Focus Mathieu Seiler : Le cadeau de Stéphanie & Der Ausflug [L’Étrange Festival 2012]

Der Ausflug de Mathieu Seiler © KoboiFILM

Rencontre avec Mathieu Seiler du 8/09/2012. La journée d’hier était donc consacrée à la découverte de l’œuvre de Mathieu Seiler avec la projection de deux courts métrages Hochgenung et Girl on red couch puis du Cadeau de Stéfanie et enfin, de son petit dernier, Der Ausflug.

Et ce, dans la salle 100 du Forum des images* que ma propension à la claustrophobie commence à trouver de moins en moins engageante, surtout que je compte y passer une bonne partie de mon week-end.

Première constatation, le réalisateur fait la part belle aux femmes en devenir. Mathieu Seiler semble posséder un talent tout particulier pour filmer délicatement les très jeunes filles tout en renvoyant au spectateur ses propres phobies, voire la lubricité de ses désirs, tant il joue délicieusement avec nos pensées les plus secrètes. A chacun de juger le regard qu’il porte sur les contes de fées un tantinet pervertis — quoique de manière fort ludique — de Mathieu Seiler où d’innocentes gamines peuvent se métamorphoser en un clin d’oeil en charmants démons. Tout en conservant le mystère intrinsèque de leur féminité, sillon que le réalisateur n’a pas fini de creuser tant ses personnages demeurent toujours hors d’atteinte et parfaitement énigmatiques. Pour nous achever, il est bon de préciser que le soin tout particulier apporté à l’image et au son emporte définitivement l’adhésion.

Si dans Hochgenung**, les compagnons de table d’une démone rejouent aux Dix petits nègres, Girl on a red couch** met en scène une enfant solitaire qui zappe par ennui tout en léchouillant négligemment une sucette jusqu’à ce qu’elle prenne peu à peu conscience que les images qu’elle mate subrepticement ne sont guère de son âge. Et s’en effraie.

© Klusfilm Productions

Avec Le cadeau de Stéfanie/Stefanies Geschenkt réalisé en 1995 pour une somme dérisoire, on entre enfin au cœur du sujet des films de Mathieu Seiler, soit l’étude fantasmagorique de la psyché des adolescentes. Stéfanie, aussi, s’ennuie terriblement. Fille unique, elle fait manifestement le désespoir de ses parents et s’enfuyant à travers le miroir à la découverte du monde des adultes, n’y découvre pas que des merveilles. Tourné en noir et blanc avec une jeune actrice effarante, Soraya Da Mota, Le cadeau de Stéfanie, entre rêveries et réalité, est un conte aussi troublant que terrifiant sur la dépression enfantine et l’esprit de sacrifice.

Enfin, le magnifique Der Ausflug, d’une beauté visuelle à couper le souffle, égrène une partition sans faute sur le double thème de l’évolution et la contamination. Débutant comme une variation moderne du petit chaperon rouge où nous accompagnons l’excursion en forêt d’une famille en crise — une petite fille se trouve prise en étau entre ses parents et sa tante, trois adultes dont elle ne peut saisir la complexité retorse des sentiments qui les unissent — Der Ausflug se révèle un conte fort savoureux sur la découverte de soi — donc, de son ennemi intime — qui joue sur nos attentes tout en les contrariant ironiquement et quelques craintes bien masculines.

Ces femmes qui courent — à leur corps et esprit prétendument défendant — avec les loups évoquent autant l’enfant sauvage de La compagnie des loups de Neil Jordan_1984 que — d’une façon bien plus délicate et subtile — la femme-mère nature de Antichrist de Lars Von Trier_2009 (mais également dans une moindre mesure, comme l’a fait remarquer Frédéric Temps lors de sa présentation, Innocence de Lucile Hadzihalilović_2004, notamment en ce qui concerne la prescience enfantine de la transformation à venir).

La forêt dans laquelle s’égarent nos infortunées est tour à tour décrite comme un labyrinthe où se perdre corps et biens, puis comme terrain de jeu où se fondre pour échapper aux chasseurs et ce, pour mieux les écharper mon enfant.

© KoboiFILM

Les projections ont été suivies d’un Q&A avec Mathieu Seiler qui tourne actuellement un nouveau film, mais s’est déplacé à l’occasion de cette rétrospective**. Passons sur les interrogations de certains spectateurs qui confondent érotisme et sensualité car, certes, le débat s’annonçait passionnant mais aurait nécessité une très grande disponibilité et du metteur en scène et surtout du public, bassement pressé par l’horaire tardif. Nonobstant, quelque soit l’âge des enfants qui hantent ses films, Mathieu Seiler s’est défendu de les traiter différemment des comédiens adultes et a adroitement éludé quelques insinuations de fort méchant aloi en établissant définitivement la frontière préexistante entre un acteur et le personnage qu’il interprète. Et de fait, en occultant le fabuleux pouvoir de suggestion de ses cauchemars féériques.

S’étendant sur la non distribution de ses films, le réalisateur s’est toutefois défendu d’être censuré pour cause de sujets « sensibles ». Toujours est-il qu’ayant appris que Der Ausflug a été — comme manifestement toutes ses œuvres — autoproduit pour la modique somme de 8 000 euros et tourné en seulement trois semaines (la post-production s’est étalée quant à elle sur une année), on peut estimer que le film pourrait devenir un excellent cas d’école au vu du résultat : cisèlement du scénario, esthétisme de la mise en scène fourmillant de détails incongrus et extraordinaire travail effectué sur la bande son.

Mathieu Seiler n’a pas tari d’éloges sur ses collaborateurs directs et ses actrices, souvent dénichées à l’occasion de castings parfaitement sauvages qu’il a qualifié de « chanceux », qui travaillent tous en participation. A propos des rôles principaux attribués automatiquement à la gente féminine, le réalisateur a rétorqué, amusante pirouette s’il en est qui devrait combler les féministes de tous poils, que la femme étant à l’origine du monde, elle était donc normal qu’elle soit la première créature à laquelle il songe lors du processus d’écriture.

En bref, disponibilité, gentillesse, humilité et humour ont caractérisé cette rencontre et l’on peut remercier les défricheurs de L’Etrange Festival de cette superbe programmation, tout en se disant en loucedé que l’on lapiderait bien Frédéric Temps avec les cailloux du petit Poucet pour ne pas nous avoir proposé cette année une intégrale*** en lieu et place de cette rétrospective des plus alléchantes qui nous laisse nonobstant épouvantablement sur notre faim, les films de Mathieu Seiler étant parfaitement INVISIBLES, y compris dans son propre pays. Un comble.

* où j’ai croisé le taulier de The end que l’on peut lire à l’occasion chez 1kult et que je salue ici (à lire également, le texte de Sylvain Perret sur Stefanies Geschenkt)
** respectivement connus sous les titres de Der morgen_1992 et Orangen_1993 si l’on en croit imdb
*** manquaient donc à l’appel deux courts métrages et Orgienhaus_2000

A suivre, le jour 8.