Jan Švankmajer ou l’appréhension du réel 1. Survivre à sa vie (théorie et pratique)

Survivre à sa vie (Théorie et pratique) de Jan Švankmajer © Athanor

L’intégrale Jan Švankmajer a donc débutée hier au Forum des images dans une salle plus que comble où était présentée en avant-première et en présence du réalisateur, une charge féroce contre la psychanalyse, Survivre à sa vie (Théorie et pratique)/Prezít svuj zivot (teorie a praxe)_2010.

De l’inconvénient, parfois, d’être là.

Jan Švankmajer a joué courte sa première apparition, préférant avertir fort malicieusement le public qu’outre que son film n’avait rien de particulièrement drôle, il était inutile qu’il se fasse l’écho de son prologue où tout avait déjà été dit.

Effectivement, en guise d’introduction, Jan Švankmajer se filmant en papier découpé prévient que pour des raisons de restriction de budget — et de son impossibilité à gagner à la loterie nationale, obsession récurrente des protagonistes —, son film a été réalisé en bouts de ficelles et en photos d’acteurs qui parlent (qui jouent aussi bien que les vrais mais coûtent nettement moins chers en nourriture).

La déconstruction de la vie d’Eugène, dépressif héros de Survivre à sa vie (Théorie et pratique) peut donc débuter.

En un mot, ce brave type tombe — dans un rêve ! — éperdument amoureux d’une femme qui porte le prénom de sa mère et, en proie à un doute existentiel, démarre une analyse plus que sauvage tout en menant désormais, quasiment à son corps défendant, une double vie. Petit employé étriqué et mari aimant quoique peu enthousiaste de la libido dans une lugubre et kafkaïenne réalité, amant fougueux et passionné dès qu’il retrouve sa Julie qui change d’identité au gré de ses envies, tel une belle au bois dormant qui se réveillerait enfin d’un long cauchemar, notre rêveur fou, comme abasourdi par sa propre audace, se réapproprie sa vie.

Survivre à sa vie (théorie et pratique) serait — si l’on en croit le réalisateur qui s’est exprimé à Venise où le film était présenté hors compétition – son dernier film. Pouvant s’appréhender comme un testament cinématographique, il rassemble toutes les fameuses obsessions du cinéaste — découpages, grosse bouffe, langues charnues, femmes nues à tête de poule, amour fou — sur ce ton paillard et grinçant qui caractérise son œuvre.

Il faut bien évidemment laisser au vestiaire tout cartésianisme et accepter de passer de l’humain à la machine, de l’organique au noir et blanc, de la chair au dessin.

Si l’on rit tout de même beaucoup — et notamment par la grâce d’une homérique bataille entre Freud et Jung dont les portraits veillent comme deux Pythies au bon déroulement des analyses— aux aventures psychanalytiques d’Eugène, ce qui frappe avant tout dans cette accumulation de symboles c’est la terrible angoisse qui sourd de chaque photomontage animé, accentué par de dégoutants gros plans récurrents sur les bouches des personnages atteints de diarrhée verbale.

Dans un pays où la parole fut interdite, où d’immenses oreilles vous écoutent, où des humains vivent comme des chiens, voire l’inverse, où l’on applaudit le moindre de vos faits et gestes épiés par des yeux démesurés, où l’on vous file, où l’on torture des enfants, où l’on complote, où l’on corrompt, où les êtres disparaissent avalés par d’étranges monstres protéiformes, là vécut Jan Švankmajer.

Et il ne s’en est manifestement pas tout à fait remis. Tout en gardant, grâce à une imagination débordante et une ironie sans faille, cette insoutenable légèreté de l’être tant vantée par Kundera.

Survivre à sa vie (Théorie et pratique)/Prezít svuj zivot (teorie a praxe) de Jan Švankmajer_2010
avec Václav Helšus, Klára Issová et Zuzanna Kronerova