Sin Nombre de Cary Fukunaga

Sin nombre de Cary Fukunaga © Diaphana Films

Ceux qui s’exilent prendront le train. Premier long-métrage de Cary Fukunaga, Sin nombre (notamment produit par les acteurs Gael Garcia Bernal et Diego Luna) est un coup de maître et l’ambition du jeune homme laisse augurer du meilleur pour la suite de sa carrière.

Le réalisateur — après avoir obtenu les prix de la meilleure réalisation et de la meilleure direction artistique dans la catégorie « film dramatique » au Festival du Film Indépendant de Sundance en 2009 — en a profité pour rafler le prix du jury (ex-aequo avec Precious de Lee Daniels) au 35ème festival de Deauville.

Fruit de patientes recherches sur les immigrés sud-américains prêts à tout risquer pour rejoindre les Etats-Unis, éternelle terre promise de tous les damnés de la terre, Sin Nombre, très adroitement, mêle le récit de deux destinées : celles de Sayra (Paulina Gaitan, à la beauté farouche et singulière), jeune Hondurienne que son père — récent expulsé — entraîne dans son périple ferroviaire et du Mexicain Casper (Edgar Flores, nouveau venu), membre dissident de la Mara, un des gangs les plus dangereux (car tentaculaire) de l’Amérique du Sud*.

Victimes tous deux d’une inexorable (peu importe les disparus, les égarés, les retardataires) fuite en avant, c’est une rencontre imprévue (et pourtant hautement probable, puisque les migrants qui voyagent illégalement sur le toit des trains doivent faire face, au mieux aux intempéries, au pire aux dangers que représentent la loi et l’ordre — extorsion, arrestations, tir à vue —, et sont également victimes de rapines de la part des gangs) qui va faire se confronter leurs deux mondes.

Sayra a dû abandonner sa grand-mère au Honduras pour espérer connaître un meilleur avenir (comme son père l’a autrefois « oubliée » en fondant une nouvelle famille aux Etats-Unis) ; Casper, en voulant la défendre tout en vengeant l’assassinat de sa bien-aimée, la sauve d’un viol barbare et se condamne à mort. Désormais liés par ce crime de sang, les deux orphelins s’attachent l’un à l’autre et poursuivent leur périple de concert, poursuivis par l’ire des anciens compagnons d’armes du garçon. On se prend parfois à penser aux Amants de la nuit**, autre épopée d’un couple juvénile en cavale.

Et le croquemitaine qui les poursuit est un bambin au visage d’ange (Kristian Ferrer, qui rappelle quant à lui, un autre enfant perdu, Pixote***) dont on ignorera jusqu’au bout si la rage est due à une irrépressible envie d’appartenir corps — bientôt tatoué donc stigmatisant — et âme à la Mara ou n’est que le reflet du dépit d’avoir été brutalement renvoyé à sa solitude par son mentor.

Violent, mais sans complaisance ni concession aucune, Sin nombre n’en oublie pas d’exalter la beauté des paysages sud-américains. Dès le premier plan, d’un éclat terrassant (Cary Fukunaga, entre autres talents, a été directeur de la photographie sur plusieurs longs métrages), le film happe le spectateur pour ne plus le lâcher, entre suspense (nos héros parviendront-ils entre fusillades et trahisons à bon port ?) et critique sous-jacente des politiques (la corruption quasi-généralisée).

Mais s’il décrit l’absence d’avenir d’une certaine jeunesse (pauvreté, illettrisme, démission parentale) qui considère qu’hors des gangs, il n’est point de salut, et le mépris qui cerne les indigents, le réalisateur — tout en filmant de manière exquise la naissance d’un possible amour — évoque également la solidarité qui malgré tout préexiste.

Empli de compassion excluant tout paternalisme dégoulinant, Sin nombre est un film à voir, ne serait-ce que pour le subtil message d’espoir qui le porte.

* manifestement co-responsable le 2 septembre dernier de l’assassinat au Salvador de Christian Poveda qui lui a consacré un documentaire, La vida loca.
** They Live by Night de Nicholas Ray_1949.
*** Pixote : a lei do mais fraco/Pixote, la loi du plus faible d’Hector Babenco_1981, interprété par Fernando Ramos da Silva, alors âgé de 13 ans. Tombé dans la délinquance, il fut abattu par la police militaire à 20 ans. Il ne reste qu’à souhaiter à l’interprète de Smiley de connaître un sort moins funeste.

NB. Sin Nombre ne sortira en France que le 21 octobre prochain. J’ai été invitée à l’avant-première — qui s’est déroulée en présence du (charmant) réalisateur — par la grâce de l’amical coup de pouce de Chandleyr, Rob Gordon et Florian. Qu’ils en soient ici remerciés.

Sin nombre de Cary Fukunaga_2009
avec Edgar Flores, Paulina Gaitan, Kristian Ferrer, Tenoch Huerta, Gerardo Taracena, Guillermo Villegas, Diana Garcia et Damayanti Quintanar