A l’ombre du père. A l’honneur dans le second film de Raphaël Jacoulot, la figure paternelle n’attendra pas même l’aube pour en prendre un sacré coup dans l’aile. Jugeons plutôt.
Pour qui a déjà sillonné les routes sinueuses menant à Andorre, l’hôtel de luxe perdu en pleine montagne et tenu d’une main courtoise mais ferme par Jacques Couvreur — soit Jean-Pierre Bacri, au sommet de son art et que l’on n’avait plus revu depuis l’émouvant Adieu Gary de Nassim Amaouche_2009 —, ne peut être qu’un merveilleux refuge où venir se ressourcer dans une atmosphère feutrée, à moins qu’il ne soit le décor d’épouvantables crimes aisés à escamoter. Car il neige bien dru lorsque l’aventure débute et l’ascension professionnelle d’un jeune stagiaire, ex petit loubard de son état — fantastique Vincent Rottiers, qui tient la dragée haute à son aîné — va être aussi silencieuse et ouatée que l’air ambiant.
De disputes continuelles en sarcasmes dédaigneux, le drame est noué en quelques scènes. S’il est pourtant de bon ton dans la bonne bourgeoisie de ne rien laisser paraître, le mépris réciproque qui lie Couvreur à son fils (excellent Xavier Robic) prend racine dans le refus catégorique de ce dernier d’accorder ses pas à ceux de son géniteur et d’avoir donc le toupet de se ficher comme d’une guigne de reprendre l’affaire paternelle. Et ce, sous le regard désemparé de la mère qui n’en peut mais et qui subit manifestement depuis des années les effluves nauséabondes de cette haine ordinaire.
Est-ce le temps pourri, la malchance, la rage, mais le jeune homme, parti de bien mauvaise grâce faire une course pour « le patron », écrase un piéton égaré dans la tourmente. Un accident bête, en somme. Qui, déclaré, pourrait porter autant préjudice à la carrière du fiston qu’à la bonne réputation de son établissement, songe stupidement l’hôtelier. Et Jacques Couvreur de couvrir (pardon).
Et de transformer un homicide par imprudence en crime prémédité. Et de s’imaginer dans sa culpabilité grandissante qu’un gamin en fin de stage, bien plus intelligent qu’il n’y paraît de prime abord, a été témoin de la tragédie et qu’il faut le faire taire. D’une manière moins expéditive que ne le ferait un malfaisant, mais bien plus hypocrite et répugnante. Mais pas que. Avec toute l’affection nécessaire. En lui faisant miroiter un bel avenir avec CDI et un changement de statut, voire de classe sociale. En l’invitant à pénétrer son intimité*. En se laissant charmer aussi, furtivement, par la volonté et l’ambition du gamin — deux qualités qui font défaut à son propre enfant.
Ce qui fait toute la subtilité d’Avant l’aube est qu’outre une absence totale de jugement des actes de ses protagonistes, Raphaël Jacoulot ne va jamais tenter de les décrypter par moult scènes explicatives. Bien au contraire. Charge au spectateur d’en supputer les inavouables raisons.
Chacun a ses desseins que l’honnêteté réprouve et le réalisateur excelle dans la description des mesquineries quotidiennes qui entachent les rapports humains, qu’ils soient amoureux (la petite frappe va s’éloigner autant de sa compagne qu’il trouve brusquement bien fade que de ses amis qui pourraient le faire replonger dans de sales habitudes), familiaux (les couples se décomposent alors que la vérité se fait jour. Il faut bien que la neige fonde) ou professionnels (La jalousie du petit personnel face à la promotion subite du « nouveau » qu’ils ont formé, parfois rudement).
Désormais, les conséquences de la décision de Couvreur et ses atermoiements vont se jouer sur du velours, entre non-dits assourdissants et volte-face surprenantes, jusqu’à ce qu’une enquête de police — menée par la délicieuse Sylvie Testud qui vient rompre brutalement la fausse quiétude environnante par une interprétation toute en charme funambulesque — révèle la noirceur tapie au fond des âmes, éveille les (in)consciences et que ressurgissent inévitablement les liens du sang.
Cependant, bien avant que naisse l’aube, nous aurons participé à un jeu trouble où Jean Pierre Bacri et Vincent Rottiers auront goûté chacun leur tour aux rôles du chat et de la souris. Matou matois contre minet de gouttière. Rancœur et frustration contre recherche d’une idyllique figure paternelle. Protection de la famille contre pater familias indigne. Grande bourgeoisie contre le peuple. Raphaël Jacoulot tranche dans le lard. Et c’est bien bon.
* Et ce, dans une scène époustouflante de malaise rampant, puisque l’épouse, laissée dans l’ignorance, ne comprend que pouic à l’engouement soudain de son époux pour un morveux sans éducation qu’elle prend envers et contre tout pour un simple domestique qui se doit de rester à sa place. Ludmila Mikaël y est parfaite de condescendance.
Avant l’aube de Raphaël Jacoulot_2011
avec Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Ludmila Mikaël, Sylvie Testud, Xavier Robic, Céline Sallette, François Perrot, India Hair et Pierre Félix Gravière