The Thief de Russell Rouse [L’Étrange Festival 2011]

L’œil de Ray Milland dans The thief/L'espion de Russell Rouse © Harry Popkin Productions

Haute trahison. Diable, qu’être espion doit être fichtrement ennuyeux !

C’est ce que l’on se prend à songer in petto lorsque pour la troisième fois consécutive on observe le fameux voleur du titre réitérer mécaniquement les mêmes actes dont nous avons déjà été témoins : attendre dans un appartement vide un hypothétique signal téléphonique, sortir, regarder par dessus son épaule, fixer son contact d’un regard vide, ramasser un papier jeté négligemment dans la rue, ouvrir le coffre d’un collègue (The Thief dont s’agit est semble-t-il une sommité dans la physique nucléaire), y photographier des documents, jeter un œil aux alentours, aller à la bibliothèque publique de New York, lancer un regard torve à son rendez-vous, planquer le microfilm, risquer l’attaque cardiaque, puis sortir l’air de rien tandis que l’objet se met à vivre une aventure palpitante, passant de mains en mains jusqu’à sa destination finale, la classe touriste d’un cargo en partance pour l’Egypte. Et tout ceci, sans un mot, un soupir, voire un cri (ou presque).

Seule la musique d’Herschel Burke Gilbert (nominé pour un Oscar qui sera remporté par Dimitri Tiomkin pour Le train sifflera trois fois) rythme les événements, le suspense (ah! l’appareil oublié sur la table d’un scientifique qui, myope comme une taupe, revient impromptu chercher des lunettes oubliées) et l’existence solitaire de ce pauvre type — Nous sommes en pleine guerre froide où la paranoïa bat son plein — dont nous ignorerons jusqu’au bout le mobile. Espion dormant d’une puissance étrangère ? Victime d’un lavage de cerveau, d’un chantage ? Peu importe finalement au réalisateur qui abat consciencieusement ses cartes — dans une magnifique photographie signée Sam Leavitt — tout en respectant le cahier des charges du à tout film noir qui se respecte. Avec un truc en plus, pour se distinguer de la production ambiante et tenter de subjuguer le spectateur : aucune parole ne sera prononcée durant une heure et demie.

Mission réussie, quoique le procédé puisse parfois prêter à sourire, notamment dans une tentative de séduction de The girl — Rita Gam —, cuisses de velours et yeux de braise, qui entame avec notre héros désormais sur le qui-vive un tout aussi silencieux jeu du chat et de la souris.

La pilule aurait cependant été difficile à avaler sans la subtile interprétation de Ray Milland, solide second rôle à la beauté un poil déplaisante et au regard fatigué (l’alcoolique du Poison/The lost week-end de Billy Wilder, c’était lui ; le misérable époux de Grace Kelly dans Dial M for Murder d’Alfred Hitchcock, aussi) que sa pitoyable et routinière activité, mise brusquement à mal par un stupide accident de la circulation, enferre peu à peu dans un délire de la persécution.

Et l’on finit par se laisser hypnotiser par sa danse fatale qui nous laissera épuisés au 102ème étage de l’empire state building, après une course effrénée vers une impasse où notre espion atteint le point de non retour.

Sans effets de manche, ni climax insoutenable, Russell Rouse réussit le tour de force de nous hypnotiser lentement et ô grand surtout, de nous faire prendre faits et cause pour son (traitre de) héros, qui dès lors qu’il n’est plus invisible aux yeux des autres, voit sa raison d’être bouleversée.

Regrettons alors une fin des plus moralistes (réduisant brusquement le film à de la propagande anti-rouge), l’homme étant manifestement rattrapé par sa conscience. Dommage.

A NOTER. Projeté dans le cadre des pépites de l’étrange, The thiefbénéficie d’une deuxième diffusion à L’Etrange Festival en fin de soirée le mercredi 7 septembre.

The Thief/L’espion de Russell Rouse_1952
avec Ray Milland, Martin Gabel, Harry Bronson, Rita Vale, Rex O’Malley et Rita Gam