Love will tear us apart de Yu Lik-wai [Festival des 3 Continents]

Love will tear us apart de Yu Lik-wai © Océan Films

Âmes perdues. 1997. Hong Kong a connu quelques revers économiques dont les migrants chinois attirés par les lumières de la ville vont devenir les victimes expiatoires. Faisant fi de tout espoir de réussite sociale, les quatre protagonistes de Love will tear us apart n’ont guère d’autre choix que de se laisser couler dans une mélancolie suicidaire, une solitude morbide, une violence cynique ou une folie douce. Bienvenue dans la métropole sommée par d’augustes bannières d’ « Aimer la mère patrie » !

En bref, résignation à tous les étages. Et le spectateur de préparer tranquillement son nœud coulant…

Ying, originaire du nord de la Chine, a débarqué armée d’un visa touristique après la condamnation à mort de son chéri, pour se perdre corps et biens dans les dédales de la cité tentaculaire. Elle y vend ses charmants appâts plus ou moins mollement et y croise trois êtres errants, aussi paumés qu’elle qui tentent de survivre à coups d’expédients ou de travaux routiniers qui plombent leurs existences insignifiantes. Ils ont sans aucun doute rêvé d’un lendemain chantant mais lorsque le film débute, le réveil est brutal. Yan, ancienne danseuse a perdu une jambe et un enfant dans un accident, son amant infidèle, Jian, gère un antre de perdition où il racole le client indécis en lui vantant les qualités de vidéos pornographiques foncièrement crapoteuses et Chun, timide réparateur d’ascenseur travaillé par ses hormones, ne peut établir de relations tangibles que par l’intermédiaire d’appels sur une ligne rose.

Aucun cohésion communautaire n’est à espérer chez ces déracinés. Ils se croisent, se heurtent, se déchirent, tentent de s’aimer mais demeurent enferrés dans un individualisme forcené et ne se rencontrent finalement jamais. Le sexe n’est que monnaie d’échange ou coït illusoire volé à la grisaille des jours. Même l’étrange couple formé par Yan et Jian est un leurre. Ils vivent l’un à côté de l’autre, comme amputés de leurs sentiments, trop occupés semble-t-il à leur survie économique pour elle, à la recherche d’incessants plaisirs pour lui.

Heureusement que pour nous tenir éveillés l’humour pointe parfois éclairant le pessimisme latent de l’ensemble, notamment grâce à cette canaille velléitaire de Jian, interprété par Tony Leung Ka Fai (également producteur du film en compagnie de Stanley Kwan, réalisateur de Rouge et de Center stage). L’acteur en rajouterait presque dans le charme amorphe et un cynisme de méchant aloi. La scène dite « du tampax dans le pif » restera sans nul doute dans les annales.

Premier long métrage du directeur de la photographie attitré de Jia Zhangke [Still life, I wish I knew et Touch of sin], Love will tear us apart, s’il éblouit par l’indéniable beauté de ses plans, ne fait guère dans la dentelle et entraîne peu à peu le spectateur à se soumettre à la déliquescence infernale dans laquelle ses exilés se sont embourbés à l’instant même de leur arrivée. Le temps s’étire, parfois trop, et nous fait accroire que nous participons à une psychanalyse sauvage de toute une génération de hongkongais toujours pas remis d’une sale cuite.

Même la ville est quasiment absente, comme si déjà, malgré son encore relative autonomie, elle s’était dissoute dans le ventre de la bête chinoise. Le quartier où évoluent Ying et ses congénères est à peine esquissé. Les néons crus du monde de la nuit tranchent avec les lumières tamisés d’intérieurs froids à en crever. S’y révèlent une rancœur tenace et un abandon inéluctable des repères.

Réduites au deuil de leurs illusions, les brebis égarées ne peuvent que rentrer au bercail.

Le film de Yu Lik-wai a été projeté à la 36e édition du Festival des 3 Continents dans le cadre de la thématique Yu Lik-wai,  chimères du monde moderne et réalité numérique. Les plus curieux d’entre vous peuvent bénéficier de la version longue d’une bonne qualité sur YouTube mais ne le dites à personne.

Love will tear us apart/Tin seung yan gaan de Yu Lik-wai_1999
avec Tony Leung Ka Fai, Li Ping Lu, Wong Ning et Rolf Chow