste figure. Taisons nous charitablement sur cette pauvrette de Evan Rachel Wood dotée d’un accent improbable. Quant à Mads Mikkelsen , il semble perpétuellement se demander ce qu’il fiche là. Nous aussi.

La chambre bleue de Mathieu Amalric
Aux antipodes de Tournée et de ses chaleureuses adeptes du New Burlesque, Mathieu Amalric filme Simenon et sa glaciale passion fatale en offrant un somptueux écrin au nouvel amour de sa vie, l’étonnante Stéphanie Cléau. Autopsiant drap après drame les méandres d’une relation adultère aussi toxique que mensongère (du côté du mâle), il nous entraîne à la suite d’un couple meurtrier (mais qui a tué ? qui a laissé faire ? qui est complice ou victime ? au spectateur est laissé le soin de juger sur pièces) qui ne résistera pas à la froide raideur de la justice. Une adaptation intelligente et un excellent quatuor d’acteurs. Du bel ouvrage en somme.

The homesman de Tommy Lee Jones
Tommy Lee Jones, dans cet ode à la femme, à son courage et ses souffrances, égratigne généreusement la lâcheté et la violence masculines tout en s’offrant un rôle de pauvre type, momentanément atteint par la grâce. Du moins, tant qu’il se sent soutenu par la volonté d’une femme hors du commun, remarquablement interprétée par Hilary Swank qui retrouve enfin un vrai rôle à sa hauteur en cette célibataire acariâtre et tranchante à force d’indépendance et de combats incessants contre la nature et l’inconstance des hommes.

Maps to the stars de David Cronenberg
Maps to the stars se voudrait satirique mais n’est que ricanement. Hollywood devenue depuis des temps anciens la caricature d’elle-même, est-il nécessaire d’en rajouter encore dans l’ignominieux ? Evacuant le couple-phare du film, porteur de souffrances et de profonde mélancolie, soit les parents incestueux de Mia Wasikowska et d’un enfant-star pourri jusqu’à la moelle incarné par Evan Bird et qu’on aurait bien balancé avec l’eau du bain, le scénario préfère en rajouter dans l’outrance et le stupide. Seule Julianne Moore, qui ne craint rien ni personne et encore moins le passage du temps, réussit dans un rôle qui pourtant ne l’épargne guère, à donner de sa personne dans le rôle d’une enfant triste trop vite grandie, demeurée nonobstant au stade anal, qui n’accèdera au firmament des stars qu’au prix d’une misérable fin. Tristesse à nulle autre pareille. Vincente Minnelli, je crie ton nom !

X-Men: Days of future past de Bryan Singer
Opus bordélique et souvent confus. Bryan Singer revenu aux affaires chez les X-Men tente d’en coller plein la vue et y réussit parfois. Notamment dans ce qui restera LA scène du film, l’intronisation de Quicksilver en 3600 images/seconde qui apporte un supplément d’humour et d’âme à cette super production bourrée de mutants jusqu’à la gueule. Ou en recentrant l’histoire sur les problèmes de couple de Magneto et Raven. A part ça, les vieux de la vieille surnagent, Peter Dinklage s’est échappé de Game of thrones, Hugh Jackman est en pleine(s) forme(s) et possède un fondement musclé des plus attrayants, Omar porte admirablement les dreads et Michael Fassbender, le Borsalino.

Maléfique/Maleficent de Robert Stromberg
On pouvait craindre le pire. Surtout que le film ressemble parfois à un bon gros gâteau bien trop crémeux. Finalement, le plaisir est intact. Le mérite à un excellent scénario, mélange adroit de divers contes, un humour et une mélancolie mêlées et une Angelina Jolie qui se taille la part de la lionne, aussi crédible en naïve amoureuse qu’en marraine malfaisante qui perd peu à peu pied devant la bonté naturelle et l’amour vrai que lui porte sa filleule, la choupinette Elle Fanning. Jamais baiser ne fut plus libérateur. Une excellente surprise.

Ugly de Anurag Kashyap
Découvert en 2013 au Forum des images lors de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs. Jamais film n’a aussi bien porté son nom. Il faut avoir le cœur bien accroché pour suivre sans haut-le-cœur les diverses péripéties vécues par des personnages tout autant ignobles les uns que les autres (du kidnappeur à la mère de famille) qui se trouvent plongés dans le drame le plus effroyable qu’il soit donné de vivre, l’enlèvement d’une fillette au cœur de Bombay. Après Gangs of Wasseypur qui contenait déjà son quota de violence crue au sein de familles aussi dysfonctionnelles que voraces, Anurag Kashyap ausculte l’âme indienne et écharpe sans pitié les misérables pantins qui s’agitent hystériquement devant nos yeux effarés. Tandis qu’un enfant a disparu et qu’il se transforme peu à peu en une ombre au tableau. La dernière image, éprouvante, renvoie tout un chacun à sa conscience. Ugly ? Sans blague.

P’tit Quinquin de Bruno Dumont
Les 3h20 du poilant P’tit Quinquin, série commandée par Arte et saucissonnée en 4 épisodes (qui auraient sans doute gagnés à voir leur rythme resserré pour la sortie en salle), ont bénéficié d’une projection au Forum des Images lors de la reprise de la Quinzaine des réalisateurs 2014. Alleluia ! Bruno Dumont a de l’humour à revendre. Même si le drame pointe toujours insidieusement. Et de la tendresse aussi, pour les petits estropiés de la vie. En témoignent cette crapule de P’tit Quinquin, amoureux fou à la beauté cassée et sa bande, témoins de crimes rocambolesques que tentent de résoudre un couple de flics désopilant. Les répliques fusent, les spectateurs pouffent et tandis que l’ineffable commandant de gendarmerie Van der Weyden (Bernard Pruvost, génie burlesque autodidacte) se débat au cœur du mal avec son intellectuel d’adjoint Carpentier (Philippe Jore), les enfants parfois paient les pots cassés des angoisses existentielles qui les étreignent. Quand ils ne trouvent pas un exutoire à leur mortel ennui en jouant les superhéros.
Si vous avez raté le début de la rétrospective 2014 :
- Sur quelques films de janvier
- Sur quelques films de février
- Sur quelques films de mars
- Sur quelques films d’avril 1/2
- Sur quelques films d’avril 2/2
A suivre…