Enfant d’Eve. Il aurait été follement judicieux qu’Eva (Tilda Swinton, impériale en desperate housewife qui ne reconnaît pas le fruit de ses entrailles) prénomme son chérubin non désiré Damien en lieu et place de Kevin car ce damné lardon est une vraie malédiction.
Pourtant Kevin n’est pas le fils caché du diable mais bien le rejeton quelque peu insolent d’un couple d’américains moyens : mère au foyer ayant abandonné toutes velléités de carrière depuis la mise au monde d’un enfant rien moins que désiré et père — l’excellent John C. Reilly lui prête sa bonne bouille de poupon prématurément vieilli — souvent absent, un poil laxiste et foncièrement aveugle qui tient tant à la tranquillité de son foyer qu’il prend ironiquement pour une éternelle dépression post-partum les émois de son épouse quant à la nature diabolique de leur fiston qui, sous le déguisement de Robin des Bois, la prend si malicieusement pour cible.
Faut-il tant d’amour désintéressé et de bonne volonté à cette sainte pour supporter ce maudit petit chieur — à prendre au sens propre (rires) — ? D’ailleurs, Eva ne noircit-elle pas sciemment le portrait de son têtard ? Qu’elle soit ravagée par la culpabilité d’avoir mis au monde un psychopathe, ou pour éventuellement se dédouaner de lui avoir donné une si mauvaise éducation, peu importe. Le mystère reste entier et ce n’est pas la moindre des qualités de ce drame familial virant subrepticement au récit d’horreur absolue.
Dès le début, Lynne Ramsey annonce la couleur. Elle sera écarlate. Qu’il s’agisse de la boue de laquelle se libère triomphalement dans ses cauchemars une Eva esseulée et agoraphobe, de la peinture qui macule les murs de sa nouvelle résidence souillés par des mains anonymes et vengeresses ou du sang versé par le fils tant redouté (la réalisatrice aura la décence de nous épargner le massacre), le rouge est définitivement mis sur cette haine passionnelle liant une mère à son enfant.
Pour un peu, l’on pourrait croire que ce film effarant est un appel à l’infanticide, le « sweet little boy » à son papa développant au cours des années des trésors d’imagination pour pourrir obstinément l’existence de sa génitrice. Qui n’aura de cesse de rechercher une explication logique à un geste somme toute devenu fort banal en ces merveilleuses banlieues américaines déshumanisées.
Et le chenapan d’avoir enfin toute son attention alors que depuis sa naissance, n’ayant pu vraisemblablement crever sa mère en couches, il a entamé avec elle un pas de deux pervers sans issue, sinon l’anéantissement des deux camps.
Après quelques fous rires nerveux devant les machinations du méchant petit diable pour endormir le papa gâteau et torturer la maman martyr, on se dit qu’au pire Eva aurait pu balancer le bambin avec l’eau de son bain, au mieux le coller dans une institution spécialisée qui se serait chargée d’inculquer un peu de bienséance à ce fripon qui joue admirablement à l’autiste mais n’en oublie pas de tourmenter à loisir celle qui n’a finalement eu que le tort de le faire naitre.
La (première) maternité selon Lynne Ramsay n’est manifestement pas une partie de plaisir, pour peu qu’elle n’ait pas été délibérément souhaitée. Son film peut également être décrypté comme un scanner de la psyché d’une mère ayant enfanté trop tôt et hantée par la généreuse idée de devoir être parfaite. Mais les enfants le sont-ils jamais ?
La réalisatrice prend soin de ne s’attacher qu’aux souvenirs (aux fantasmes ?) de sa tragique héroïne et passe ainsi de flashbacks somnambuliques à la violence de l’ostracisme qui régit désormais sa vie par des ruptures de ton aussi brusques que déstabilisantes. De là, parfois, une narration d’une trop grande prévisibilité qui peut prêter à sourire.
Cette immense tige — qui plie souvent mais ne rompt pas — équilibriste de Tilda Swinton semble constamment tanguer entre paranoïa et dépression, toujours prête à chuter. Son jeu fin et racé en devient un objet de fascination qui nous éloigne de temps à autre du sujet. Face à elle, Ezra Miller (qui a déjà sévi dans Afterschool d’Antonio Campos_2008) ne démérite pas en petite vermine au visage d’ange déchu.
Pour conclure, We need to talk about Kevin est un excellent film d’épouvante à conseiller à toutes celles qui souhaitent (ou pas) devenir mère. Pour y réfléchir à deux fois et prendre leur décision l’esprit serein et en toute connaissance de cause. On n’a jamais que les enfants que l’on mérite. Foi d’Eva.
NB. Film projeté dans le cadre de l’avant-première Positif au Forum des images.
We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay_2010
avec Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller, Jasper Newell, Rock Duer, Ashley Gerasimovich, Alex Manette, Kenneth Franklin, Paul Diomede et Mark Elliot Wilson