La rivière Tumen de Zhang Lu [Festival Paris Cinéma 2010]

La rivière Tumen de Zhang Lu © Arizona Films

Pas un yuan d’espoir. Côté grandes échappées vers un Eldorado fantasmé, si les cubains ou les africains risquent la noyade et les mexicains la déshydratation, les nord-coréens ont manifestement la possibilité de finir comme la petite marchande d’allumettes, gelés sur la rivière Tumen qui les sépare de leurs voisins chinois.

Il n’est donc pas rare pour les habitants de cette dure et triste province située au nord-est de l’Asie de croiser des cadavres raidis par le grand froid le long de cette maudite frontière. Une des occupations favorites du jeune héros, Chang-ho, dont nous allons suivre la destinée est donc d’attendre, vautré sur la glace, que passe une âme charitable qu’il peut ensuite effrayer à peu de frais. C’est dire s’il s’ennuie.

Présenté en compétition au Festival Paris Cinéma et ce, en l’absence de son réalisateur, Zhang Lu, retenu en son charmant pays pour une vulgaire histoire de visa, La rivière Tumen a raflé le Prix du Jury (à l’unanimité et en un quart de tour si l’on en croit leur porte-parole, Eric Reinhardt) et le Prix des étudiants de la 8e édition.

Attention, ce film — tout à fait réfrigérant (le port de la doudoune est conseillé) — est d’une extrême lenteur, ce qui sied à son climat. Pour peu qu’il s’accroche, malgré le traitement minimaliste, et grâce au soin quasi obsessionnel apporté à la description de la vie peu amène qui règne en cette inamicale contrée, le spectateur tout aussi engourdi que les personnages (il n’y a qu’à remarquer de quelle molle manière une femme bafouée soufflètera le visage de sa rivale) aura un point de vue inédit sur les us et coutumes des rares habitants d’un miséreux village frontalier subsistant au rythme des émigrations clandestines d’individus encore plus pauvres et opprimés qu’eux.

Car si certains peuvent s’offrir le concours d’un passeur et de facto espérer une meilleure existence, d’autres affrontent quotidiennement le fleuve et les milices armées pour venir se ravitailler en nourriture ou en médicaments. Ainsi fait le seul ami et confident de Chang-ho qui, outre cultiver cette affection chinoise, acceptera de participer à un match de foot et accessoirement, de se faire castagner par une bande de garnements aussi désœuvrés qu’intolérants.

Zhang Lu est sans pitié (nous ne sommes pas loin de temps à autre d’un misérabilisme de mauvais aloi) lorsqu’il décrit la bassesse, le racisme sous-jacent, l’alcoolisme et le vide intérieur des villageois. Sans oublier les mensonges éhontés saupoudrés de menaces doucereuses des autorités en place. Aussi, le maire préfèrera-t-il annoncer cyniquement à ses électeurs que son octogénaire de génitrice est atteinte de la maladie d’Alzheimer plutôt que de reconnaître qu’il est à moitié coréen. Et pourtant, il y a de la grandeur dans cette femme obstinée qui désire plus que tout finir ses jours dans le pays qui l’a vu naître et qui, régulièrement, se fait arrêter et raccompagner par des soldats excédés.

Le temps semble s’être arrêté sous les frimas mais soudain, alors que l’on est en proie à une douce torpeur, les événements se précipitent et les tragédies s’enchainent jusqu’à l’insupportable. Car, si le réalisateur exalte également ce qu’il y a de meilleur chez l’homme, il ne fait nul doute pour lui que, malgré entraide, patience et compréhension, un bienfait n’est jamais rendu. En outre, l’idée d’accabler une même famille de tous les malheurs rend la fable moins digeste. De même qu’il nous faut reconnaître que le scénario est lourdement démonstratif quant à la description de certains migrants rendus fous de douleur par la famine ou le harcèlement politique.

On sait pourtant gré à Zhang Lu d’avoir pudiquement éloigné sa caméra lors de drames intimes éprouvants. Et si l’on est d’humeur optimiste, la longue scène finale, filmée comme un mirage, réchauffe quelque peu les cœurs meurtris.

Nonobstant, la véritable héroïne du film est bien cette glaciale rivière qui coule entre deux peuples, et se fige parfois, narquoise, comme pour les défier d’oser la franchir.

La rivière Tumen/Dooman River de Zhang Lu_2009
avec Cui Jian, Yin Lan, Li Jinglin, Lin Jinlong et Jin Xuansheng

Sortie le 25 août 2010