Ouverture manquée, danse, favela et nouveau western. En avant toute ! Pour sûr, un festival qui débute le 1er avril a tout l’air d’une bonne blague. Cependant les coups d’état ne s’embarrassant guère du calendrier, celui qui s’abattit sur le Brésil en 1964 eut tout loisir d’y faire son nid douillet durant près de vingt ans.
La 16e édition du Festival du Cinéma Brésilien de Paris fêtant à la fois en 2014 les 50 ans du coup qui mit fin à la république de Joao Goulart et la Coupe du monde organisée cette année par le Brésil, la thématique « Football et dictature » s’est naturellement imposée.
Pour être honnête, je ne suis pas très sport…
Mais étant encore en convalescence, je me suis décidée à visiter au débotté le Brésil durant ses années de plomb. Je ne l’ai pas regretté. Une excellente programmation dont je n’ai pas profité à 100%, mon œil gauche étant encore quelque peu en vrac et la fatigue s’insinuant dès que les 21h approchaient. Mais fi ! Je me suis tout de même régalée.
Et même si je n’ai vu que la moitié des longs métrages en compétition, je n’ai pas raté le Prix du public amplement mérité qu’a remporté Bernard Attal pour son excellente adaptation d’une nouvelle de Stefan Zweig. En guise de test, cerise sur le gâteau pour moi qui n’ai pu aller au cinéma pendant plus de six mois, je peux désormais tenir quatre films d’affilée avant que de méchants maux de tête ne rappellent mon petit « incident » à mon bon souvenir. Et selon mes mauvaises habitudes et comme il y a deux ans pour le Festival Paris Cinéma, je ne me décide à me mettre à un court compte-rendu qu’une fois le festival achevé et digéré.
1er avril. Je fais l’impasse sur la soirée d’ouverture et sur Eric Cantona, héros du documentaire Looking for Rio de Emmanuel Besnard et Gilles Perez et qui a fait le déplacement. Je m’en remettrai, le premier film prévu — Serra Pelada de Heitor Dhalia — repassant dans la semaine. Quant au foot et à la future coupe du monde, et bien, voir plus haut.
2 avril. Décidément, les actes manqués se poursuivent. J’oublie totalement la séance de 11 heures et rate un nouveau documentaire — Les rebelles du foot de Gilles Rof et Gilles Pérez — persuadée que je suis qu’il ne me faut réserver que mes après-midis. Je les passerai au fond de la superbe salle du cinéma L’Arlequin, oscillant de gauche à droite selon l’affluence.
Au programme du jour, deux documentaires et une fiction en compétition pour le prix du Public.

La bataille du Passinho/A batalha do Passinho de Emílio Domingos_2013
Duels au soleil. Pour gagner le pouvoir et le cœur des filles affirme une des intervenantes de ce documentaire rafraichissant, « il faut être soit danseur, soit dealer ».
Les jeunes issus des favelas qui inventent chaque jour de nouvelles chorégraphies funk pour mieux surprendre leurs adversaires ont choisi leur camp. S’interpellant à coups de vidéos postées sur YouTube, et rêvant plus ou moins secrètement de gloire et de reconnaissance, des gamins dont le vétéran est âgé de 23 ans — le plus jeune, Cristian, arbore une charmante bouille d’à peine 9 ans — ont attiré l’attention d’Emilio Domingos lors d’un concours de danse où il devait être juré.
De là est né le désir de ce film qui montre, si besoin était, les souhaits d’insertion et l’enthousiasme d’une jeunesse trop souvent encore mise au ban d’une société brésilienne malade de son racisme et de ses aprioris.
Dynamique et touchant, La bataille du Passinho nous plonge au cœur d’un monde peuplé de danseurs autodidactes, dotés d’un humour ravageur, se vouant tout entiers à leur passion et fort soucieux de leur look. Vêtements de marque, coiffures stylées, accessoires originaux, rien n’est trop beau pour leur permettre de vaincre — et de séduire — dans des duels étourdissants où les pas et les arabesques se doivent d’être aussi inattendus que représentatifs de la personnalité du « combattant ».
Si Emilio Domingos se voulait résolument positif et échapper aux clichés, il ne pourra malheureusement contrer le destin. Le Passinho a désormais son martyr. Gamba, peut-être le plus talentueux de tous, qui, entre la danse et « le travail qui paie les factures » avait définitivement choisi de faire une croix sur la sécurité de l’emploi, fut victime d’un meurtre crapuleux une nuit de nouvel an.
C’est à sa mémoire que trinquent ses amis partant à la conquête du monde qu’ils espèrent convertir à leurs danses frénétiques. De quelque manière que ces jeunes ou leur danse évoluent, La bataille de Passinho est un beau témoignage sur la volonté et la rage de réussir. Et ce, de bien jolie manière.
Pour en savoir plus : La fiche du film
Le réalisateur ayant fait le voyage, une petite session de questions/réponses eut lieu avec un public charmé. Emilio Domingos revint sur la genèse de son documentaire et rassura une dame inquiète. Les jeunes brésiliennes, désormais, ne se contentent plus de jouer les séductrices et/ou les cheerleaders. Elles aussi, depuis, se sont mises à la danse et aux duels. Au tour des garçons de jouer les groupies.
Un petit café après, je me retrouve à nouveau au fond de la salle pour un second documentaire qui ravive pas mal de souvenirs.
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La Cité de Dieu 10 ans après/Cidade de Deus, 10 Anos Depois de Cavi Borges et Luciano Vidigal_2013
Perdus de vue. La Cité de Dieu, réalisé par Fernando Meirelles et Kátia Lund, eut l’effet d’un uppercut sur les spectateurs quand il fut présenté hors compétition au Festival de Cannes en 2002. Interprété par plus d’une centaine de jeunes issus des favelas, le film rencontra un succès inespéré, fut nommé aux oscars et donna naissance à une série — La cité des hommes — qui fit les beaux jours de la télévision brésilienne.
Cavi Borges et Luciano Vidigal se sont lancés dans une enquête quasi policière pour retrouver dix ans après les acteurs mis sur orbite par Fernando Meirelles aux fins qu’ils témoignent de leur évolution et de l’impact que le film a eu sur leur vie, en revenant en sourdine sur le débarquement dans la folie cannoise d’une bande de gamins qui ne s’étaient jamais éloignés auparavant de leur quartier.
Choc des cultures, rêves et réalités qui se mêlent, le résultat est toujours mitigé, la chance ne frappant pas deux fois aux mêmes portes. Sans oublier qu’au Brésil, on n’entre pas dans la vie avec les mêmes armes.
Même si l’on est très loin de la destinée de Fernando Ramos da Silva, héros tragique du Pixote de Hector Babenco_1981 abattu à 19 ans par la police, il est évident que les réalisateurs, tout en restant sur un agenda bienveillant mais profondément honnête, ont préféré s’attacher à ceux qui ont su gérer intelligemment l’après-succès en remettant obstinément leurs acquis en jeu (comme Alexandre Rodriguez, le Fusée de La Cité de Dieu qui se rêvait photographe, devenu réalisateur) ou en choisissant de suivre une voie moins périlleuse et plus terre-à-terre.
Le documentaire est tout à la fois drôle et touchant, surtout quand on voit ces jeunes pères de famille présenter fièrement leur progéniture, voire bouleversant quand l’un d’entre eux avoue avoir crevé dans l’œuf une carrière prometteuse à la télévision, fatigué qu’il était de voir son paternel boire ses cachets. Ou qu’une mère s’interroge sur le destin de son fils, « disparu » après un délit.
Deux leitmotivs parcourent nonobstant le film. L’argent d’une part, nerf de la guerre et de la survie (Beaucoup, comme Alexandre qui en rit encore, regrettent d’avoir touché immédiatement leur maigre salaire au lieu d’accepter une participation sur recettes ; tous ont abandonné la quasi-totalité de leurs gains à leurs parents), la négritude de l’autre.
L’énergique Roberta Rodriguez fustige la société brésilienne en affirmant que quelle que soit votre fonction, l’épithète « noir » se doit d’y être accolé lorsque vous avez la malchance d’avoir la peau foncée et Seu Jorge lui-même, l’étoile la plus brillante accouchée par La Cité de Dieu et filmé ici en concert avec U2, est catégorique. Les femmes, les gays, ont combattu et gagné quelques droits ; les noirs, eux, en sont toujours au même point. Modeste, il assure même n’avoir été au générique du décapant La vie aquatique que parce qu’il a rempli les trois critères recherchés par Wes Anderson : acteur brésilien, musicien ET noir.
Il n’est guère étonnant donc qu’une des rares à avoir traversé les frontières — mais pour quelle réussite ? — est la naïve Alice Braga, soutenant que le baiser qu’elle échangea avec Alexandre Rodrigues est à l’origine de sa « carrière » hollywoodienne. Bien oublieuse, la charmante, du fait qu’elle ait la peau bien plus claire que le reste du casting (et accessoirement, qu’elle soit la nièce de Sonia Braga, trésor national).
Il règne sur ce documentaire une tristesse diffuse, occasionnée par le sentiment d’un gâchis irrémédiable ou d’une veine bien mal gérée. Les meilleurs moments sont bien entendu les non-angéliques, où les acteurs s’expriment sans langue de bois, ainsi Rubens Sabino, arrêté pour avoir tenté de dévaliser une vieille dame et prenant soudain conscience de la « célébrité » que lui a apporté le film par le nombre de journalistes l’attendant devant le commissariat !
Drôle et touchant, La cité de Dieu 10 ans après, est un remarquable travail sur la destinée et l’ironie de la vie qui vous téléporte en un instant d’une favela obscure à un festival de cinéma international et vous renvoie après vos 15 minutes de célébrité face à vous-même, avec la même violence et une semblable iniquité.
Pour en savoir plus : La fiche du film
Cavi Borges, de passage à Paris, se fit un plaisir de répondre aux nombreuses questions du public enthousiasmé par le travail entrepris. Quelques précisions furent données quant à la « richesse » apportée par le succès inouï que remporta La Cité de Dieu. Répondant à certaines critiques énoncées dans le film quant à la bonne fortune de Fernando Meirelles, il est de notoriété publique que les droits du film ayant été vendus, seuls les acheteurs américains ont réellement fait leur beurre de cette réussite. Quant à Meirelles, il a trouvé en Cavi Borges un défenseur de choix, ce dernier ayant bénéficié des cours de l’école de cinéma qu’il a fondée. Cavi Borges confirma qu’avec Luciano Vidigal, ils avaient décidé de ne faire intervenir qu’un nombre infime d’interviewés, désireux qu’ils étaient avant tout de mettre l’accent sur la manière dont le succès du film avait impacté leur avenir. Certains absents n’ont eu que le tort de réclamer un salaire en échange de leur témoignage. Cavi Borges, qui reviendra dans la semaine prendre des photos de la salle où a été projeté son « bébé », insista sur ce point. Qu’il s’agisse des « stars » ou des techniciens, nul n’a été rémunéré sur ce documentaire auto-produit en toute indépendance des majors et qui, pour le moment, « tourne » dans les festivals. Espérons donc qu’un distributeur français soit séduit.
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Far West brésilien/Faroeste Caboclo de René Sampaio_2013
avec Fabrício Boliveira, Isis Valverde, Felipe Abib, Antônio Calloni, Cesar Troncoso, Marcos Paulo et Flavio Bauraqui
La ballade brésilienne de Roméo et Juliette. Sur un scénario librement inspiré de la chanson Faroeste caboclo de Renato Russo, le premier film de René Sampaio nous entraine dans le sillage de João de Santo Cristo (Fabrício Boliveira, très électrique, très bien), jeune noir qui débuta fort mal dans la vie en abattant le policier responsable du meurtre de son père. Décidé à sa sortie de prison à changer sa destinée, et persuadé qu’il lui faut quitter le pays de sa naissance pour contrer le mauvais sort, il fonce sur Brasilia, ville de tous les possibles.
Quasi analphabète, il se découvre alors un talent rare et ressent un plaisir quasi sensuel à travailler le bois. Mais il est tout autant doué pour dealer de la came, aptitude qui lui vaut tout à la fois propositions d’emploi et inimitiés.
Un sens de l’honneur exacerbé, le devoir envers la famille, les mauvaises fréquentations, des flics ripoux, le fatum qui le poursuit, l’amour fou qui bientôt le lie à la vie à la mort à une jeune étudiante en architecture d’excellente extraction (la ravissante Isis Valverde), un rival camé jusqu’à l’os (Felipe Abib, croisement improbable entre le Vil Coyote de Chuck Jones et le Scarface pacinien), tout concoure à faire de son avenir un enfer sur terre. Et ses efforts n’y peuvent mais. Car il est dit qu’au Brésil, à peine mis au monde, l’homme noir est d’ores et déjà damné.
René Sampaio se garde bien toutefois d’en rajouter dans le pathos — tout en égratignant gaillardement la jeunesse dorée brésilienne et son goût prononcé pour les paradis artificiels — et l’humour constant qui parcoure le film (ainsi, le père de la bien-aimée, sénateur raciste et hautain envers le petit personnel fut-il de la force publique, manque avaler son extrait de naissance quand il rencontre son futur gendre) contribue à dédramatiser quelque peu cet amour tragique, rendu impossible par les jaloux et les malfaisants, mais néanmoins triomphant.
Sous un soleil de plomb, João et Maria Lúcia, couple magnifique, tentent de vivre leur impertinent amour en faisant fi des convenances, entre deux joints et quelques injures. Ainsi le film se paie-t-il le luxe d’user du nom de Pelé comme d’une insulte radicale, stigmatisant ainsi la couleur de peau de João, le rejetant irrémédiablement aux marges de la « bonne société » et à la périphérie de la ville, terrain propice aux duels et coups fourrés.
Superbement photographié et les figures imposées — règlements de compte, poursuites effrénées — rythmées par une musique vibrante, l’énergique et insolent de jeunesse Far West brésilien ouvre brillamment la compétition. Sans se prendre une minute au sérieux.
Pour en savoir plus : La fiche du film
Passablement épuisée par cette première journée pleine de bonheurs, de bruits et de fureur, je fais l’impasse sur le second film en compétition qui me tentait pourtant, Entre vallées de Philippe Barcinski. Un coup d’œil (le droit, le gauche étant depuis 20h aux abonnés absents) rapide au pitch et je décide de rentrer, ayant vécu assez de tragédies pour le moment. Demain est un autre jour.
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Si vous avez raté le début :