Afflictions. Cela fait un sacré bout de temps que Nick vit d’expédients et se noie dans l’alcool… Toute une vie, sans nul doute possible. Avec une mère ivrogne et violente (pléonasme ?), a-t-on vraiment le choix. Oui, sans doute si l’on ne développe aucun sentiment de culpabilité devant les saloperies que vous fait la vie, ou d’humanité pour le sort de ses semblables.
A voir cet ours mal léché se présenter comme orphelin, être incapable d’adresser la parole à son frère cadet et en détruire une cabine téléphonique à mains nues jusqu’à ce que bris d’os s’ensuive, on pourrait aisément croire qu’il ne ressent plus aucun intérêt pour les autres, surtout s’ils sont faibles et encore plus abimés qu’il n’est. A surprendre cette montagne de nerfs constamment au bord de l’implosion terroriser un voisin bien frêle ou profiter sans vergogne d’une voisine amoureuse au cœur trop grand et à la vertu enfuie, comment diable pourrait-on développer une empathie quelconque avec cet irascible dadais (interprété par le fort charismatique Jakob Cedergren), s’il ne semblait cacher une blessure secrète ?
Il faudra l’assassinat de cette pauvre fille par un type encore plus paumé qu’elle et surtout la rencontre avec un jeune garçon pour que Nick se décide enfin à relever peu ou prou la tête de l’eau alors que tous ceux qui le croisent sont en perte d’oxygène, que la police soit à leurs trousses, ou la poisse, ou la honte.
Si en 1998 Thomas Vinterberg (taquin co-inventeur du Dogme95 avec cet autre petit plaisantin de Lars Von Trier) nous flanquait une singulière baffe en pleine poire avec son Festen, réjouissant règlement de comptes révélant les sordides secrets d’une famille de la haute bourgeoisie, le réalisateur — après s’être égaré une bonne dizaine d’années (qui se souvient encore de l’invraisemblablement grotesque It’s all about love_2003 ?) — revient cette année aux affaires pour nous balancer un uppercut à l’estomac avec cette imparable chronique d’une rédemption annoncée, parsemée de références christiques. Le public, malmené durant deux heures, a tout intérêt à avoir cœur et organes internes bien accrochés. Il ne serait point étonnant en conséquence d’en voir certains s’enfuir prestement tant les multiples descentes aux enfers sans échappatoire possible dont nous sommes les témoins malheureux flirtent dangereusement avec le glauque et la complaisance.
Ce qui fait l’intelligence et la beauté du film est cet équilibre constant — parfois empreint d’un humour féroce — entre le sordide et le sublime, l’absence totale de pathos ou de cynisme avec laquelle Thomas Vinterberg s’emploie sur le fil du rasoir à narrer les contes de folies ordinaires de mères ogresses, familles dysfonctionnelles, âmes en peine et laissés pour compte de la société danoise contre laquelle un triste prince à la tragique destinée nous avait déjà fortement instruit. Ainsi les trois décès* (fichtrement prévisibles, là est sans doute le petit reproche à exprimer) qui jalonnent le film interviennent-ils hors champ alors que le réalisateur ne rechignent pas à nous exposer crûment à des explosions de fureurs exacerbées, dérives éthyliques ou constants shoots d’héroïne.
Il n’est d’ailleurs pas innocent que Submarino s’ouvre et se referme sur une scène de flash–back d’une douceur et d’une tendresse quasi obscène si l’on songe à ce qui nous attend entre deux. Bien glauque est la vie et bien héroïque qui s’en dédit semble nous insinuer Thomas Vinterberg et il est évident pour lui que le salut ne passera que par la nouvelle génération. Comme si l’atavisme dont se réclament Nick et son frère n’était que pur masochisme et soumission à une culpabilité judéo-chrétienne d’un autre âge.
Ainsi une des plus belles scènes du film est la rencontre digne d’un coup de foudre amoureux entre un Nick tétanisé et Martin, son neveu, garant de la bonne santé d’un père plus que faillible. Un père sans nom, qui ne semble avoir été créé que pour passer le relais entre son jeune fils et son frère ainé, seul adulte au psychisme encore relativement solide pour gagner le droit d’être sauvé.
Si l’on ajoute l’excellence de l’interprétation et le remarquable travail effectué par le réalisateur avec les quatre enfants (Sebastian Bull Sarning, Mads Broe, Gustav Fischer Kjærulff et Christian Kirk Østergaard) non-professionnels dont l’innocence et la justesse illuminent le film, les chemins inondés de mauvaises intentions et de haine de soi de Submarino sont hautement fréquentables. Car est enfin venu le temps du pardon.
Le film sort demain dans une vingtaine de cinémas de France et de Navarre. Dépressifs, camés, illuminés s’abstenir. Merci.
* Comme autant de chapitres.
Pour information, le film est une adaptation d’un roman de Jonas T. Bengtsson.
Submarino de Thomas Vinterberg_2010
avec Jakob Cedergren, Peter Plaugborg, Patricia Schumann, Morten Rose et Gustav Fischer Kjærulff
Sortie le 1er septembre 2010