Mon royaume pour un œuf dur. Résolument burlesque malgré de délicats prémices, Si tu meurs je te tue, immersion bien involontaire d’un repris de justice un tantinet à côté de ses pompes dans la communauté kurde de Paris, vivant entre traditions et modernité, est une heureuse surprise. A plus d’un titre.
Notamment, parce que le film d’Hiner Saleem permet de retrouver Jonathan Zaccaï, toujours formidablement craquant dans le rôle d’un petit délinquant pas très à cheval sur les principes — et dont on n’ose imaginer la raison de la peine qu’il vient de purger — et la superbe et troublante Golshifteh Farahani*, mais également parce qu’au travers d’une belle histoire d’amitié née de manière impromptue entre deux solitudes — l’un, Philippe, sort de prison ; l’autre, Avdal, est kurde et poursuit un criminel de guerre tout en rêvant d’un mariage parisien avec sa promise demeurée au pays — se dessine malgré les drames une merveilleuse promesse de bonheur.
Dès lors qu’Avdal disparaît brutalement**, Philippe s’emploie malgré son désarroi, à s’occuper des funérailles de son ami (entre en scène un Maurice Benichou désopilant) et à avertir la fiancée, dont la photo est le meilleur laissez-passer qui soit dans les quartiers exotiques où il s’aventure gaillardement.
Il va avoir fort à faire avec un gang de zazous kurdes — menés par le décapant Ozz Nüjen à la moquette impressionnante — tous célibataires, cousins et patriotes tombés immédiatement en amour du portrait de Siba, si belle que le mot d’ordre va être d’évincer « le français » de l’entourage de la jeune femme bien plus cultivée qu’ils ne se l’imaginent, débarquée dans la capitale*** animée d’une volonté farouche et d’un désir d’indépendance qui vont en déconcerter plus d’un, et non des moindres.
Car toute à son chagrin, elle va devoir se battre, courtoisement d’abord contre moult soupirants énamourés (les tentatives de séduction sont à se tordre) qui l’assaillent de toutes parts et moins aimablement ensuite contre le terrifiant père d’Avdal (Menderes Samancilar lui prête manières rudes et inquiétant regard), grotesque gardien de l’honneur de Siba, peinant à dénicher dans ses principes religieux et d’obscures coutumes ancestrales (marier la fiancée de l’aîné au cadet) le courage de faire face à la mort de son fils.
Sans occulter nécessairement les tragédies vécues par les peuples exilés et le poids des traditions trop souvent supporté par les femmes, Hiner Saleem trouve le ton juste, entre ironie et tendresse, pour décrire sa communauté. Aidé en cela par son actrice, d’une grâce telle qu’elle a en définitive raison du pire de ses geôliers. Naviguant en virtuose entre rires et larmes, la résilience l’emporte. Et rien d’autre ne compte, que d’avoir toujours un œuf dur à partager.
Certes, l’optimisme triomphe et la France fantasmée d’Hiner Saleem peut apparaître comme bien utopiste. Mais après tout, les contes de fée n’ont pas tant cours de nos jours que l’on ne puisse se permettre d’oser aspirer à un monde meilleur où il serait aussi facile de s’affranchir de tout ce qui nous encombre et freine nos élans de liberté, du diktat des anciens aux maudits préjugés.
* Héroïne d’A propos d’Elly d’Asghar Farhadi_2009, elle vit désormais en exil depuis que sa participation à Mensonges d’état/Bodies of lies de Ridley Scott n’a pas eu l’heur de plaire aux autorités iraniennes et lui ont valu une interdiction temporaire de sortie du territoire.
** Et l’on apprendra qu’un kurde peut trépasser d’exil ou de chagrin mais ô grand jamais de mort naturelle.
*** Apparition fugace et anecdotique de Jane Birkin. Mylène Demongeot, quant à elle, incarne la bohème et maternelle logeuse de Jonathan Zaccaï.
avec Jonathan Zaccaï, Golshifteh Farahani, Ozz Nüjen, Menderes Samancilar, Mylène Demongeot, Billey Demirtas, Maurice Benichou, Nazmi Kirik et Jane Birkin