Watchmen de Zack Snyder

Billy Crudup dans Watchmen - Les Gardiens de Zack Snyder © Paramount Pictures France

Souriez, vous êtes périmés. 1985… Alors que la Grande Bretagne ploie sous le joug thatchérien, le monde est stone dans l’univers parallèle sorti de l’imagination de ce sacré misanthrope d’Alan Moore – grand démolisseur de super héros devant l’éternel – et de son complice Dave Gibbons. Le temps a suspendu son vol à minuit moins cinq sur l’horloge de l’apocalypse et tous espèrent que les leaders des deux super puissances cessent de jouer à je te tiens tu me tiens par la centrale nucléaire.

Car dans cet univers alternatif, la guerre froide est d’actualité, les gros états désunis ont gagné au Vietnam et voilà que Tricky Dick Nixon (interprété par Robert Wisden grimé comme le casting de Dick Tracy de Warren Beatty_1990, et affublé du nez de notre Depardieu national) en est à son cinquième mandat — après avoir balayé d’un ricanement ces deux hurluberlus de Bernstein et Woodward — inévitablement flanqué de Kissinger et d’une soldatesque de la table ronde directement inspirée des joyeux drilles qui folâtraient dans le Dr Strangelove de Stanley Kubrick_1964.

Comment ce cauchemar a-t-il débuté ? Par un stupide incident au cours duquel un scientifique (Billy Crudup, jumeau de Jim Caviezel, en moins christique) totalement désintégré s’est réincarné tel le phœnix en une mystérieuse créature translucide, dotée de pouvoirs extraordinaires : régénération, don de seconde vue, roi de la téléportation (le capitaine Kirk et son pote Spock peuvent garder leurs pyjamas), sorte de grand Schtroumpf exhibitionniste plus connu sous le pseudonyme de Dr Manhattan et dont le gouvernement va faire son arme d’intimidation massive favorite*…

A ce vrai super héros hyper sensible (car sous toute cette électricité bat un petit cœur romantique et naissent de hautes pensées d’idéal et de fraternité), qui finira d’un pet par s’exiler sur Mars pour y créer des petits joujoux en 3D, va s’adjoindre une bande de loufdingues névrosés aux âmes de justicier, adeptes du déguisement louche et du second degré douteux. Inutile de préciser qu’ils sont tous assis à l’extrême droite d’Attila** et que leurs convictions feraient passer Dirty Harry pour un aimable gauchiste.

Ainsi Le comédien (Jeffrey Dean Morgan, clone du Javier Bardem version mocheté de Perdita Durango de Álex de la Iglesia_1997), rigolard tout en dents, est-il avant tout invétéré fumeur, alcoolique, séducteur du genre bondage, assassin à l’occasion, toujours prompt à en découdre sauvagement avec les pacifistes et a une manière toute personnelle d’échapper aux recherches en paternité… En bref, ce dégénéré est fondamentalement super infréquentable. Alors que l’affreux se fait dégommer dès le début du film, les miaulements suaves de Nat King Cole susurrant son Unforgettable en guise d’oraison funèbre, on se dit qu’il ne va pas être super regretté… Et pourtant, c’est ce meurtre qui va pousser ses anciens compagnons à sortir de la retraite où les a confinés une loi inique votée par un gouvernement ingrat.

Rorschach (excellent Jackie Earle Haley, remarqué en pédophile dans Little children de Todd Field_2007), un résidu de fausse couche, laid comme un pou et total sociopathe se camouflant sous un masque arborant le fameux test (gare à quiconque essaie de le regarder dans les taches, c’est le haut-le-cœur assuré), aurait pu comme tous les garçons méprisés par leur mère, devenir serial killer ; il a préféré faire vigilante par haine de la barbarie. Son sens de la justice expéditive ferait passer Charles Bronson pour un petit chanteur à la croix de bois. Doté d’un sens de la répartie qui tue et d’un sang-froid à toute épreuve, il se révèle surtout à l’usage super suicidaire.

Tout à sa super théorie du complot, il s’en va réveiller Hibou junior (le très mollasson Patrick Wilson***), être veule et gris, étouffé par la flamboyance de son paternel (Stephen McHattie) et plus préoccupé par sa libido que par l’idée de reprendre le flambeau. Le fiston étant une super pucelle, quel n’est pas son bonheur lorsqu’il est contacté au même moment par Le Spectre Soyeux seconde génération (Malin Akerman****, guère à son aise), fille de la super hot Sally (Carla Gugino, divine, mais que l’on voit trop peu) et accessoirement amante du Dr Manhattan.

Cette super gourdasse, renonçant à une folle nuit en compagnie des clones que son cher et tendre a créé pour s’occuper de son fameux Spectre, ne trouve rien de mieux que de se lancer à l’assaut de l’oisillon (dont les rêves mouillés mettant en scène roulage de patin sur fond de champignon atomique valent leur pesant de neutrons !) tout revigoré après un rendez-vous galant. Au programme : destruction à coup de tatanes des squelettes d’une bande d’ignobles, sauvetage d’un immeuble en flammes d’une armée de travailleurs clandestins… Bref, la routine…

Le club des gais lurons (nous tairons ici ce que cet homophobe d’Hancock de Peter Berg_2008 pense des garçons en collant) ne serait pas complet sans Ozymandias, (Matthew Goode*****), Adrian Veidt dans le civil, blondinet aux yeux bleus ressemblant à s’y méprendre à Siegfried sans son Roy, fasciné par la grandeur pharaonique de Ramsès, un joli garçon tout simple en somme, homme d’affaires sournois et super mercantile … Accompagné d’un bestiau qu’il nomme sa beauté, l’Adrian, secoué de pulsions destructrices, se la joue de préférence super zoophile pour qui la fin justifie les moyens…

Et tout ce beau monde de nous être présenté en détail : leurs blessures d’enfance, leurs (basses) œuvres, leurs problèmes psychologiques, leurs espoirs, leurs dépendances, leurs hantises, leurs (à) côtés humains, trop humains lorsque leurs masques tombent… Sans compter que flotte sur cette aventure un parfum de nihilisme exacerbé par les ruines de Ground Zero******.

Si l’on en croit les connaisseurs et amoureux du roman graphique de Moore et Gibbons, Zack Snyder a rempli son contrat. Succédant aux essais avortés de Terry Gilliam, Darren Aronofsky ou Paul Greengrass, la fidélité du script et le respect avec lequel il a abordé le comic ont été unanimement loués. On peut cependant rêver à ce qu’auraient apporté l’imagination délirante de l’ex-Monty Python ou le sens du rythme du réalisateur des aventures de Jason Bourne, mais force est de reconnaître que l’on ne s’ennuie pas une seconde lors des trois heures que dure le film.

Bien sûr, Zack Snyder (qui ne peut s’empêcher de s’autociter en un rapide clin d’œil à 300, inénarrable reconstitution de la bataille des Thermopyles orchestrée par des spartiates postillonneurs aux muscles hypertrophiés) ne peut résister à ses péchés mignons : ralentis intempestifs, effets spéciaux envahissants, mauvais goût assumé, scènes de sexe d’un ridicule achevé (ah ! cette obsession des pectoraux sculptés et fessiers rebondis…). Mais un humour noir de très bon aloi baigne toute cette tragédie à ne pas trop prendre au sérieux, sous peine de dépression immédiate.

La bande originale offre un regard distancié sur les événements et achève d’emporter notre adhésion à cette histoire pleine de bruit et de fureur qui signifie beaucoup et plus amusante qu’il n’y paraît (notamment lorsque notre chouette trouve enfin le mode d’emploi de la Soyeuse et que le Hallelujah de Leonard Cohen retentit. Ces deux-là forment le couple de super héros le plus affligeant depuis Batman et Robin !).

Réalisé dans de superbes décors signés Alex McDowell (The Crow de Alex Proyas_1994, Crying Freeman de Christophe Gans_1996, Fight Club de David Fincher_1999 ou encore Minority report de Steven Spielberg_2002), le film bénéficie d’un somptueux générique, bourré jusqu’à la gueule de références de toute beauté, bercé par The times they are A-changin’ de Bob Dylan où le réalisateur******* condense vingt années de super héroïsme parfaitement illégitime et déglingue allègrement les mythes entre crimes crapuleux, corruption généralisée, suicides et peoplisation effrénée.

Et pour les néophytes, l’auteur de ces lignes ne saurait trop leur conseiller de parcourir avec délices les 12 chapitres du comic qui leur permettront de mieux appréhender les méandres de ces troublantes chroniques des justiciers (dé)masqués…

* Ainsi, le géant bleu ira-t-il humer l’odeur du napalm au petit-déjeuner (Hélicos d’Apocalypse now et les Walkyries de Wagner de rigueur) et verra-t-il les Việt Cộngs se prosterner devant sa mâle assurance… en l’occurrence un slip Eminence poutres apparentes porté pour l’occasion. Il faut effectivement préciser que si ce bon docteur se balade la plupart du temps dans le plus simple appareil, il a une certaine tendance à se ridiculiser dès qu’il sort dans le monde, augmentant l’obscénité de sa condition inhumaine en portant caleçon ou costume trois-pièces…
** Rendons à César… La formule est de John Carpenter (Interview dans les bonus DVD d’Escape from NewYork_1981)
*** Remarqué en pédophile (décidément !) visqueux dans Hard candy de David Slade_2006 en mari infidèle et lâche irrévocablement séduit par Kate Winslet dans Little children de Todd Field_2007 et en voisin velléitaire terrorisé par Sam Jackson dans Lakeview Terrace de Neil LaBute_2008)
**** Découverte en femme très imparfaite de Ben Stiller dans le film des Farrelly, La femme de ses rêves/The Heartbreak Kid_2007 et totalement méconnaissable ici sous sa moumoute
***** Vu en brun dans Match Point de Woody Allen_2005 mais quelle fille normalement constituée remarquerait un grand dadais quand Jonathan Rhys-Meyers croise dans les parages ?
****** Watchmen éclaire d’un jour nouveau la destruction de Manhattan, et nous révèle incidemment la véritable identité de l’assassin de John F. Kennedy. Et non, ce n’était pas un mari jaloux…
******* Secondé par la société yU+Co. Le générique peut être visionné sur YouTube

Watchmen – Les Gardiens/Watchmen de Zack Snyder_2009
avec Jackie Earle Haley, Patrick Wilson, Matthew Goode, Billy Crudup, Malin Akerman, Carla Gugino, Stephen McHattie et Jeffrey Dean Morgan