Drive de Nicolas Winding Refn [L’Étrange Festival 2011]

Drive de Nicolas Winding Refn © Le Pacte

To live and d[r]i[v]e in LA. L’homme sans nom de Drive préfère à n’en point douter l’asphalte aux hautes plaines mais ses principes sont tout aussi persistants.

Farouchement individualiste et sans attache, le héros (Ryan prends-moi-toute-sur-la-banquette-arrière Gosling) du premier film américain de Nicolas Winding Refn a la moralité bien élastique. Seules semblent compter pour lui l’adrénaline, l’ivresse de la conduite, l’échappée belle.

Garagiste pour la galerie, cascadeur/doublure pour quelques panouilles cinématographiques, cet as du volant arrondit ses fins de mois en acceptant des contrats dont le cahier des charges est soigneusement établi lors de toute prise de contact. Il conduit, rien de plus car pas d’affinité. Sa complicité s’arrête dès que s’insinue l’idée d’une quelconque implication émotionnelle dans les actes délictueux des malfaisants qui embauchent sans coup férir ce chantre de la vitesse, chirurgien du virage à double pointe, poète du carambolage et ballerine du tête-à-queue.

Et pour que son physique de joli pied tendre au sourire confondant ne trompe pas, notre homme arbore un blouson décoré d’un immense scorpion. Qui s’y frotte etc. Air connu.

Ceci posé, les règles de vie étant en général faites pour être bafouées, notre taiseux — dont on va aisément deviner peu à peu le passé tourmenté — n’en possède pas moins un cœur qui, bien qu’il restera de marbre devant des danseuses en boa ou les affriolantes formes de Christina Hendricks, va subrepticement s’embraser dès lors qu’il rencontre une voisine au charmant minois (Carey Mulligan, déjà égale à elle-même après quelques rôles, subtile certes, mais sans surprise), mère d’un jeune enfant dont le père est en prison. Et le paternel d’être libéré et de se révéler brave type comme pas deux.

Le monde est décidément bien cruel pour les êtres esseulés. Leurs histoires d’amour contrarié ne leur laissent généralement guère plus de choix que de jouer les justiciers.

De là s’ensuivent moult aventures où notre chauffeur/défenseur de la veuve et de l’orphelin croisera des dingues de la gâchette, deux mafieux égocentriques — Remettons donc un oscar à l’effarant Albert Brooks, terrifiant en parrain retors et sanguinaire et la palme du cabotinage au toujours inénarrable Ron Perlman, ogre malveillant en remettant une couche dans la puérilité psychotique — et autres compagnons d’ascenseur infortunés, qui le forceront à leurs dépens à faire ressurgir une nature qu’il s’est soigneusement employé à camoufler.

Depuis Pusher et la mise en orbite d’un Mads Mikkelsen qui n’a pas volé son prénom, Nicolas Winding Refn s’amuse à révéler la grandeur et décadence de la psyché masculine. Ici, c’est Ryan Gosling qu’il filme amoureusement et érige au rang d’icône. Qu’il fasse corps avec sa voiture ou joue du fusil à pompe, voire du marteau, l’acteur n’en finit pas d’exsuder à chaque recoin de — très beaux — plans une discrète et mâle coolitude (Steve, tu peux aller te rhabiller, merci) doublée d’un potentiel érotique affolant.

Accompagné d’une somptueuse bande sonore, Drive — hommage indéfectible aux héros solitaires des polars esthétiques et réfrigérants de Michael Mann* entre autres** —  est avant tout la description minutieuse et orgasmique d’un homme au volant (qu’on apprécierait qu’il lâche tantôt pour se préoccuper de notre carrosserie), machine au visage marmoréen dont les éclairs de violence aussi brefs qu’étourdissants ne peuvent mener qu’à sa propre perte.

Aussi virtuose qu’elle soit, sa suicidaire chevauchée mécanique — entreprise contre l’ennui ou un trouble passé — s’achèvera dans un bain de sang.

Nous extirperions-nous, épuisé(e)s mais pâmé(e)s de nos fauteuils, notre lonesome driver roule encore dans la nuit.

* Notamment Thief/Le solitaire_1981 où James Caan navigue dangereusement entre une famille à construire et des accointances mafieuses, et les déambulations nocturnes des héros télévisés de sa série Miami Vice aux génériques popissimes (Ici, ce sont des crédits d’un extravagant rose tyrien qui exaltent la noirceur de Drive).
** A lire : Cannes 2011, voitures chez Inistree

NB. Après avoir valu à Nicolas Winding Refn le prix de la mise en scène au festival de Cannes, Drive, présenté en avant-première à L’Étrange Festival 2011 — après quelques péripéties sonores dont nous rions encore —, sort ce jour sur tous les écrans de France et de Navarre.

Drive de Nicolas Winding Refn_2011
avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Albert Brooks, Ron Perlman, Bryan Cranston, Oscar Isaac et Christina Hendricks