La vengeance est mienne. Les familiers de la saga La pivoine rouge (interprétée par Sumiko Fuji) connaissent bien la vertueuse Oryu, joueuse invétérée à l’épaule tatouée et au sens de l’honneur exacerbé, qui parcourt les routes en aidant la veuve et l’orphelin.
Réalisé par ce grand fou de Noribumi Suzuki, qui offrira l’année suivante aux amateurs de nunsploitation le bien peu catholique Le couvent de la bête sacrée, le brutal Sex & Fury en est un des rejetons pervers et sexy. Autrement plus sanglant, aussi. Les deux actrices principales de cette pelloche de la Toei estampillée « Pinky violence » — l’impeccable Reiko Ike, la japonaise et Christina Lindberg*, la suédoise à l’inénarrable garde-robe — rivalisent d’ardeur en payant volontiers de leurs charmantes personnes.
Et les coquins seront aux anges, car il ne se passe pas un combat sans que l’athlétique Reiko ne finisse invariablement entièrement nue — selon les critères en vigueur de la censure japonaise, ce qui oblige souvent le réalisateur à certaines acrobaties, voire à ne filmer que les entrechats de son héroïne en pleine danse macabre — sous des geysers de sang. Témoin, le premier engagement, où Riki/Ocho est dérangée lors de ses ablutions par une bande de malandrins nourrissant de forts sombres projets et qu’elle occit en tenue d’Eve dans un jardin enneigé.
A la recherche des assassins de son père qui a eu l’excellente idée de semer quelques indices avant d’expirer (soit trois cartes représentant un cerf, un sanglier et un papillon), Ocho, joueuse professionnelle, ne reculera devant aucun sacrifice pour tuer tous les affreux. L’un d’entre eux, résolument abject, autoproclamé spécialiste de la défloration de vierges, mourra notamment des suites d’un cunnilingus fatal.
Ocho croisera sur son chemin un « dissident », nationaliste à la mèche romantique, bien décidé à abattre une de ses cibles, coupable à ses yeux de corrompre le Japon alors en pleine politique expansionniste — nous sommes au début du XXe siècle — et une espionne à la solde d’une fripouille ((Mark Darling, parfaitement inconnu au bataillon, qui ne fera guère carrière et on ne s’en plaindra pas) qui caresse le projet de faire main basse sur le commerce des stupéfiants. La gredine a accepté ce marché de dupes à seule fin de retrouver son anarchiste, étiqueté grand amour de sa vie, et qu’Ocho trouve également fort à son goût. Tout ce joli monde, encadré de canailles de haut vol, s’affronte, se poursuit, s’entraide et se trahit selon son bon plaisir.
Il ne faut absolument pas prendre au sérieux cette abracadabrantesque histoire où Ocho, armée d’un katana, pourfend des armées de gredins — et s’en sort miraculeusement — quand elle ne se fait pas enlever par un groupe de nonnes toutes dévouées au démon de la corruption et copieusement fouetter par l’odieuse espionne occidentale (étrangement vêtue d’un ravissant mini-costume en daim) sous le regard compatissant d’un christ peint.
Bénéficiant d’un scénario solide — avec coups de théâtre de rigueur — et non dénué d’humour, le film est un festival de gros plans. Yeux effrayés, bouches tremblantes, balafre du malfaisant de service, tatouages accusateurs, rien ne manque donc, et surtout pas les corps généreux de tendres oiselles offertes à la concupiscence de mâles parfaitement répugnants. Christina, entre autres, goûte aux plaisirs saphiques quand elle n’est pas rappelée à l’ordre (sexuel) par son supérieur hiérarchique outré qu’elle fasse passer les souvenirs amoureux du bon vieux temps avant son boulot.
Noribumi Suzuki n’hésite d’ailleurs pas à interrompre parfois son histoire pleine de bruit et de fureur pour quelques envolées lyriques. Il nous est alors permis de rire sous cape, tant Christina Lindberg parait totalement hors du coup, comme en état d’hypnose permanente, ce qui n’empêche pas le réalisateur d’exploiter sa beauté poupine et d’en accentuer l’étrange grâce qu’il magnifie jusqu’à l’extravagance.
Doté d’une bande originale jazzy des plus séduisantes et empruntant autant au western (combat de regards lors d’une partie de poker au suspense haletant ou ralentis lors d’un duel sur une ligne de chemin de fer) qu’au psychédélisme (parmi les effets graphiques inédits, on retiendra la ronde d’un obi que l’on défait et la punition d’un groupe de pickpockets sur fond de vieux films en super 8), le fort inventif Sex & Fury est une BD coloriée en rouge sang, qui fait la part belle aux femmes guerrières, tout en fustigeant le monde faisandé des (faux) bourgeois s’acoquinant avec l’étranger.
Et le plan final hallucinatoire est superbe.
* L’actrice connaîtra la gloire l’année suivante grâce à son rôle — muet — dans le désormais culte « Rape and Revenge » Thriller, en grym film/They call her One Eye de Bo Arne Vibenius.
A noter. Le DVD est disponible en version originale, sous-titres anglais, sans bonus conséquent.
Female yakuza tale : Sex and Fury/Furyô anego den : Inoshika Ochô de Noribumi Suzuki_1973
avec Reiko Ike, Christina Lindberg, Akemi Negishi, Ryōko Ema, Yōko Hori et Nahomi Oka