Survivre de Baltasar Kormákur [Ciné Nordica 2013]

Survivre de Baltasar Kormákur © Bac Films

Nage ou crève. Le générique annonce d’emblée la couleur. Survivre (surprenant mélange de reconstitution fantasmatique et de réalisme documentaire) est une « histoire vraie », hommage de Baltasar Kormákur aux pêcheurs islandais qui périrent lors d’une tempête hivernale dans les années 80, compagnons d’infortune de Gulli (solide Ólafur Darri Ólafsson), grand nounours balourd et introverti dont le film va nous conter la prodigieuse équipée. Sans esbroufe, ni pathos exacerbé.

Une longue scène d’exposition (une dernière beuverie avant de prendre la mer) nous présente les matelots et les liens étroits qui les unissent.

Ainsi, dès lors que le naufrage  — d’une violence et d’une rapidité inouïes, nous n’avons guère eu, tout comme les victimes, le temps de la réflexion —,  tourné en plein océan Atlantique a lieu, le réalisateur nous convie illico au chemin de croix de celui que la mer, dans une étrange bienveillance, va décider de rejeter sur la rive. C’est là que réside la grande force de Survivre. Nous accompagnons Gulli à chaque minute de son combat contre les éléments déchainés, comme si notre vie même en dépendait. Claustrophobes, s’abstenir.

De la même manière que dans Jar city, nous pouvions renifler en compagnie de l’inspecteur Erlendur les remugles des cadavres en décomposition qui jonchaient les fondations d’une maison qu’il inspectait, ici, ce sont les forces naturelles qui se déchainent et le froid intense qui endort les marins et les entraine fatalement vers le fond que Baltasar Kormakur nous somme de ressentir. Et d’encourager son miraculé à batailler contre les flots et les courants frisquets, mais tout autant contre le désespoir et l’insidieuse tentation de ne plus lutter et de se laisser couler.

Le réalisateur bien évidemment ne joue pas sur le suspense — puisque nous savons d’ores et déjà que Gulli va survivre — mais plutôt sur la résistance du bonhomme et son instinct de conservation. Tout bêtement, c’est la vie censée défiler devant les yeux dit-on de tout être arrivé au point de non-retour qui va le pousser à nager inexorablement vers son île. Subrepticement apaisé par la présence d’une mouette chaleureuse, les souvenirs d’enfance qui l’assaillent, déjà peuplés de gens désormais disparus, les regrets idiots et surtout, les ardentes images d’un volcan en éruption qui força bon nombre d’islandais à l’exil semblent être la clé du mystère que bientôt, ses semblables vont tenter de démêler.

Car cet exploit physique va se trouver décortiqué par des scientifiques en mal d’explications dès lors que Gulli rejoint enfin la terre ferme, après moult difficultés cependant, nargué par des côtes islandaises guère accueillantes pour les naufragés de tous poils.

La dernière partie du film, la plus inconcevable — et rétrospectivement la plus angoissante — de cette extraordinaire aventure humaine, est consacrée à la mise en place d’un programme de recherche sur le pourquoi du comment. Voilà notre survivant transformé en cobaye, invité à se justifier, voire à se laisser happer par la fameuse « culpabilité du survivant » et à accepter de se muer en phénomène de foire.

On préfèrera nonobstant, sans bondieuserie exacerbée, convenir que les voies de l’existence puissent être impénétrables et, sans nécessairement sous-estimer la portée du « miracle » assénée par la mère de ce héros tout à fait ordinaire, que Gulli n’a finalement survécu que parce qu’il n’en demandait pas tant.

A noter que ce film, présenté à l’occasion de la 5e édition du Festival Ciné Nordica, est sorti sur les écrans de France et de Navarre le 24 avril dernier.

Survivre/Djúpið de Baltasar Kormákur_2012
avec Ólafur Darri Ólafsson, Jóhann G. Jóhannsson, Þorbjörg Helga Þorgilsdóttir, Björn Thors et Maria Sigurdardottir