Quelques réflexions sur les films vus en mars. Et oui, y a du lourd. Et le meilleur film américain du mois date de 1967.
Arrête ou je continue — 300 : la naissance d’un empire — Les chiens errants — L’étrange couleur des larmes de ton corps — 3 days to kill — Dark touch — La légende d’Hercule — Le grand cahier — The Canyons — Portrait of Jason — Aimer, boire et chanter — Real — Leçons d’harmonie — Layla
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Arrête ou je continue de Sophie Fillières
Il est parfois des titres au-dessus desquels il faut passer. Dans cette tragi-comédie bien plus amère que douce, Pomme (!) et Pierre n’amassent plus trop mousse dans le désert affectif que traverse leur couple, flingué à bout portant par un assassin nommé Routine. C’est drôle certes, mais aussi d’une méchanceté vacharde qui laisse entrevoir que leur entente cordiale est arrivée au terme de son chemin. Que Pomme décide momentanément de poursuivre seule, en forêt profonde. Idée fort savoureuse. Complices de toujours, Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric, tous deux parfaits, se disputent si bien que l’on se sent parfois de trop. La noirceur l’a emporté sur le burlesque.

300 : la naissance d’un empire/300: Rise of an Empire de Noam Murro
Soyons honnête, on ne va pas voir des mecs en cuir se battre le téton frémissant en espérant y trouver le chef d’œuvre du siècle. On y va pour rigoler un peu. Et le 300 de Zack Snyder nous en a offert pour nos zygomatiques entre son Butler postillonnant et Fassbender & co s’élançant vers la mort le cuissot musculeux et le torse huilé. Les grecs plaisantent manifestement moins quand il s’agit d’aller se mettre sur la tronche. Pourquoi diable Sullivan Stapleton — le gorille à sa méchante maman de Animal kingdom de David Michôd — prend-il son rôle tant au sérieux ? Nous pouvons néanmoins compter sur la sculpturale Eva Green (qui va finir par prendre froid), période greco-persane gothique, pour y aller à fond dans la caricature en nympho survoltée. C’est qu’il s’agit de tenir la dragée haute à Lena Headley, échappée de Game of thrones, à qui il ne reste plus qu’à cachetonner. Bref, un gros machin bien kitsch (ah ! l’avènement bling-bling du dieu Xerxès… un bonheur !), aux batailles très gores avec des ralentis déments à la moindre goutte de sang qui gicle. Frank Miller a encore sévi.

Les chiens errants/Jiao You de Tsai Ming-liang
Prenez garde à l’assombrissement de l’âme ! Le réalisateur, souffrant, semble avoir porté sa maladie à l’écran, étirant les scènes à l’extrême pour qu’elles ne lui échappent pas, nous mettant au défi de nous laisser aller à la mélancolie dépressive de son héros, un sans abri qui à force de dérives alcoolisées a perdu la garde de ses enfants. Ou de nous enfuir en vue de sauver notre peau. Ce que n’ont pas manqué de faire certains spectateurs excédés par la longueur des plans. Qui ont donc raté le plus hypnotique, celui de la fin (?) de cette descente aux enfers, où dressée face à un couple accablé par un désespoir insondable, la fresque murale d’un immeuble en ruine nous invite à en pénétrer les détails et à nous y noyer, nous aussi. Oui, Les chiens errants n’ont rien d’aimables. Demeurent quelques souvenirs qui émergent de Taïpei, cauchemardesque mégalopole au bord de l’effondrement : deux enfants errants qui se partagent un chou ou des panneaux publicitaires vivants, se tenant stoïquement à l’intersection de carrefours embouteillés, qu’il neige, pleuve ou vente. Êtres sans nom et sans visage témoignant d’une misère obscène s’évanouissant dans l’indifférence de ceux qui ne sont pas encore tombés.

L’étrange couleur des larmes de ton corps de Hélène Cattet & Bruno Forzani
Sans contexte, le plus beau titre de l’année pour un film concept d’une époustouflante beauté plastique. Certes, mieux vaut connaître les codes du giallo pour profiter pleinement de ce nouvel hommage aux maîtres de l’horreur italienne, et notamment à Dario Argento, grand amateur d’architecture labyrinthique. Mais pour qui a envie de se laisser embarquer dans un cauchemar sensoriel et vénéneux, quoique singulièrement glacial — avouons qu’on se fiche un peu comme d’une guigne du drame fantasmatique qui se joue dans la mémoire d’un héros peu charismatique —, Hélène Cattet et Bruno Forzani, nos deux fétichistes, n’ont pas lésiné sur le trip psychédélique et l’abstraction radicale. Objet mortifère, L’étrange couleur des larmes de ton corps est un voyage expérimental où le sens du cadre et de la couleur, l’ironie grinçante, la musique d’Ennio Morricone et un goût immesuré pour les puzzles mentaux servent de garde-fou. Mais l’exercice a ses limites et la question de l’essoufflement est néanmoins soulevée. Le dernier épisode de la trilogie est attendu de pied ferme.

3 days to kill de McG
Il faudrait demander à Luc Besson, producteur et co-scénariste (ils s’y sont mis à deux, l’un pour chatouiller l’autre) de ce bidule, l’adresse de son dealer. Kevin Costner a l’air tout autant navré qu’un Liam Neeson taken-nisé mais en vrai pro et portant belle sa presque-soixantaine, assure le spectacle et en profite pour faire du tourisme à la cool. L’insipide Amber Heard ne confirme guère les espoirs qui ont pu être placés en elle à l’époque de Tous les garçons aiment Mandy Lane de Jonathan Levine et le réalisateur, qui a bien raison de camoufler son nom, photographie la ville comme autant de photos souvenirs en filmant mollement une histoire éculée aux clichetons nanardesques. Les parisiens sont perpétuellement condescendants, grossiers et maltraitent la phonétique. Les adolescentes ont des problèmes capillaires. Ah dieu que le Sacré-cœur est agréable en cette saison. Damned ! on peut pas s’absenter dix ans de chez soi sans y retrouver une famille africaine polyglotte et qui, attention ! séquence émotions (là, Kevin regrette d’avoir signé sans lire le scénario), vous offre un accouchement à la maison. Euh. Allez, Luc, sois sympa ! Pass pass le oinj, y a du monde sur la corde à linge…

Dark touch de Marina De Van
Avec Dark touch, portrait tragique d’une enfant blessée, Marina de Van, tout en respectant les codes d’un genre dans lequel elle excelle — Voir l’ahurissant Dans ma peau —, s’attache ici à filmer une horreur rien moins que fantastique. Si Neve, sa jeune héroïne développe des dons de télékinésie telle une Carrie prépubère, c’est à son corps défendant. Tout comme elle a subi les attouchements de parents vicieux. Après leur décès et malgré les marques d’une sincère affection prodiguées par sa famille adoptive, Neve, nouvel ange exterminateur, ne pourra trouver la paix qu’en entrainant dans sa folie meurtrière d’autres gamins martyrisés. Dark touch est une œuvre d’un pessimisme aigu qui traite subtilement, et sans racolage, d’un sujet hautement sensible. D’un nihilisme dévastateur, l’épilogue condamne sans appel la malignité des adultes capables de dévorer leurs propres enfants.

La légende d’Hercule/The legend of Hercules de Renny Harlin
Le film de Renny Harlin donne envie de manger son cerveau. Sans même un rictus. Tant il est affligeant. Le 13ème travail d’Hercule — dont la légende est ici bien malmenée car son nom est Spartacus Maximus (défense de rire !) — sera donc de choper le réalisateur et de lui faire regarder son peplum pourrave en boucle jusqu’à ce que mort s’ensuive. En compagnie de Kellan Lutz qui a tout musclé pour cette débandade où les gladiateurs font des salto-arrières et pédalent dans la semoule en appesanteur, sauf sa cervelle.

Le grand cahier/A nagy füzet de Janos Szasz
Hongrie, pays du désespoir. Adaptation d’une trilogie — deux films restent donc à venir — signée Agota Kristof dans laquelle Janos Szasz ne nous donne guère envie de nous plonger, Le grand cahier décrit la perte des repères moraux chez des jumeaux placés par leur paternel appelé sous les drapeaux — la barbarie nazie est en marche — chez leur grand-mère, adepte de l’éducation à la dure. Qu’à cela ne tienne ! Comme un seul être, les garnements entreprennent de se durcir, non aux fins d’entrer en résistance mais de combattre le mal par la malfaisance, pour survivre coûte que coûte, y compris au prix de leur humanité, dont les oripeaux ont été abandonnés depuis belle lurette par les adultes qui les entourent. Il n’est sans doute pas innocent que pour présider à la glaciale naissance de ce monstre bicéphale, le réalisateur ait emprunté Christian Berger, le directeur de la photographie attitré de Michael Haneke. Qu’est-ce que l’on souffre ! Nul n’en réchappe et le grand cahier, herbier de la folie ordinaire témoignant des turpitudes, tortures et autres horreurs de la guerre, loin de figurer un acte d’exorcisme n’est jamais que le témoignage de psychés irrémédiablement déviantes.

The Canyons de Paul Schrader
Financé en partie grâce au crowfunding, le nom de Paul Schrader ayant cessé de faire recette, et écrit par Bret Easton Ellis qui n’en finit pas de s’attacher à des figures en dessous de zéro, The canyons — où comble de la hype, Gus Van Sant vient faire un tour de piste — possède un charme vénéneux certain. Sa galerie de personnages accros au sexe, au fric et à la coke entrainés dans une ronde autodestructrice nous fascine malgré nous. La faute sans doute aux archétypes hantés par les mythes cinématographiques qu’ils tentent d’incarner mais dont ils ne sont plus que de pâles et affectées copies. Au milieu de ces ectoplasmes fantomatiques, Paul Schrader grime son actrice, Lindsay Lohan, beauté fanée par les excès et la chirurgie esthétique à l’aube de la trentaine, en moderne Liz Taylor, prêtresse vulgaire aux passions tumultueuses. Dans les ombres et lumières de sa chambre de starlette déchue, l’illusion parfois pointe. A cette mise en abyme d’une tristesse malsaine, s’ajoutent un documentaire sur une ville vivant sur les décombres d’un prestigieux passé et quelques éclairs fulgurants du thriller que le film aurait pu être. Ainsi, cette scène où un camion fou menace d’éliminer notre héroïne en une mort aussi spectaculaire que fantasmagorique et se révèle être un leurre, le réalisateur préférant demeurer à la surface des choses. C’est ainsi que Paul Schrader rate de peu ce qui aurait pu devenir un des films les plus intéressants sur ce miroir aux alouettes sans tain qu’est Hollywood.

Portrait of Jason de Shirley Clarke
Il est heureux que revienne parmi nous ce documentaire fascinant, tourné en une nuit en 1966 au Chelsea Hotel à New York, qui met en scène une interview arrachée au forceps d’un mythomane aussi génial que pathétique. Aaron Payne, domestique rêvant de paillettes et de passions durables, s’est réinventé en Jason Holliday, performer ratant toujours d’une audition le rôle qui le rendra célèbre. Avec une bouteille de scotch et un paquet de clopes en guise d’armure, voilà notre dandy entreprenant sa grande œuvre de séduction, qui se raconte tout en s’enivrant de ses propres mensonges, souvent désopilants, jusqu’à ce que la réalisatrice le pousse dans ses derniers retranchements. Apparait finalement en filigrane un homme profondément seul, dont les rires nerveux cachent mal un spleen insondable, qui ne peut décemment exister qu’en tant que fantasme. Surprenant et émouvant portrait d’une créature des folles années 60.

Aimer, boire et chanter de Alain Resnais
Second beau titre de l’année auquel nous ajouterions volontiers l’acte de rire. Cette exquise fofolle de Sandrine Kiberlain aura donc joyeusement participé au dernier film d’Alain Resnais. Il n’en fera plus d’autre. Aimer, boire et chanter se clôt sur une image emblématique. Il ne nous reste plus qu’à faire notre deuil. L’avantage avec les réalisateurs, c’est qu’il nous confie leurs films pour que l’on se souvienne d’eux. Ce qui demeurera d’Alain Resnais est l’image d’un garçon malicieux sous des traits austères. Et un amour infini des êtres.

Real/Riaru: Kanzen naru kubinagaryû no hi de Kiyoshi Kurosawa
Après le vénéneux Shokuzai, Kiyoshi Kurosawa continue son auscultation de la psyché adolescente, cette fois-ci, sur un mode résolument fantastique. Et un final brindezingue qui met en joie. Teinté d’éclairs funèbres et hanté par le suicide, Real accompagne un amoureux éperdu qui tente par la grâce d’une expérience scientifique de ranimer sa bien-aimée plongée dans le coma. Les souvenirs qui affluent d’un passé supposé heureux sont nimbés de tendresse et de poésie tandis que nous sommes bientôt entraînés dans un labyrinthe virtuel peuplé des fantômes chers au cœur du réalisateur. Les monstres de papier envahissent alors le réel et la vérité émerge, redessinant les mensonges d’un couple hanté par la culpabilité. Dégorgeant de mystères, Real est un repaire de faux-semblants ambigus et de retournements de situation qui achèvent de nous perdre corps et biens.

Leçons d’harmonie/Uroki Garmonii de Emir Baigazin
Le Kazakhstan, l’autre pays du désespoir. D’une beauté plastique aussi glaçante que les événements qui y surviennent, le premier film de Emir Baigazin suit un adolescent introverti, guidé par un esprit de conservation obstiné — et tout comme les jumeaux hongrois du Grand cahier, il vit seul avec sa grand-mère dans une misérable ferme —, sur le chemin inéluctable de la cruauté et du crime. Isolé à l’école où de juvéniles gibiers de potence s’entraînent à terroriser et racketter leurs camarades de classe avant d’être eux-mêmes mis au pas par les mafieux du coin, le jeune Aslan, perclus de tocs, s’essaie après les cours à d’ignobles expériences sur des animaux dans le secret de sa chambrette. La chaise électrique destinée à griller d’infortunées blattes vaut son pesant. Leçons d’harmonie décrit sans détour une société corrompue jusqu’à la moelle et engluée dans une spirale de la violence où l’innocence ne peut qu’être impitoyablement broyée. Pour survivre à ses cauchemars et aux tourments d’une vie de douleur toute tracée, il n’est d’autre solution pour notre élève studieux que de dépasser les bourreaux en intelligence et en férocité. Le beau visage buté de Timur Aidarbekov, impeccable dans les scènes les plus sensibles, nous poursuivra longtemps.

Layla/Layla Fourie de Pia Marais
Emprunt d’un fatalisme désarçonnant, Layla offre tout à la fois un regard neuf sur une Afrique du Sud où désormais le métissage des couples est chose courante mais la peur toujours présente, et un superbe portrait de femme, mère célibataire en proie à une solitude sociale et affective et bientôt, une culpabilité grandissante qui en vient à plomber son quotidien et les relations qu’elle entretient avec un fils qu’elle chérit. En une scène nocturne, le destin de Layla, bascule lorsqu’un quidam tente d’arrêter sa voiture sur une route déserte. L’homme (blanc) cherche du secours, Layla (femme noire) se méprend et le fauche accidentellement. Intimant l’ordre à son garçon de garder le secret, soucieuse de conserver son emploi dans une société vendant des détecteurs de mensonges (!), Layla va peu à peu s’abîmer dans une spirale paranoïaque tandis qu’un scénario retors la confronte aux conséquences de son crime et à la famille du défunt. Rayna Campbell, en mère courage tiraillée par sa conscience, est remarquable.
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Si vous avez raté le début de la rétrospective 2014 :
A suivre…