HH, Hitler à Hollywood de Frédéric Sojcher

Maria de Medeiros & Micheline Presle dans HH, Hitler à Hollywood de Frédéric Sojcher © Eurozoom

Théories + complots. Comment en arrive-t-on à imaginer qu’un cruel moustachu hystérique et givré qui ne quitta jamais le continent ait pu fomenter un crime peu banal en compagnie de nababs d’Hollywood alors que l’on envisage de filmer un documentaire sur la lumineuse — belle entrée en matière de la part de Michael Lonsdale dans son propre rôle — Micheline Presle, si merveilleuse d’intelligence et de grâce ?

C’est pourtant le postulat du dernier film de Frédéric Sojcher qui envoie une Sherlock Holmes en jupons — ou plutôt en corsaires multicolores — à la poursuite d’un film disparu réalisé par un metteur en scène, exilé juif dont personne n’a jamais entendu parler, nommé Luis Aramcheck.

Inutile de chercher dans les dictionnaires du cinéma, il n’y a pas sa place. Luis Aramcheck n’est qu’un leurre, un chiffon agité devant le charmant visage de la toujours délicieuse et spirituelle Maria de Meideros aux fins qu’elle révèle au monde les affreux accords signés promettant la main mise totale d’Hollywood sur le cinéma mondial, chaque spectateur devant offrir en somme la plus grosse part de son cerveau disponible aux rêves grandioses et assassins de ce despote en pelloches lénifiantes.

Le mac guffin de Micheline, c’est ce « Je ne vous aime pas » (titre qui revient en gimmick drôlatique tout au long de ce vrai/faux documentaire) tourné durant la guerre avec Luis Aramcheck —qu’elle décrira comme un Brève rencontre* mais en beaucoup mieux, les amateurs de David Lean apprécieront — et qui ne sera jamais projeté, film et réalisateur disparaissant corps et biens durant la tourmente de la seconde guerre.

Maria, se muant bien malgré elle en détective privé, nous embarque alors dans une invraisemblable aventure faite de souvenirs, de complots insensés, de guerres économiques et de batailles rangées contre la suprématie culturelle américaine (détail d’autant plus ironique que notre charmant guide reconnaît avoir elle-même succombé aux sirènes d’outre Atlantique et devoir bien plus sa renommée à son rôle de petite amie de Bruce Willis dans Pulp fiction** qu’à ses qualités de réalisatrice, entre autres).

Mais il est parfois téméraire, voire totalement loufoque, de mettre à jour certains dossiers sensibles et de révéler les liaisons dangereuses des gouvernements d’antan, de salir la mémoire de héros aux amitiés bien peu recommandables, voire de râler sur le non respect des quotas dans les cinémas de notre belle et (trop) généreuse Europe.

On ne sait s’il faut pleurer de rire ou s’inquiéter de la santé mentale des protagonistes lorsqu’ils affirment sans pouffer qu’Adolf et Hollywood marchèrent d’un même pas en vue de mettre en place une dictature impérialiste visant à éradiquer l’idée même d’un cinéma « autre ».

Et ce, avec documents d’époque et force témoignages — ils sont venus, ils sont tous là, et notamment Wim Wenders et Emir Kusturica, dont les rêves américains furent crevés dans l’œuf par un système de studios liberticide —, discussions enflammées (notamment à Cannes où pour un hommage à une Micheline Presle impériale, chacun y va de son couplet sur l’exception culturelle), voire théories parfaitement fumeuses. Le plus extravagant de tous étant sans contexte ce diable d’Edouard Baer, aux airs de conspirateur facétieux, affirmant sans rougir à une de Medeiros abasourdie, que le chef op’ de Jean-Luc Godard était un agent de la CIA chargé de saboter l’avènement de la nouvelle vague.

Et tout le reste est à l’avenant. Totalement brindezingue. Il aura d’ailleurs suffi de remarquer le regard malicieux de Micheline Presle, honorée de ses pairs, pour ne pas prendre cette traversée de l’Europe trop au sérieux, même si parfois quelques vérités — notamment économiques — sont toujours bonnes à rappeler.

Tandis qu’elle cavale courageusement d’un pays à l’autre à la recherche d’indices cruciaux et que les témoins trépassent, voici notre Maria précédée ou poursuivie par des barbouzes peu amènes et peu à peu lâchée par toute son équipe technique. Son documentaire étant aussi fauché que le film de Frédéric Sojcher, inutile de préciser qu’elle était fort légère. Pourtant, malgré les coups du sort, notre intrépide vole vers son destin d’héroïne définitivement tragique avec la bonne humeur, la séduction et le toupet qui s’imposent.

Filmé avec le nouveau jouet en vogue — soit le Canon 5D Mark II (dont les qualités sont particulièrement vantées par Monte Hellmann*** qui l’a utilisé pour son Road to Nowhere) — HH a également la particularité d’être en couleurs et en noir et blanc, Frédéric Sojcher ayant gentiment désaturé toutes les images appartenant au passé. Décision qui rend son film encore plus étrange s’il était possible et les pantomimes de son actrice principale foncièrement délirantes.

Déclaration d’amour avouée au cinéma et à sa diversité, HH est une petite curiosité à découvrir, sur une musique de Vladimir Cosma. Et si l’on est relativement patient, Hans Meyer ne manquera pas de vous offrir une apparition mémorable en démiurge génial. La blague est goûtue, donc.

* Brief encounter de David Lean_1945 avec Celia Johnson et Trevor Howard
** Pulp fiction de Quentin Tarantino_1994
*** Cf. Sympathy for the devil, entretiens avec Emmanuel Burdeau

HH, Hitler à Hollywood/HH de Frédéric Sojcher_2010
avec Maria de Medeiros, Micheline Presle, Wim Willaert, Hans Meyer, Theodoros Angelopoulos, Edouard Baer, Nathalie Baye, Marisa Berenson, Dominique Besnehard, Toni Cecchinato, Patrick Chesnais et Manoel de Oliveira