De l’autre côté de la porte de Laurence Thrush

De l'autre côté de la porte de Laurence Thrush © ED Distribution

Les reclus. Hiroshi, adolescent ombrageux rentre un beau soir de l’école en compagnie de son jeune frère, Yuhei, qu’il maltraite quelque peu. Sans raison. Arrivé dans leur tristounette banlieue tokyoïte pas franchement kawaï, il s’enferme dans sa chambre et refuse désormais d’en sortir.

Tel est le point de départ de la première fiction de Laurence Thrush, réalisateur britannique vivant à Los Angeles, auteur de nombreux films publicitaires et d’un documentaire sur les combats de coqs à Cuba, Fidel’s fight, qui a emporté un prix au New York Independent Film Festival en 2001.

Avec De l’autre côté de la porte, il signe un objet étrange, remarquablement interprété par des acteurs non-professionnels, à mi-chemin du documentaire — le thérapeute qui tentera de libérer Hiroshi de sa claustration est incarné par Sadatsugu Kudo, fondateur de Tame-Juku, un centre d’aide pour adolescents en détresse — et dissèque précautionneusement et sans pathos aucun un épiphénomène typiquement japonais*, l’hikikomori.

Version hardcore des otakus** — célébrés dans l’essai de Hiroki Azuma, Otaku, les enfants de la postmodernité — fans de mangas et de jeux vidéos qui s’enferment volontiers chez eux en compagnie de leur ordinateur, l’hikikomori, vraisemblablement atteint de phobie sociale, semble se dissoudre dans un no man’s land où toute communication avec l’extérieur est définitivement bannie, ainsi que toute occupation. Ce mal toucherait de préférence les adolescents ou très jeunes adultes et les pousserait à demeurer reclus des années durant chez leurs parents. Pourrissant dès lors la cellule familiale.

De fait, inutile d’espérer que De l’autre côté de la porte offre une quelconque explication quant au comportement d’Hiroshi ; bien au contraire, l’angoisse envahit le foyer qui, de refuge devient cachot, et notamment pour la mère qui se soumet peu à peu à la tyrannie de son hikikomori et sombre ainsi au fil des jours dans une dépression comateuse, délaissant mari et fils cadet.

Laurence Thrush prend soin d’observer finement l’âme de la maisonnée et laisse planer le doute. Le jeune Hiroshi est-il la victime consentante d’une cruelle psychose ou son acte revendicatif n’agit-il pas tantôt comme révélateur d’un malaise parental qui se résoudra au forceps sous les refus répétés du prisonnier consentant ?

Faux documentaire, fiction fantasmée, subrepticement rythmé par quelques notes de Pan•American, De l’autre côté de la porte, est réalisé dans un noir et blanc anxiogène où l’on pourrait sombrer aussi sûrement que ses héros. Mais l’absence de couleurs sied à cette histoire de fantômes qui s’effacent consciencieusement de la mémoire des vivants. L’œuvre est aride certes, mais fascinante.

* Quoique ce phénomène soit en voie d’exportation, traduisant le malaise grandissant des jeunes face à une pression sociale trop forte et un avenir des plus incertains.
** Rappelons le mangeur frénétique de pizzas de Shaking Tokyo de Bong Joon-ho, le 3ème segment de Tokyo ! co-réalisé en 2008 avec Leos Carax & Michel Gondry.

A noter que De l’autre côté de la porte de Laurence Thrush sortira sur les écrans de France et de Navarre le 11 mars prochain et que son second film, réalisé en 2012, Pursuit of loneliness, devrait être distribué en milieu d’année [Et merci à Manuel de son aimable invitation]

De l’autre côté de la porte/Tobira no mukô de Laurence Thrush_2009
avec Kenta Negishi, Kento Oguri, Masako Innami, Takeshi Furusawa, Sadatsugu Kudo