Cette fois, y a mort d’homme. Parfois, la belle au bois dormant n’est pas celle qu’on croit. Robert Guédiguian retrouve son trio infernal pour un film aussi noir que les yeux de jais d’Ariane Ascaride. Marie-Jo retrouve ses deux amours, mais ils ont bien mal vieilli les “soixante-hui(trop)tard” et ont mal à leurs principes.
Gérard Meylan fait le mac et se découvrant méchant garçon brutalise à l’occasion les cafetiers récalcitrants. Jean-Pierre Darroussin, lui, survit, s’ennuie près d’une femme supposément épousée par dépit et attend tout endormi que sa belle revienne le réveiller.
Après quelques erreurs de jeunesse les ayant menés tous trois en prison, Ariane semble être la seule à “avoir réussi”. Elle a un fils, une boutique, une vie bien remplie, très tranquille, toute bâtie autour de cet enfant qu’elle chérit, bref, victime d’une mémoire fort sélective, elle s’est accommodée d’un passé trouble qui va se rappeler à son bon souvenir dans une scène d’une violence inouïe (son gamin, victime d’un enlèvement, se fera abattre d’une balle dans la tête, sous ses yeux, alors qu’elle livre la rançon). En un plan, aussi soudain qu’inattendu, tout est gâché, l’avenir et les souvenirs.
Devant l’égoïsme forcené et le silence buté de cette mère n’ayant plus rien à perdre, la gratuité de l’acte, puis l’invraisemblable omniprésence du kidnappeur qui la sauve d’une tentative de suicide n’étonnent plus. On devine aisément que la réponse se trouve dans le passé, ce passé qu’Ariane tait, que Meylan préfère oublier, que Darroussin idéalise. De ce passé de voleurs à la petite semaine, les deux garçons en ont conservé les jouets qu’ils ressortent chacun leur tour de leur petite cachette, le meurtre perpétré autrefois par leur amie entamant à peine leur image idéalisée de pères noël de quartier les bras chargés de fourrure.
Mais ce meurtre est la clé. Répondant à un autre crime, il ne fait que débuter un nouveau cycle de vengeance : “tu as tué mon père, je te tue” ; encore plus fort : “tu me tues mon père, je te tue ton fils”… Et après ? “je tue mes enfants, je massacre ma femme, je décime le quartier, je me fais sauter la cervelle et rira bien etc”. Rien ne console de l’irréparable.
Le tueur d’enfants (Yann Trégouët, remarquable) finira par dire au trio son incapacité à cesser de souffrir, à faire taire cette haine sourde qui le ronge, à tout simplement oublier et continuer de vivre. La vengeance n’est guère douce quand la souffrance d’une mère coupable ne suffit pas à éteindre le feu qui consume.
Lady Jane est un film de vengeance certes, mais surtout la description clinique d’une trahison.
C’était mieux avant clament les vieux (que l’on éloigne soigneusement des vivants aux fins qu’ils tirent leur révérence sans déranger), écœurés du monde tel qu’il est devenu mais qu’arrive-t-il lorsque l’on apprend que “l’avant” est basé sur un mensonge ? que la personne que l’on a aimée voire idéalisée s’est sans vergogne servi de vous ? a gâché votre vie ? vient crever dans l’œuf tous les espoirs que son retour a fait (re)naître ?
Et bien, cette fois, “y a mort d’homme”. Et c’est Jean-Pierre Darroussin, notre meilleur ami, qui s’y colle.
Il est plus que parfait dans un rôle de grand adolescent qui se berce depuis des années de fausses illusions, qui meurt d’ennui à tout petit feu, qui préfèrerait être le père d’un enfant décédé plutôt que celui des deux filles bien vivantes aux côtés de qui il vit (tout à côté mais non avec, la seule scène où on le voit en leur compagnie sera filmée de loin, comme par effraction) et qui retrouve sa jeunesse par la grâce de quelques sniffs.
Sa confrontation finale avec Ariane (mante religieuse l’ayant définitivement ingéré) émeut, lorsqu’il lui demande de lui mentir à nouveau, de l’endormir comme autrefois pour que sa conscience ne revienne pas le tourmenter d’avoir eu à tuer pour elle trois petites frappes qui finalement ne manqueront à personne. Mais comment pourrait-il trouver le repos alors que sa princesse vient de lui prouver qu’elle n’était pas charmante et qu’il ne fallait espérer ni mariage, ni beaucoup d’enfants ? Quelle autre solution pour cet homme amer que de rejouer une dernière fois aux gendarmes et au voleur en souvenir du bon vieux temps ? Le masque de grand-père rigolard qu’il enlève doucement devant la caméra de surveillance comme un doigt d’honneur à l’autorité, à la réalité triste et froide, à cette chienne de vie en somme, laisse apparaître un visage d’enfant prématurément vieilli dans le regard duquel dansent encore quelques flammes. C’est son dernier coup, sa dernière surprise-partie, son coup d’éclat, son coup de grâce.
Meylan, le cynique, ne s’en remettra sans doute pas. Lady Jane, elle, s’en fout, elle a déjà disparu.

Lady Jane de Robert Guédiguian_2008
avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan et Yann Tregouët