Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu de Woody Allen

Antonio Banderas & Naomi Watts dans Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu de Woody Allen © Warner Bros.

La proie pour l’ombre. Damned ! Woddy Allen devient satanément méchant avec l’âge. Et à l’aune des couples qui se défont à l’écran sous les prétextes les plus futiles, nous sommes en droit de nous poser des questions sur le bonheur conjugal dans lequel baigne ce brave homme…

A moins qu’il n’ait été contaminé par Larry David, cynisme sur pattes croisé dans Whatever Works, son précédent opus qui ne tenait justement que par l’intérêt que l’on pouvait porter à son interprète principal.

Ici, comment diable appréhender la misanthropie du réalisateur et se passionner pour les pantins qui s’agitent mollement, dont le moindre battement de cils est légendé par une insupportable voix off qui, après avoir cité le malheureux Macbeth* — excusez du peu — narre ce qui se déroule sous nos yeux comme si nous étions trop stupides pour perdre le fil d’une histoire d’une simplicité biblique, soit la pathétique existence d’une bande d’insatisfaits chroniques soupirant perpétuellement devant leur verre à moitié vide et reluquant éhontément l’assiette du voisin. Etude entomologique de grotesques créatures qui peut captiver certes, mais où il est néanmoins éprouvant d’observer avec quelle gourmandise notre nouvel Alceste se repait de la mesquinerie de ses personnages.

Retourné dans une Angleterre d’une tristesse à pleurer — et fleurant quelque peu la naphtaline — Wooddy Allen n’a pas oublié de s’offrir quelques stars qui ne sortent guère grandis de l’expérience.

Anthony Hopkins (qui peine à nous émouvoir armé de ses pilules de viagra), estimant insupportable l’idée de son trépas, plaque sa vieille épouse (la délicieusement excentrique Gemma Jones, véritable pilier du film) et s’entiche d’une créature (Lucy Punch, supportable quinze minutes chrono dans un rôle devenu habituel chez Allen de la blonde crétine mais pas trop) dont il espère un enfant pour devenir immortel.

Naomi Watts, présumée artiste et femme de goût, veut fonder une famille avec son écrivain raté d’époux et pour ce, s’humilie périodiquement, et devant sa mère qui l’entretient, et devant son patron (cliché ambulant du latin lover à qui Antonio Banderas essaie vainement d’offrir quelque ambigüité) dont elle s’est entichée.

Josh Brolin — l’époux velléitaire et butineur de Naomi — est un des rares à ne pas être soluble dans la médiocrité ambiante. Son interprétation brute d’un parfait imposteur prêt à toutes les extrémités pour s’offrir ce dont il a envie dans l’instant, fut-ce une femme, est fascinante. Affublé de quelques poignées d’amour qu’il n’hésite pas à exhiber et d’une invraisemblable moumoute, il est au cœur de la seule scène profondément troublante du film. Mateur de demoiselles à ses nombreux moments perdus, une fois installée chez sa nouvelle bonne amie, ne le surprend-on pas à épier subrepticement le déshabillage de son épouse ? Malheureusement la scène tourne court, le réalisateur ne souhaitant pas s’étendre sur le sujet du voyeurisme mais simplement rajouter une pierre à l’édifice du concept qui tient tout son film. CQFD, causer de sots qui songent perpétuellement que l’herbe est plus verte ailleurs.

Accessoirement, Freida Pinto est l’inconstante de service et fait très jolie dans le décor…

Pour en finir avec Brolin, l’acteur se révèle être aussi à l’aise dans le drame (l’infamie dont il va se rendre coupable sans éprouver le moindre remords — voler un mort, la belle affaire !) que dans la comédie pure. On en viendrait presque à plaindre cet opportuniste d’avoir à affronter la folie douce de sa belle-mère. Les échanges hystériques qui l’opposent alors avec la fantasque Gemma Jones sont résolument hilarants.

Totalement à côté de ses pompes depuis qu’elle a été échangée contre une cagole, trouvant l’apaisement au fond des bouteilles ou à la table d’une Madame Irma qui lui permet d’entretenir ses petites illusions, Gemma Jones joue une partition charmante et bien plus subtile que ses compères. Partie obstinément à la rencontre du bel et sombre inconnu que lui ont promis les cartes, c’est la seule à accepter gracieusement les frêles cadeaux que lui offre encore la vie, alors que les enfants gâtés qui la cernent se noient dans leur égoïsme. Manifestement, toute la tendresse de Woody Allen lui est acquise. Ainsi qu’au doux dingue (Roger Ashton-Griffiths) en ligne directe avec le ciel qui demeure à ses côtés. Pour un peu, ils s’envoleraient tous deux sur un balai qu’on ne s’en étonnerait guère. Mais non, rien de tel.

Les petits jeux de l’humiliation, de la trahison et du hasard se finissent abruptement, coupant court à la curiosité que nous ont inspiré certains coups de théâtre croustillants qui auraient bien mérités d’être narrés, et ce, en guise de cadeau de consolation pour avoir notamment supporté un début de film franchement poussif.

Le sens de la vie made in Woody se révèle nettement moins absurde ou extravagant que celui des Frères Coen ou des Monty Python. Se dégagerait plutôt de cette sombre aventure pas très belle un étrange sentiment d’impuissance et un arôme de vieillesse déliquescente qui effarent plus qu’ils n’amusent. Nobody’s perfect, donc.

* Life’s but a walking shadow, a poor player who struts and frets his hour upon the stage and is heard no more. It is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing. Shakespeare

Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu/You will meet a tall dark stranger de Woody Allen_2010
avec Naomi Watts, Josh Brolin, Anthony Hopkins, Antonio Banderas, Gemma Jones, Freida Pinto, Roger Ashton-Griffiths, Lucy Punch, Pauline Collins et Anupam Kher