Le choc des pixels. Nous avions laissé en 2003 ce brave Eric Bana/Bruce Banner/Hulk régler son problème d’Œdipe.
Nous le retrouvons, sous les traits d’Edward Norton, alors qu’il prend des cours de self-control au Brésil, planqué dans une favela, décor idéal pour une course poursuite haletante (archi-vue en compagnie de Jason Bourne et de James Bond) grâce à laquelle Louis Leterrier, monsieur Transporteur, a vraisemblablement réussi son examen de passage à Hollywood.
Le problème est que Hulk, tout incroyable qu’il est (et le choix d’Edward Norton n’est sans doute pas si innocent : excellent acteur, subtil et dangereux, toujours au bord du précipice — son interprétation de dingo dans Down in the valley de David Jacobson_2005 était à tomber — mais guère du genre boute-en-train), c’est pas un marrant. D’abord il est toujours en rogne, et puis ce vert, décidément ça ne va pas au teint. Au vu de sa dentition suspecte, il a certainement une haleine de hyène et son vocabulaire est des plus limités : GRRRRRRRR (ça réduit les frais question doublage). De plus, le bougre n’est ni super, ni spider, ni bat. Tout au plus peut-il prétendre au titre de roi de la fashion vu qu’il réussit d’un pet à tirer un bermuda grunge d’un futal assez ringue…
Et si l’on gloussait souvent à Iron Man (pas un super héros non plus celui-là, tout au plus un petit bricoleur), ce n’est pas le cas ici. L’affaire est sérieuse. D’autant plus que la sexy Jennifer Connelly (interprétant le rôle de dulcinée et faire-valoir du héros) s’est transformée, elle, en Liv Tyler. Et qu’elle est terriblement tristounette, Liv… D’ailleurs, le film commence, elle est malheureuse, elle est en thérapie, elle est même dans le lit du thérapeute, mais ça n’a pas l’air de la rendre plus folle de joie pour autant.
Ce n’est pas faute pourtant d’avoir eu l’occasion d’introduire dans le scénario un peu d’humour sur les frustrations du mâle dominant (le chronomètre du monsieur s’emballe parce qu’il sent monter la sève en lui dès qu’il est à l’horizontale avec une dame…) mais non, la Liv étant aussi charismatique qu’une endive et l’alchimie avec son partenaire atteignant le point limite zéro, Edward n’a pas trop envie de verdir et de risquer une migraine pour une dinde pareille ! Exit donc la romance enfiévrée…
Et lorsque Hulk apparaît, les graphistes entrent en scène et notre Edward peut définitivement aller se rhabiller. Pas de Lou Ferrigno (ici en figurant de luxe… le clin d’oeil est à tomber, pourquoi pas une flèche, une pancarte et des lampions pour l’hommage ?) remplaçant Bill Bixby dans le rôle titre. Place aux pixels.
Et décidément, Hulk, c’est comme Alien ou le requin de Jaws, c’est bien meilleur quand on ne fait que le deviner. Car, une fois qu’on l’a vu, on baille, puis on attend gentiment que le sieur Norton revienne à l’écran. Et on patiente en compagnie d’un sacré couple de crapules qui vole allègrement la vedette au « héros ».
William Hurt jubile manifestement à interpréter un militaire con (pléonasme), odieux, visionnaire, cruel, fourbe bref, un bon papa fouettard au cynisme confondant, qui n’a pas son pareil pour se débarrasser des éventuels tourtereaux de sa fifille.
Stigmatisé dès son apparition (il est né en Russie, a été élevé en perfide Albion, inutile d’aller chercher plus loin, la punaise, c’est lui), le teigneux Tim Roth, qui n’a pas du goûter sa victimisation made in Haneke dans Funny games US, cherche à en découdre comme un avorton de roquet. Il faut le voir se dresser devant le géant vert de toute sa superbe, pour un peu il en userait comme d’un réverbère. Tim n’a pas son pareil, avec ce mélange d’infantilisme et de folie pure qui caractérise les va-t-en guerre, pour camper un personnage à l’ego surdimensionné qui se révèle bien plus flippant à visage découvert que transformé en misérable marionnette informatisée. Jusqu’où peut mener la volonté de devenir un super héros soldat ? jusqu’à l’abomination, répond le gredin.
L’idéal aurait été une confrontation Norton/Roth mais ces deux là ne se rencontrent jamais, si ce n’est par la grâce de leurs avatars. Les responsables des effets spéciaux s’en sont incontestablement donnés à cœur joie mais une bataille rangée entre un autiste vert de rage et une abomination couleur de merde coiffée à l’iroquoise n’est pas follement passionnante. Le suspense est loin d’être insoutenable, on ne se demande certes pas qui va revenir en seconde semaine pendant qu’une armée de pixels se fout sur la tronche et détruit tout sur son passage.
En définitive, le vrai moment répulsif du film est cette invraisemblable scène où Liv devise joyeusement en compagnie de son Hulk, parodiant allègrement la rencontre de Naomi Watts et King Kong, à moins que ce ne soit celle de Fiona et Shrek.
Et — horreur ! malheur ! — si l’on en croit 1/ le regard caméra de Norton, en mode I’ll be back 2/ la guest-star venue faire un petit tour en toute fin de film, la franchise Marvel n’est pas prête de s’éteindre…
L’incroyable Hulk/The incredible Hulk de Louis Leterrier_2008
avec Edward Norton, Tim Roth, Liv Tyler, William Hurt, Christina Cabot, Ty Burrell et Lou Ferrigno