Les amours imaginaires de Xavier Dolan

Les amours imaginaires de Xavier Dolan © MK2 Diffusion

Triple je(u). Marie (délicieuse Monia Choukri) et Francis (Xavier Dolan himself toujours affublé de ses charmantes petites quenottes) sont les meilleurs amis du monde. Marie aime les jolis garçons, et notamment Nicolas (Niels Schneider), croisé lors d’une soirée. Ça tombe merveilleusement bien car son bon copain Francis aime aussi les garçons et sa rencontre avec l’androgyne casqué d’invraisemblables boucles blondes lui a fait chavirer le cœur avec la même violence.

C’est d’un pratique, pensez donc ! une fille, deux garçons, un degré de garcitude hautement élevé, une multitude donc de rigolotes possibilités. Car il est quasi impossible de décider si l’équivoque provincial est — selon la règle de graduation établie par un quidam lors d’une scène hilarante — parfaitement « hétéro-hétéro » comme Marie ou totalement « gay-gay » comme Francis, à moins qu’il ne soit occasionnellement l’un ou l’autre, voire bisexuel, ce qui pourrait combler de bonheur nos deux complices qui vont bientôt se disputer comme d’infernales chipies les sourires et les éventuelles faveurs de leur obscur objet du désir du moment.

Car que l’on ne s’y trompe pas. Si Marie et Francis se négocient Nicolas, c’est moins pour arriver à leurs fins que pour éviter que l’autre n’y parvienne. Et toute la beauté de la chose réside plus dans le fait que nos deux amoureux solitaires sont finalement bien plus raides dingues de l’idée qu’ils se font du véritable amour (transfigurer un être aimé en fantasme ambulant) que de cet indéchiffrable éphèbe un poil fadasse et quelque peu inconsistant (dont les icônes se nomment James Dean et Audrey Hepburn), qu’ils comblent de cadeaux et finissent par habiller comme un de leurs poupons au grand bonheur d’icelui, comblé de tant d’attentions de la part de ce curieux couple qui semble tout autant le fasciner en retour.

Pour lui complaire, Francis se fait coiffer à la Dean… Manque de bol pour Marie, qui se rapprocherait plus de la beauté terrienne d’une Anna Karina (version Qu’est-ce que je peux faire ? j’sais pas quoi faire ! époque Pierrot Le Fou) que de la grâce éthérée d’Audrey Hepburn. Peu importe, la demoiselle s’habille vintage comme une desperate housewife des années 50. Francis sentant Nicolas lui échapper se branle sans vergogne dans son odeur, Marie s’encrasse compulsivement les poumons (La smoke c’est de la merde balance-t-elle à un amant occasionnel… A prononcer marde, à la Québecquoise) en Pénélope éperdue.

Et pendant ce temps là, l’indolent Nicolas, vrai Narcisse, beau et vain à la fois, accepte de demeurer en leur compagnie, dormant au milieu dans le même lit, tant qu’il a leur exclusive attention. Il n’est qu’à voir de quelle manière, après avoir observé avec l’attention d’un entomologiste scrutant un couple d’insectes, le duo se battre comme des chiffonniers, il reprend prestement la main d’un égocentrique Qui m’aime me suive avant de leur tourner le dos et de les congédier l’un et l’autre de sa vie. A jamais ? Peu importe, le temps n’a pas de prise pour l’éternelle jeunesse, l’humiliation si.

Mais ce que cet enfant unique éternellement gâté par une mère fantasque (L’excellente Anne Dorval que l’on retrouve ici en clone de Guesch Patti) ignore, est que les amis, les vrais, malgré les vacheries et les coups bas, savent se retrouver pour s’encanailler à nouveau et se lancer de nouveaux défis au détriment des inconstants qui ont eu le tort de leur remettre un court instant les pieds sur terre. Nos deux prédateurs repartiront en chasse d’un nouvel objet de fantasme, main dans la main, sourires gloutons aux lèvres, sûrs de leur bon droit et de leur éternelle amitié.

Et comme pour contrebalancer la mélancolie qui se dégage de ces jeux de l’amour qui ne doivent rien au hasard, le réalisateur complète son étude par une petite enquête sur les espoirs et/ou râteaux de quelques trentenaires en manque d’affection comme s’il espérait enfin toucher du doigt le mystère de la conquête amoureuse. Ces témoignages comme pris sur le vif, s’ils sont réjouissants (de la geekette en plein orgasme sitôt vu du bold sur son Gmail à la stratégie old school du bouquet de fleurs d’un garçon timide) ne font que surligner la perversité du divertissement orchestré par nos deux associés tombés dans les rets d’un bel indifférent.

C’est un bonbon aux couleurs acidulées mais au parfum poivré que nous offre là Xavier Dolan pour son second long métrage. Ce chenapan de 21 ans, honteusement doué, se démultiplie (histoire sans nul doute d’offrir une prise à ses détracteurs) et s’il offre un rôle en or à Monia Chokri, ne démérite pas en gamin arrogant, rôle déjà interprété dans son précédent film J’ai tué ma mère_2009 qu’il avait également produit et scénarisé. Pour Les amours imaginaires, en esthète sûr de son œil, il rajoute une autre corde à son arc, costumier (il est de ce fait seul responsable d’avoir habillé un blondinet d’un pull orange vif !).

S’essayant à l’art délicat du collage par des cut-up, des gros plans (nuque, dos, visage), des ralentis baignant dans des balades sirupeuses faisant partie de l’imaginaire collectif*, Xavier Dolan fait de son film — patchwork d’innombrables références cinématographiques parfaitement digérées — un kaléidoscope de couleurs chatoyantes (pur fantasme) rythmées d’inserts monochromes (triste réalité des coïts sans amour).

Et puis, il y a cette langue impensable, où le réalisateur, en gourmet des mots, s’en donne à cœur joie, entre patois et anglicismes, dans des dialogues qui mériteraient d’être entièrement sous-titrés pour ne pas risquer d’en perdre ne serait-ce qu’une miette.

Enfin, pour nous achever totalement après tant de beauté et d’impertinence, Xavier Dolan se paie le toupet de s’offrir en guest star la vedette de son prochain film (pour conjurer le sort ?). Un Louis Garrel dégainant (enfin !) un sourire radieux… Le cadeau ne se refuse pas.

En bref, ces Amours imaginaires au charme fou forment un film aussi léger qu’une pluie de chamallows sombrant tendrement au ralenti sur le souvenir d’un être fantasmé et aussi cruel qu’une robe vintage qui vous boudine et fane prématurément votre jeunesse.

* Soit le fameux Bang Bang repris en italien par Dalida qui revient comme un gimmick à chaque coup du sort ; s’écoutent également sur une bande originale joliment pimpante Le temps est bon d’Isabelle Pierre ou la reprise de Dreams des Cranberries par Faye Wong, quand Nicola Sirkis ne vient pas brailler 3ème sexe d’Indochine lorsque la séparation est consommée.

Les amours imaginaires de Xavier Dolan_2010
avec Monia Chokri, Xavier Dolan, Niels Schneider, Anne Dorval, Anne-Elisabeth Bossé, Eric Bruneau, Magalie Lépine-Blondeau, Olivier Morin et Perrette Souplex

Sortie le 29 septembre 2010