Dans les griffes de Miss Fu Manchu. Dans les vieux quartiers de Hong Kong étrangement dépeuplés et esthétisés à outrance par Julien Carbon et Laurent Courtiaud, une sublime créature tente de s’emparer d’une potion magique sensuellement létale, celle-là même concoctée jadis par le Bourreau de Jade, ancien exécuteur des basses œuvres du premier empereur de Chine et virtuose en tortures raffinées.
La bougresse, admiratrice des beaux arts, règne en maitresse femme sur les bas fonds et le cœur de son amant, chanteur d’opéra à ses heures et tout entier dévoué à satisfaire ses moindres désirs, fussent-ils déviants.
Les nuits rouges du Bourreau de Jade, chant d’amour putride au parfum capiteux entremêlant allègrement Eros et Thanatos, pourrait à merveille composer le premier épisode de Nouveaux mystères de Hong Kong et l’on suivrait avec plaisir la suite des (més)aventures de cette criminelle de haut vol, aussi ambitieuse que cruelle, dotée d’un humour ravageur (le moment où elle déballe un attirail fabuleux d’armes blanches à la recherche du parfait objet pour mélanger son cocktail est particulièrement savoureux) et d’un manque total de principes moraux.
Les réalisateurs, manifestement sous le charme de leur actrice, la vénéneuse Carrie Ng — bien connu des amateurs des films dits de Catégorie III — qui s’en donne naturellement à cœur joie, ont concocté un particulièrement bel écrin où la monstresse peut voluptueusement s’épanouir, bercée par la musique de Seppuku Paradigm, entre dépravations sexuelles et supplices en tous genres.
Sa première apparition est à ce titre un petit joyau de perversion inédite, où l’on voit la gourmande soumettre une jeune prostituée particulièrement consentante au supplice du lit de suffocation (claustrophobes allergiques au latex, s’abstenir).
Les doigts parés de griffes démesurées que n’aurait pas renié le terrible Fu Manchu, la garce en profite pour fouiller entrailles ou dépecer vives ses victimes. En bref, Carrie est un de ces personnages vivement recommandables, nouveau génie du mal quasi invincible qui aurait fait le bonheur des feuilletons d’autrefois.
Malheur donc à qui la croise. C’est sans doute ce qu’a du penser Frédérique Bel, meurtrière dépressive parachutée à Hong Kong et totalement ignorante de l’extraordinaire valeur du trésor qu’elle a dérobé à son amant après l’avoir occis et qu’elle cherche à négocier.
Autant l’annoncer net, la blonde frigide ne fait pas le poids face à Carrie Ng, même si le jeu emprunté totalement à l’ouest de Miss Bell colle parfaitement à l’état d’hébétude que l’on peut ressentir en terre étrangère. Toutefois, ce déséquilibre entre les forces en présence ne nuit pas particulièrement au film, car avouons-le, il est toujours fascinant de voir une chatte langoureuse se jouer d’une souris, fut-elle en trench-coat et aussi archétypale qu’Alain Delon chez Jean-Pierre Melville.
Notre duo de réalisateurs fait montre d’un tel plaisir à filmer, arbore tant de références charmantes pour ceux qui apprécient le cinéma bis et son sadisme foncièrement assumé, que l’on ne peut que se laisser tenter à beaucoup d’indulgence et pardonner le fort mince canevas sur lequel Julien Carbon et Laurent Courtiaud tricotent leur manuel du parfait petit fétichiste et le fait que certains protagonistes manquent parfois terriblement de chair (humour gore).
Nonobstant la scène finale d’une grande beauté plastique qui voit s’affronter Carrie et quelques mafieux furieux (dont l’impassible Jack Kao), filmé entre cauchemar et réalité où la diablesse semble se dissoudre dans le décor pour mieux reparaître et achever sa danse fatale, est une merveille du genre.
A écouter : Les amères nuits rouges du Bourreau de Jade, rencontre entre Julien Carbon, Laurent Courtiaud et les réalisateurs d’Amer, Hélène Cattet et Bruno Forzani orchestré par MadMovies.
A voir : le site du film.
Les nuits rouges du Bourreau de Jade de Julien Carbon & Laurent Courtiaud_2009
avec Carrie Ng, Frédérique Bel, Carole Brana, Stephen Wong Cheung-Hing, Jack Kao, Kotone Amamiya et Maria Chen