Festival du Film Vietnamien de Saint-Malo [2/07/2014 — Journal de bord 2] : Pierre Schoendoerffer, Nguyễn Thanh Vân & Régis Wargnier

© FredMJG/Festival du Film Vietnamien 2014

Des  coups de soleil, du sang, de la sueur et des larmes. J’ai dormi comme un loir.

Nous sommes mercredi, jour des enfants, et je me tâte déjà : vais-je en kidnapper quelques uns lors de l’atelier de cerfs-volants prévu pour eux en début d’après-midi pour avoir une excuse d’aller jeter un œil sur les courts métrages d’animation qui leur sont destinés ou plutôt, ne serait-il pas plus agréable de jouer les touristes en goguette sur les remparts de la ville jusqu’à la projection de Diên Biên Phu de Pierre Schoendoerffer que j’ai déjà vu, et sur lequel je me dis que je vais sans doute faire l’impasse. Ai-je vraiment envie de revoir la tête de Catalifo quand il se rend compte qu’il ne mourra pas en héros sur les lieux de la bataille ? Bim ! Revoir son sourire canaille ? Bah oui, il ne m’en faudra guère plus pour me décider.

Super Loutre, protectrice des malouin(e)s... Ah ! on m'annonce dans l'oreillette qu'il s'agit d'un chien du guet. D'accord. © FredMJG
Super Loutre, protectrice des malouin(e)s… Ah ! on m’annonce dans l’oreillette qu’il s’agit d’un chien du guet. D’accord. © FredMJG

En attendant, le petit déjeuner est servi dans le restaurant de l’hôtel, et je vais vite découvrir que la logistique n’est pas leur fort, surtout en ce qui concerne le nombre de croissants croustillants (rapport aux morfals juillettistes)… Pour le reste, c’est Byzance ! Il va donc falloir se battre, ruser en se levant plus tôt pour avoir la chance d’en dévorer un. Ou il me faudra, punition ultime, manger de la brioche ! Un coup à perdre la tête.

Et il y a « l’ascenseur »… Je ricane doucement en y pénétrant et, forte de la leçon de la veille, appuie vaillamment sur le 1. La boite oblongue s’ébranle puis s’arrête. La porte s’ouvre. Je suis au 1er et l’accueil me nargue un étage plus bas. Logique. Je soupire et décide de prendre l’escalier.

C'est bien joli de partir mais il faut parfois songer à revenir © FredMJG
C’est bien joli de partir mais il faut parfois songer à revenir © FredMJG

Il fait beau, il fait chaud. Je pars à la recherche de Jacques Cartier et de Bobby Surcouf sans galure ni protection. Après quelques heures de marche gaillarde, il faut me rendre à l’évidence. Surcouf ne ressemble en rien à Gérard Barray mais damn’ voilà que la voix éraillée de Richard Cocciante me trottine dans la tête. Le soleil malouin a eu raison de moi. Et bien sûr, je n’ai qu’une envie, me tremper les petons dans l’eau en courant au ralenti sur la plage. Je résiste à la seconde tentation. Trop de courageux ont eu la même idée.

Légèrement étourdie, je renonce à apprendre à faire des cerfs-volants, et vais me restaurer. Les galettes c’est bien bon, mais les moules, c’est bien mieux. Et j’ai vu une licorne qui me fait de l’œil et m’offre sa terrasse en plein cagnard. Bonheur et félicité.

Si ce n’est que je regarde l’heure, que je vois au loin des merveilles s’élever dans le ciel, que je m’interroge sur ce que l’on a mis dans mon cidre…

Mirages dans le ciel © FredMJG
Mirages dans le ciel © FredMJG

Dzoing ! le festival se rappelle à moi et si je file au pas de course à la poursuite des objets volants non encore franchement identifiés, j’arriverais à temps pour le Schoendoerffer. Après tout, ne me suis-je pas promise d’être studieuse ?

Petit interlude « le dragon dans ta face » lors de la petite démonstration d’envol du dragon vietnamien dans la brise malouine. Je regrette ma gourmandise.

Bien évidemment, lestée d’une plâtrée de moules, j’arrive en ahanant dans la salle et à cause de mes atermoiements, j’ai raté le discours d’introduction de Patricia Schoendoerffer.

© DR/Festival du Film Vietnamien
© DR/Festival du Film Vietnamien

Diên Biên Phu de Pierre Schoendoerffer_1992

avec Patrick Catalifo, Donald Pleasence et Ludmila Mikaël

La guerre est finie. A Hanoï, le vieux monde se meurt au son du violon de Ludmila Mikaël tandis qu’à Diên Biên Phu, l’armée française contemple le désastre qui s’annonce. Le Việt Minh avance inexorablement, mais nous ne verrons ses milliers de soldats que lorsqu’ils dévaleront les colonnes avoisinantes pour s’emparer du dernier camp retranché et des survivants.

Le réalisateur — dont le rôle est joué par son propre fils, Ludovic* — sait de quoi il parle puisqu’il a été volontaire et parachuté sur Diên Biên Phu comme caméraman du service cinématographique des armées.

L’histoire avec un grand H est racontée du point de vue d’un reporter américain, Howard Simpson, joué par ce brave Donald Pleasence, — mais la voix du narrateur est bel et bien celle de Pierre Schoendoerffer — envoyé par le  San Francisco Chronicle pour couvrir la guerre d’Indochine. Fréquentant un lieu de perdition où viennent s’encanailler les soldats français avant de partir pour le front, il voit là l’occasion de joindre l’utile à l’agréable, soit se lier d’amitié avec quelques forts en gueule portant honneur de la patrie et courage du désespoir en bandoulière — Patrick Catalifo a l’air dignement bourré durant tout le film — et par là, obtenir quelques scoops qu’il soustraira intelligemment à la censure. Aidé en cela par un journaliste de l’AFP, où l’on retrouve avec bonheur le patelin Jean-François Balmer, dont les mains sont liées. Tandis que le bon peuple d’Hanoï, et quelques scélérats, auxquels il finira par se joindre comme contaminé par la folie ambiante, parient à qui mieux mieux sur les prises des collines et le jour et l’heure où sera lancée l’estocade finale.

Mêlant vérités historiques à des souvenirs personnels, Diên Biên Phu, tourné 40 ans après les faits avec la participation de l’armée vietnamienne, nous entraîne dans les tranchées où chaque histoire individuelle participe de la grande, et l’on y reconnait quelques visages familiers : l’halluciné Maxime Leroux que l’on assommerait bien pour le calmer, Raoul Billerey en prêtre (car  l’on prie beaucoup dans le sang et la boue) ou François Négret, encore dans un rôle mal aimable, mais pour lequel on ne peut éprouver que de la compassion. Car il n’est pas donné à tout le monde d’être un héros quand l’ennemi est invisible et que l’on ne sait plus exactement pour quelle raison on se bat.

On est en droit d’estimer que manque à Diên Biên Phu cette subtile poésie morbide qui parcourait La 317e section, mais le talent de documentariste de Pierre Schoendoerffer nous plonge néanmoins tant au cœur de la bataille coloniale que des combats où se joue le salut de l’âme humaine.

* Car Diên Biên Phu est également une histoire de famille ; y apparaît dans le rôle d’un pilote de DC3, le neveu du réalisateur, Patrick Chauvel, correspondant de guerre, photographe, baroudeur et auteur entre autre de Rapporteur de guerre.

****

Avant d’accueillir le réalisateur de Vivre avec l’histoire, ou Diên Biên Phu vu du côté de la victoire vietnamienne, un petit mot sur le spectateur malouin. Le public est plus dense qu’hier, le festival est à la bonne franquette, les gens vont et viennent joyeusement. J’ai décidé de ne point y prêter garde et de m’adapter aux coutumes bretonnes. J’ai eu la joie, durant tout le film de Pierre Schoendoerffer, d’avoir des commentaires en direct d’un de mes voisins qui, manifestement, était à son affaire, approuvant vigoureusement les dires du réalisateur ou reconnaissant quelques recoins de Hanoï. Yeux furibonds n’y ont rien fait, l’homme était trop heureux de causer à sa compagne qui ne cessait de lui bourrer les côtes de coups de coude frénétiques.

Le réalisateur Nguyễn Thanh Vân, accompagné de son scénariste, rendit un hommage vibrant à Pierre Schoendoerffer tandis que Mme quittait la salle (sans nul doute sous le coup de l’émotion, on ne la revit pas de toute la projection) et nous informa que son film avait valeur d’éducation de la jeunesse vietnamienne, moderne et insouciante, trop ignorante de sa propre histoire.

© DR/Festival du Film Vietnamien
© DR/Festival du Film Vietnamien

Vivre avec l’histoire/Sống cùng lịch sử de Nguyễn Thanh Vân_2013 

avec Hoang Tuan Kien, Nguyen Thu Quynh, Đào Chí Nhân et Tùng Lâm

Le salut aux anciens. Trois jeunes gens modernes totalement accros à leurs joujoux high-tech vont voir leurs vies bouleversées lorsqu’ils apprennent aux infos le décès de Võ Nguyên Giáp (Lâm Tùngga), héros national et génie militaire autodidacte, considéré comme le vainqueur de la bataille de Diên Biên Phu.

Quelque peu émue, voici notre fringante jeunesse qui décide de se rendre en villégiature sur les lieux de la bataille pour rendre au valeureux guerrier un dernier hommage. Là, s’il croise deux jeunes historiens français avec lesquels l’un deux va se confronter violemment, notre trio va littéralement, par la grâce et la magie d’un scénario fort ingénieux pénétrer au cœur même de l’histoire par l’intermédiaire d’une tablette numérique.

Jeux de rôles, rêves cauchemardesques, retour vers le futur, livres d’histoire dont ils deviennent les héros ? Tout est bon pour que notre trio révise illico, et l’histoire de la libération du Vietnam et la raison de leurs privilèges, en se confrontant tout autant à l’ennemi — ils sont d’abord catapultés en pleine guerre en tant qu’enfants du XXIe siècle, avant de se retrouver combattants auprès du peuple qui a œuvré pour la liberté jusqu’au sacrifice — qu’à leurs propres démons nés de leur égoïsme ou de leur insouciance.

Il est amusant de noter que les trois jeunes acteurs ((Hoang Tuan Kien, Nguyen Thu Quynh et Đào Chí Nhân), s’ils surjouent le côté très Hollywood chewing-gum lors de leur vie « futile », vont peu à peu affiner leur jeu au fur et à mesure qu’ils bataillent aux côtés de leurs héroïques ainés.

Nul doute que les spectateurs vietnamiens ont été émus aux larmes par ce film. D’un point de vue français, à moins d’être versés dans l’histoire du pays, il s’agit avant tout de ne pas en perdre le fil.

Aucun esprit de revanche ne s’y meut ; seuls la force, le courage et l’audace de tout un peuple prêt au sacrifice ultime sont exaltés (le seul soldat français qui apparaît est un blessé, traité avec égard).

Outre que l’action est rondement menée car le réalisateur, Nguyễn Thanh Vân, « artiste du peuple » a bénéficié d’un budget royal, soit 21 milliards de dôngs (Source : vnexpress.net), Vivre avec l’histoire contient tous les ingrédients que l’on va retrouver au fil de la semaine dans les films présentés en compétition : patriotisme, honneur, dignité, chevalerie et sentimentalisme (parfois exacerbé).

Deux très belles scènes à retenir. L’une voit le héros agresser l’historienne (la jeune actrice russe Anastasia Zholobova que vous pouvez rencontrer ici en compagnie de toute l’équipe du film) lorsqu’elle évoque sa thèse sur les femmes en temps de guerre et leurs « liens » avec l’ennemi, avant, toute honte bue, de revivre en compagnie d’une vieille paysanne les atrocités dont elle a été victime 60 ans plus tôt ; lors la seconde, après que les rancœurs se soient apaisées entre les 5 jeunes gens, La vie en rose s’élève au-delà des collines de Diên Biên Phu où tant de sang a été versé. Et il n’est pas interdit alors de frissonner.

*****

Le film n’est pas à la rigolade mais dans la salle, c’est autre chose. Mon cher spectateur parfaitement enthousiasmé par le film et ses souvenirs commente à tout va et je laisse échapper quelques soupirs en sa direction. Une spectatrice, exaspérée, change de place. Débute alors une invraisemblable pantomime, la voisine du zigoto tentant, après les coups, de bâillonner son voisin dès qu’il tente de l’ouvrir. J’avoue qu’un fou rire intérieur commence à me saisir et que je lutte durant la dernière demi-heure pour ne pas exploser, le réalisateur et ses compagnons étant assis quelques sièges devant moi. La salle se rallume et j’ai la surprise de me voir offrir un free hug par l’impénitent bavard qui se confond en excuses tout en m’expliquant que sa sœur et lui ont vécu au Vietnam et que « les souvenirs reviennent, vous comprenez ». Bah ! oui, je  comprends bien et je ris enfin avec la sœurette qui derrière lui lève les yeux au ciel tout en m’assurant qu’il lui est impossible de faire taire le grand frère — qui fond ensuite sur la délégation vietnamienne pour la féliciter chaleureusement — dès lors qu’il est exalté. Résistant à la tentation de lui suggérer de l’assommer un bon coup, je me dis que décidément, ce festival s’annonce sous les meilleurs auspices et que je vais bien s’amuser.

Passage obligé vant la projection d'Indochine avec Zinedine Soualem, Saïda Jawad, Claude Renoult (maire de Saint-Malo), Ngo Phuong lan (DG du Département du Cinéma Vietnamien à Hanoï, Régis Wargnier (Président du jury) et Régine Petit (Présidente du Festival) © FredMJG
Passage obligé avant la projection d’Indochine avec Zinedine Soualem, Saïda Jawad, Claude Renoult (Maire de Saint-Malo), Ngo Phuong lan (DG du Département du Cinéma Vietnamien à Hanoï, Régis Wargnier (Président du jury) et Régine Petit (Présidente du Festival) © FredMJG

Place à Indochine signé Régis Wargnier, le très discret président de cette 1ere édition.

Le réalisateur, hautement disert sur son amour du pays et des gens qu’il y a rencontrés, y va de quelques anecdotes savoureuses sur l’implication de l’équipe vietnamienne.

A noter qu’Indochine fut, avec Diên Biên Phu et L’amant (dont la projection est prévue avant la cérémonie de clôture), le troisième film français à gros budget à avoir été tourné au Vietnam au début des années 90, ce qui explique que L’odeur de la papaye verte de Tran Anh Hung ait été reconstitué en studio, la jeune production ne pouvant lutter face à de tels « poids lourds ».

© DR/Festival du Film Vietnamien
© DR/Festival du Film Vietnamien

Indochine de Régis Wargnier_1992

avec Catherine Deneuve, Linh Dan Pham, Vincent Perez et Jean Yanne

Clameurs, amours et déchirements. Indochine a reçu moult récompenses, tant en France (Césars) qu’à l’étranger (Oscar, Goya). L’histoire en est connue, celle d’une famille coloniale exploitant des plantations d’hévéas plongée dans la tourmente des soulèvements et des mutineries qui vont contribuer à mettre fin à la présence française en Indochine.

Il est toujours étrange de revoir 20 ans après un film qui n’a laissé comme souvenirs qu’un fascinant tango entre deux rivales d’un égal appétit et un effeuillage de cocotte effrontée.

Fresque épique, Indochine pourtant, ne transpire que l’amour. L’amour de la terre, celui d’une mère, Eliane (Catherine Deneuve au sommet de sa beauté et de sa gloire) pour sa fille adoptive, Camille (Linh Dan Phan, la révélation du film qui tient la dragée haute à la star) qui le lui rend bien, celui courtois d’un confident précieux (Jean Yanne, impeccable en chef de la sûreté coloniale, ogre glaçant et bouffon à la fois), celui éperdu pour un jeune officier de la Marine française (Vincent Perez, écrasé par ses partenaires) que vont se disputer Eliane, l’indépendante maîtresse-femme et Camille, la romanesque jouvencelle, folles l’une de l’autre, puis dingues l’une et l’autre, et qui n’expriment que fureur, renoncement et tendresse.

Se répondent enfin, le désir de liberté et d’indépendance d’une nation, aussi puissant que celui qui anime Yvette (Est-il encore besoin de signaler que Dominique Blanc est un joyau ?), ex-femme d’un petit contremaître et qui ne souhaite rien tant que croquer la vie à pleines dents.

Mais, aujourd’hui, l’évidence est là ; la passion qui anime les femmes l’emporte désormais sur l’Histoire. Les hommes ne sont que des comparses tandis que l’avenir d’un pays tout entier se joue entre deux amoureuses qui ne se comprennent plus. L’une appartient déjà au peuple vietnamien, l’autre décidera de l’avenir d’un enfant qu’elle n’a pas mis au monde, lien ténu avec un pays qu’elle a tant aimé et qui l’a définitivement rejetée.

Je lui ai demandé, mais la garce ne m'a toujours pas répondu © FredMJG
Je lui ai demandé, mais la garce ne m’a toujours pas répondu © FredMJG

En rentrant, j’aperçois la lune se détacher au-dessus de la porte Saint Vincent et bien entendu je fredonne, pour la saluer, un air connu. La ritournelle ne me quittera que devant la porte obstinément close de ma chambre. Ma carte magnétique a décidé, elle aussi, de me jouer quelque tour. Aller-retour rapide à l’accueil, l’ascenseur est fatigué, moi aussi. Nous décidons de concert d’être urbains l’un envers l’autre et, à peine gênée par les conversations qui montent de l’Alchimiste, un charmant estaminet ouvert jusqu’au bout de la nuit, je m’effondre.

Fichtre, que l’on dort bien chez Anne de Bretagne !

A voir : Sur la chaine YouTube du Festival, Présentation de la programmation par Régine Petit, présidente du Festival

Si vous avez raté le début :

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