La cloche de l’enfer de Claudio Guerin [L’Étrange Festival 2011]

La cloche de l’enfer de Claudio Guerin © Les Films de la Boétie

L’ange exterminateur. La cloche de l’enfer, sous ses oripeaux de conte mi-fantastique mi-horrifique, est avant tout une critique sulfureuse du régime franquiste. Le tournage fut endeuillé par l’accident tragique qui coûta la vie à son jeune réalisateur, Claude Guérin, qui chut — ou sauta, le mystère reste entier — de l’impressionnant clocher de l’église galicienne, décor récurrent du film. Ce dernier fut alors achevé selon différentes sources par Juan Antonio Bardem, assisté du scénariste Santiago Moncada.

Tout en atmosphère malsaine et dialogues insensés, La cloche de l’enfer réussit à exploiter l’étrangeté d’un casting international (le français Renaud Verley, la suédoise Viveca Lindfors, l’espagnol Alfredo Mayo ou Christina Von Blanc bien connue des amateurs des œuvres de Jess Franco) évoluant dans de somptueux décors d’une inquiétante étrangeté.

Familles dysfonctionnelles, inceste, fétichisme, viol, pédophilie, l’Espagne — pliant encore en 1973 sous le joug d’un dictateur cacochyme — décrite ici est rien moins que reluisante. D’autant plus que le scénario, fortement inspiré des contes d’Edgar Allan Poe, nous mène, de faux semblants en cul-de-sac, délibérément en bateau. Tout en semant des indices tel un vicieux petit poucet.

Alors que Juan (Renaud Verley) est fort occupé à s’enduire le visage de cire, il est libéré opportunément de l’hôpital psychiatrique où il résidait depuis le suicide de sa mère. C’est l’occasion pour lui de retrouver une liberté toute relative puisqu’il est placé sous la tutelle de sa tante (à noter que cette grande frustrée — Viveca Lindfors, vipérine — est toutefois la mère de trois filles aussi délurées qu’inconstantes hypocrites).

La soupçonnant de convoiter son héritage, il ne va cesser de provoquer et sa charmante famille (l’une de ses cousines dont il était l’amant va bientôt s’unir à un homme remarquable) et les bourgeois des environs dont il exècre les répugnantes manières (il empêchera notamment un groupe d’hommes très convenables d’abuser d’une enfant handicapée et pauvre, deux excellentes raisons selon eux de ne pas être respectée) sans oublier le corps médical et autre curé empêcheur de (ne pas) tourner en rond.

Violemment anticlérical et profondément anarchiste, le jeune homme va ourdir une machination diabolique contre tous ceux qui tentent de le faire marcher droit.

Après un CDD éclair dans un abattoir* (n’annonce-t-il pas en rendant son tablier après avoir saigné un bœuf qu’il a « tout appris »), il va s’employer à rendre totalement siphonnées toutes les personnes qu’il rencontre par la seule grâce de farces et attrapes plutôt rudimentaires mais résolument crédibles. Ainsi s’arrachera-t-il ingénument les yeux devant une amie qui a eu le tort d’épouser un impudent malfaisant à la solde du pouvoir, avant de la quitter sur une galéjade d’un goût plus que douteux.

Film foncièrement pervers et réfrigérant à la fois, La cloche de l’enfer nous place sciemment dans l’expectative de la prochaine blague fumeuse de l’indomptable suicidaire qui lutte avec panache dans un combat sans nul doute perdu d’avance. Et c’est avec une crainte malgré tout amusée que nous suivons pas à pas le plan démoniaque de cet angélique garçon qui compte réduire ses trois cousines à l’état de bovin avant équarrissage !

Renaud Verley est absolument magnifique dans un rôle ardu de rebelle (avec une cause) mâtiné de gamin facétieux. Profondément touchant aussi, dans sa douleur d’orphelin trahi et de paria (Claude Guérin use notamment d’un home movie où déjà, sa perte est inscrite d’avance alors qu’enfant, les femelles le cernent dangereusement de tous côtés).

Aidé par une partition signée Adolfo Waltzman, le réalisateur se joue autant des spectateurs que de son héros, et convoque par une imagerie gothique (parfois au son de la comptine Frère Jacques si doucereuse qu’elle nous en flanque la chair de poule) tout un folklore fantastique, et ce, jusqu’au dernier plan. Qui nous laisse perplexe.

* Âmes sensibles s’abstenir, dans des couleurs saturées, rien ne nous est épargné du martyr du bovidé.

PS. Film présenté en version française (A noter que le film a connu une sortie vidéo sous le titre Les cloches de l’enfer) dans le cadre des Pépites de l’étrange lors de L’étrange festival 2011.

La campana del infierno/La cloche de l’enfer de Claudio Guerin_1973
avec Renaud Verley, Viveca Lindfors, Alfredo Mayo, Maribel Martin, Nuria Gimeno, Christina Von Blanc, Saturno Cerra, Susana Latour et Nicole Vesperini