L’enquête de Tom Tykwer

Clive Owen dans L’enquête de Tom Tykwer © Sony Pictures Releasing France

Clive et Naomi contre la World Company. Les médias nous le répètent à tour d’éditos, la banque est devenue le nouveau Satan à combattre…

Alors, s’inspirant insidieusement de l’obscène faillite qui a abattu la BCCI* en 1991, Tom Tykwer et son scénariste Eric Singer lancent Louis Salinger, un agent d’Interpol, aux trousses d’une multinationale aux activités fort peu catholiques : blanchiment d’argent, terrorisme, corruption, assassinat, sponsoring de putschs en tous genres…

Effets pervers de la mondialisation, si Lola** se contentait de courir dans les rues berlinoises pour sauver la vie de son bien-aimé, Salinger, lui, cavale de Berlin à New York après un détour par Milan pour achever sa course à Istanbul, et prévoit au passage de sauver le monde des griffes tentaculaires des cyniques qui jouent l’avenir de la planète à coups de prêts revolving.

Et c’est là que le bât blesse…

Manifestement, après une entrée en matière des plus prometteuses, Tom Tykwer n’a pas su choisir entre le traitement sérieux, voire dépressif, d’une enquête chiffrée, minutieuse, quasi-clinique et l’entertainment emballé c’est pesé d’un James Bond ou d’un Jason Bourne***, avec ce que cela implique de scènes d’action rondement orchestrées mais qui se révèlent ici tout aussi invraisemblables que le côté increvable du personnage principal.

Reconnaissons-le honnêtement, le seul intérêt de ce film est son acteur, Clive Owen, dont on apprécie une fois encore le regard perdu et mélancolique de l’intégrité faite homme. Et dès que l’histoire débute, Clive a sa tête des mauvais jours… Il n’y a guère trop de raisons à cela : 1/ c’est bientôt la fin du monde (comme dans Children of men d’Alfonso Cuarón_2006), 2/ sa femme le trompe avec Jude Law – idée saugrenue s’il en est ! – (comme Julia Roberts dans Closer de Mike Nichols_2005), 3/ il vient de se rendre compte que le scénario est cousu de fil blanc ou 4/ qu’il ne couchera pas avec Naomi Watts (la pauvrette en est réduite à jouer les utilités), ce qui peut définitivement déprimer un homme n’en doutons pas… Merci de rayer les mentions inutiles.

Ajoutons à cela des scènes de poursuites effarantes où le bouillant Salinger — ex-Scotland Yard, fils caché de Sherlock Holmes (car médecin légiste à ses heures perdues) et héritier spirituel de Colombo (pour l’imper craspec) — se balade placidement pistolet en main dans les rues milanaises ou turques sans que cela émeuve les figurants qui le cernent… Et n’oublions pas les dialogues d’un ridicule achevé et une interprétation ad hoc.

Outre la Naomi qui essaie vainement de participer, le spectateur a la joie de voir débarquer Armin Mueller-Stahl, son partenaire dans Eastern Promises de David Cronenberg_2007 (inutile que les femmes rêvassent, il n’y avait pas de scène de hammam prévue au contrat de Clive Owen…), qui se plait depuis Music Box de Costa Gavras_1990 à jouer les affreux de service dès que l’occasion lui en est offerte. Ici, en ex-crapule de la Stasi, l’acteur paraît bien las et assure le minimum syndical… Gloussements assurés devant la scène de « retournement » où ce grand naïf de Salinger en appelle à son idéal communiste.

Le grand manitou est interprété par Ulrich Thomsen (bien plus incisif en fils abusé dans Festen de Thomas Vinterberg_1998), tellement transparent en tête froide et condescendante de l’hydre financière qui nous contrôle, nous ment et nous spolie qu’il nous faut nous forcer pour y croire un peu… et éviter de s’esclaffer lorsque survient le dénouement, d’une féroce stupidité.

Le comble du copier-coller intervient lors d’un morceau de bravoure**** d’une gratuité exemplaire, soit la destruction du musée Guggenheim, éparpillé façon puzzle, par une bande de sagouins armés jusqu’aux dents et Salinger (jamais en reste quand il s’agit de faire le coup de feu) qui rappelle la cacophonie d’un Shoot’Em up***** de sinistre mémoire et rompt totalement avec une mise en scène certes un peu prévisible mais nettement plus sinueuse et discrète.

Il est en conséquence plus que temps de retirer tout flingue à Clive Owen et de le remettre à la roulette****** !

* Bank of Credit and Commerce International, fondée en 1972 et basée au Pakistan
** Lola rennt/Cours, Lola, cours de 1999 avec Franka Potente
*** Clive Owen se fait d’ailleurs abattre par Matt Damon au cours d’une bucolique et haletante chasse à l’homme dans La mémoire dans la peau/The Bourne Identity de Doug Liman_2002, premier épisode des aventures de Jason Bourne
**** Vraie fausse bonne idée que cette fusillade en règle. Il est d’ailleurs étonnant de voir cette scène mise à l’honneur sur l’affiche originale, induisant ainsi le spectateur en erreur par la présence aux côtés de Clive Owen de l’interprète féminine, totalement absente du massacre.
***** Cartoon bruyant de Michael Davis_2007 avec Clive Owen, Paul Giamatti et l’inénarrable Monica Bellucci
****** Comme dans le remarquable Croupier de Mike Hodges_1999

L’enquête/The international de Tom Tykwer_2009
avec Clive Owen, Naomi Watts, Armin Mueller-Stahl, Ulrich Thomsen, Jack McGee et Victor Slezak