Dumas en rit encore. Question : le dernier film de Danny Boyle (assisté de Loveleen Tandan, co-réalisatrice et directrice du casting) est-il : A. Emouvant B. Révoltant C. Fascinant D. Agaçant ? Réponse : il y a un piège. Quel que soit son choix, le spectateur est encore loin du compte.
Après les petits meurtres amicaux (Petits meurtres entre amis_1995), les camés nihilistes (Trainspotting_1996), l’horreur viscérale (le terrifiant 28 days later_2003) et la science-fiction (Sunshine_2007), Danny Boyle, en choisissant d’adapter Les fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devient milliardaire de Vikas Swarup, s’attaque aujourd’hui au conte de fées (très) réaliste.
Ayant gagné, par un miracle dont seul le hasard facétieux a les codes 1/ le droit de participer au fameux jeu télévisé Comment gagner des millions ? 2/ une brassée de roupies, Jamal (Dev Patel, héros de la série télévisée britannique Skins), adolescent échappé d’un bidonville, orphelin et musulman (n’en jetez plus !), est sommé par une police des plus persuasives de prouver qu’il n’a pas triché.
Sa terrible et triste histoire nous est donc narrée par le menu et, à un récit éclaté au gré des flashbacks, Danny Boyle et son scénariste (Simon Beaufoy, auteur de The full monty_1997) ont préféré une forme très linéaire : à chaque (bonne) réponse à une question ardue se profile un (mauvais) souvenir, avec en fil conducteur une seule obsession : retrouver le troisième mousquetaire, soit un grand amour perdu par la malignité d’une effarante aventure.
Cette systématisation pourrait se révéler ennuyeuse, mais emporté par une mise en scène énergique et enthousiaste, parfois truffée de quelques coquetteries de style, on finit par se passionner pour cette destinée hors normes, au romantisme échevelé parfaitement assumé.
Grâce en soit tout d’abord rendue à l’excellent casting. Le trio principal (Jamal, son frère ainé, sa bonne amie) apparaissant à trois âges importants de leur jeune existence (7, 13 et 17 ans), le choix des enfants et le travail effectué en leur compagnie forcent l’admiration tant on supporte souvent les tours de « petits singes savants » (notons par ailleurs le goût exquis du réalisateur quant à la sélection des trois interprètes du rôle féminin).
Face à eux, un malfaisant aux manières sucrées d’un pédophile (Ankur Vikal), un policier rompu à l’usage de la gégène (Irfan Khan, vu en 2007 chez Michaël Winterbottom dans A mighty heart/Un cœur invaincu et Mira Nair, The namesake) et surtout le Jean-Pierre Foucault de la télévision hindi qu’interprète Anil Kapoor, superstar en son pays, avec tant de morgue quasi haineuse que l’on finirait presque par regretter le sourire bonasse du présentateur préféré de TF1.
Slumdog millionnaire ne possède pas la naïveté naturelle des productions habituelles du système bollywoodien mais dévoile souvent, sous la farce, une noirceur vivifiante. Car si, en un ultime clin d’œil puisque l’innocence et l’amour ont triomphé de l’adversité, le générique se déroule en chanson (avec une chorégraphie toutefois fort approximative), sont épinglés les travers et les incohérences* qui secouent encore au XXIe siècle « la plus grande démocratie du monde » comme l’Inde aime à se présenter. Obscurantisme religieux et tensions communautaires, analphabétisme, surpopulation et lutte permanente des classes, exploitation des enfants et tortures policières perdurent allègrement à l’ombre des mégapoles égarées entre traditions et modernité. Et ce n’est pas la moindre des qualités du film de Danny Boyle que de nous le rappeler**.
* Pour en mesurer la portée, il suffira de lire De ma prison de Taslima Nasreen, qui fut en 2007 assignée à résidence à Calcutta « pour sa propre sécurité » selon les termes châtiés du gouvernement indien ou de se plonger dans Maximum City: Bombay lost and found, reportage sur le vif de Suketu Mehta, de retour après une absence de près de vingt ans dans la ville qui l’a vu naître…
** Outre qu’il n’hésite pas à épingler méchamment le paternalisme compatissant de certains touristes.
Slumdog Millionaire de Danny Boyle et Loveleen Tandan_2009
avec Dev Patel, Mia Drake, Freida Pinto, Anil Kapoor, Irfan Khan et Madhur Mittal