Festival du Film Vietnamien de Saint-Malo [1/07/2014 — Journal de bord 1] : Bùi Thạc Chuyên & Trần Anh Hùng

© FredMJG/Festival du Film Vietnamien 2014

Festival hors des murs parisiens, première ! Après moult (més)aventures, et quelque peu poussée au *** par la taulière de Shunrize tout autant que par l’accueil charmant de l’équipe du Festival du Film Vietnamien qui est venu pour sa première édition garer ses jonques dans le port de Saint-Malo, je me suis enfin décidée à quitter la capitale pour six jours de vacances et de dépaysement cinématographique.

Du jour au lendemain, après avoir trainaillé des pieds pendant des semaines, j’avais mes billets, ma réservation et mon sac de prêts. Après une évidente nuit blanche, je suis arrivée à la gare 126 minutes plus tôt et j’eus la joie ineffable d’apprendre que mon train serait bien à l’heure, lui.

Bien installée dans un wagon à moitié vide, j’eus bientôt la surprise de voir débarquer deux cadres plus très dynamiques au bord de la crise de nerfs qui, après nous avoir abreuvé de détails chiffrés à donner le tournis sur la présentation que l’un d’eux se promettait de défendre ardemment à Rennes, s’endormirent de concert… et l’angoissé ronfla comme un sonneur au grand désespoir de mes voisines dont les mimiques effarées firent mes délices jusqu’à ce que nos lascars se réveillent et partent vers leur destin. Ayant jeté un dernier œil torve sur l’affiche SNCF informant les passagers de leur obligation d’être urbains en collant leur smartphone sur vibreur, je pus enfin me débarrasser de mes écouteurs où AC/DC détruisait consciencieusement mes tympans sur leur highway to hell et continuer joyeusement d’avancer mon boulot (Note à moi-même : retrouver dans les plus brefs délais, et le MacBook Air que je me suis trimballé tous les jours comme une nigaude pour des prunes, et les quelques mots grattés sur le film d’Amenabar).

Les malouins sont accueillants — Chapitre 1 © FredMJG
Les malouins sont accueillants — Chapitre 1 © FredMJG

Arrivée à Saint-Malo : bonheur et félicité. Il fait beau. Il fait chaud. Une petite brise me chatouille les entournures et étant fort en avance, je décide de choisir l’exercice aux transports en commun et me dirige tranquillement vers le Palais du Grand Large pour y prendre accred’ et agenda avant d’aller déposer mon sac dans « la vieille ville » et repérer les lieux, mon sens de l’orientation n’étant rien moins que pas admirable pour un rond.

Après ce long parcours à pinces, je commence à me sentir délicieusement bien. Il faut dire que les malouins sont fichtrement accueillants. Et que pour le moment, la ville ne semble pas dégorger de touristes. Le bonheur !

Les malouin(e)s sont accueillants — Chapitre 2 (Chaussée du Sillon) © FredMJG
Les malouins sont accueillants — Chapitre 2 (Chaussée du Sillon) © FredMJG

Il fait si beau, il fait si chaud que rapidement, je me susurre qu’une douche sera la bienvenue avant d’entamer mon parcours (trois films prévus ce jour). Arrivée à l’hôtel, surprise ! la chambre n’est pas prête. Qu’à cela ne tienne, il est l’heure de se restaurer, j’abandonne le sac et me tâte : galette ou moules ? Pour une première journée, après tant d’années passées hors des sunlights, je préfère ne pas tenter le diable, si taquin avec moi ces dernières années. Va pour la galette. Je me rafraîchirai après.

Après 2 aller-retours et autant de négociations — mon petit hôtel semble avoir perdu sa femme de chambre ah ah ah — voilà que l’aubergiste bien marri m’offre le logis (et un lit double) dans le bâtiment d’époque (je peux oublier le wifi) en lieu et place d’une chambrette dans l’annexe plus moderne. Peu me chaud, je peux profiter et d’une douche fraîche et d’un repos si réparateur que je manque en oublier ma séance de 15h30.

Et c’est là, après avoir noté que Diantre ! les compatriotes d’Anne de Bretagne ne devaient pas dépasser le mètre 70 vu que pour tenir dans cette couche si haute il me faut dormir à la diagonale, que mon combat contre l’ascenseur maudit débute. Parfaitement détendue depuis mon arrivée en gare, mais toutefois fragile, ma chambre étant au 3ème étage, je me souviens que je ne suis plus un cabri depuis de nombreuses années, boude l’escalier en colimaçon, entre dans la boite infernale et appuie… sur 0. Logique.

Dans un meuglement inquiétant, la chose s’ébranle, puis s’arrête. Me souciant de l’heure, je m’impatiente devant la porte close et ré-appuie sur le 0. Enfin, la bête a compris et la porte s’ouvre… entre deux étages. En haut, l’accueil, en bas, les oubliettes. Ayant décidé de ne point m’énerver — je suis en vacances ventre-saint-gris ! – je me prépare à l’idée de passer deux heures dans ce cachot puant, de rater mon film, et décide d’appuyer sur le 1, histoire de tout tenter avant de me rendre parfaitement ridicule en hurlant Je suis coincée bande de pirates, sortez moi de là !

Le taquin remonte et s’arrête à l’accueil. OK. Je le note pour plus tard, en fait le 1, c’est l’accueil. Le 0, c’est pour la visite des cachots de cette damnée duchesse qui a connu bien des malheurs.

Le Palais du Grand Large a revêtu ses atours mais où sont les bannières annonçant le festival ? © FredMJG
Le Palais du Grand Large a revêtu ses atours mais où sont les bannières ? © FredMJG

Dans le Palais où j’arrive en nage, il n’y a pas un monde fou fou fou mais nous sommes en semaine, en début d’après-midi, les malouins et les malouines travaillent. Et le premier film présenté ce jour là est sorti deux ans après avoir été distingué à Venise. Je m’installe à ma place favorite, au fond de la belle salle près de la sortie après avoir appris que le balcon ne sera vraisemblablement pas ouvert et que la fête commence !

© DR/Festival du Film Vietnamien
© DR/Festival du Film Vietnamien

Vertiges/Chơi vơi de Bùi Thạc Chuyên_2011

avec Do Thi Hai Yen, Linh-Dan Pham et Duy Khoa Nguyen

Désirs sous les eaux. Vertiges, où l’on retrouve Linh-Dan Pham (révélée par Indochine de Régis Wargnier et qui chante en français sur la délicieuse bande-son) dans un rôle de femme amoureuse et méchamment manipulatrice est un des premiers films vietnamien à traiter, avec délicatesse, tact et mélancolie, du désir des femmes et de l’homosexualité.

Câm (Pham, donc), écrivain, laisse son amie Duyên, petite oiselle ignorante des choses de la vie, épouser Hải, adulescent velléitaire et prisonnier volontaire d’une mère castratrice. Sans oser lui avouer qu’elle en ferait bien son quatre heures. S’ensuit, souvent avec humour, la description d’un ménage dépareillé, Duyên et Hải, aussi innocents l’un que l’autre, menant une vie de co-locataires, où la sensualité déborde plus de l’architecture de leur appartement, vestige d’un temps disparu, que de leur plumard.

Par jalousie, frustration ou calcul — Câm a entamé l’écriture d’un livre dont Duyên, objet secret de son désir, serait l’héroïne —, Duyên va être poussée dans les bras de Thổ (impayable Johnny Tri Nguyen), un hédoniste, séducteur volontiers machiste et sans aucun scrupule.

On aura reconnu sous différents atours, la trame des fameuses liaisons dangereuses.

Tour à tour drôle et cruel, Vertiges se moque dans une atmosphère moite et feutrée de la lâcheté et de la violence des hommes qui ne peuvent qu’encourager une révolte dans le gynécée.

Vertiges est un film d’eau. Quand ce n’est pas le ciel qui manque noyer Hanoï et ses habitants qui bataillent ou chavirent, ce sont deux amies qui se débarbouillent l’une l’autre comme des chattes et entretiennent leur chevelure. Ou une jeune voisine (aux prises avec un père joueur plus amoureux de son coq que de ses obligations familiales) qui ne rêve que d’ablutions en baignoire. Et quant la tragédie s’annonce, la mer charrie un corps gorgé de soleil et de désespoir.

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L’hommage à Trần Anh Hùng débute par  son troisième long métrage, A la verticale de l’été. Je n’ai pas revu le film depuis sa sortie et les rares choses dont je me souvenais alors étaient trois femmes complices baignant leur longue chevelure, la beauté des gestes préparant les repas, une jonque voguant dans la baie de Hạ Long et le Velvet Underground. Le réalisateur n’est pas là mais le producteur de ses trois premiers films et du prochain, Christophe Rossignon, a fait le voyage.

© DR/Festival du Film Vietnamien
© DR/Festival du Film Vietnamien

À la verticale de l’été/Mùa hè chiều thẳng đứng de Trần Anh Hùng_2000

avec Tran Nu Yên-Khê, Nguyen Nhu Quynh, Le Khanh et Tran Manh Cuong

Les trois sœurs. Contant l’histoire de trois sœurs et d’un frère, dont la cadette, Lien, — jouée par la muse du réalisateur, l’exquise Tran Nu Yên-Khê — est secrètement amoureuse, A la verticale de l’été nous entraine, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de la mère, à la découverte des secrets d’une famille d’artistes et d’intellectuels où l’amour est bien réel, mais les apparences, trompeuses et les trahisons, subtiles.

Oubliée la violence sourde et la folie de Cyclo, second long métrage de Trần Anh Hùng ! Ainsi que le pessimisme tchékhovien.

Languide et d’une beauté enchanteresse, l’aventure est rythmée par les réveils badins de Lien et de son frère, Haï et leur gymnastique quotidienne bercée par la voix de Lou Reed.

La vie s’écoule, toute mélancolie gardée, dans un Hanoï hors du temps, où chaque être serait désespérément séduisant et chaque geste ou pensée — aussi coquine fut-elle — d’une suprême élégance, pendant qu’au fil des révélations, les liens se resserrent et que Lien accepte de grandir. Tandis que l’anniversaire du décès de son père se profile à l’horizon. Et que le spectateur ébloui peine à s’extirper de son fauteuil, le générique achevé.

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Comme pour A la verticale de l’été, je n’ai jamais revu L’odeur de la papaye verte après sa découverte au siècle dernier. Quelle n’a pas été ma surprise, lors de la projection, de me rendre compte que le film se divisait en deux parties quasi égales. Seule l’histoire de la jeune Mui (Man San Lu) est restée gravée dans ma mémoire, de sa découverte du fruit aux rituels patiemment enseignés, en passant par les petites tortures inamicales d’un garnement. Dans mes souvenirs, Tran Nu Yên-Khê apparaissait, telle un rêve dans un jeu de cache-cache, avant le générique de fin. Tout faux, donc.

© DR/Festival du Film Vietnamien
© DR/Festival du Film Vietnamien

L’odeur de la papaye verte/Mùi đu đủ xanh de Trần Anh Hùng_1993

avec Tran Nu Yên-Khê, Man San Lu et Truong Thi Loc

Amour, rituels et servitude. L’odeur de la papaye verte est l’histoire d’une émancipation, tout en pudeur et raffinement. Mui, 10 ans, débarque de son village comme apprentie-servante. Initiée aux gestes rituels et à la soumission, Mui, qui n’a pas les yeux dans sa robe sans poche, ne va pas tarder à comprendre que toute modeste que sa place soit, il lui est également permis de devenir un des membres clés de la maison qu’elle sert. La famille qui l’entoure, attachée aux anciennes valeurs et emportée dans la tourmente des amours perdus (la grand-mère vie recluse près de l’autel offert à son époux défunt ignorante qu’une ancienne flamme ne trouve son plaisir qu’à l’observer de loin jour après jour) et des frasques du père, lui prodigue tout à tour félicité et méchantes attentions (elle rappelle à la mère sa fillette perdue, mais ne sera néanmoins éduquée que pour les tâches ménagères aux fins d’épouser un des fils, fielleux garnement qui, devant tant de mutisme et de douce indifférence, la persécute allègrement).

La découverte de l’amour par Mui (extraordinaire Man San Lu) est aussi pudique et secrètement sensuelle que celle de la papaye, ce fruit qui pleure quand on l’incise.

Cette passion l’emportera dix années plus tard lorsqu’elle entrera au service de l’élu de son cœur et le séduira, car que l’on en doute pas, c’est Mui qui mène le bal. Et qui accèdera enfin avec l’aide de l’homme qu’elle s’est choisi à ce qui lui manquait, savoir et culture, comme un ultime pas vers la liberté.

Trần Anh Hùng signe avec son premier long métrage — Caméra d’or à Cannes 93 et César de la Meilleure première œuvre — une ode lumineuse à la femme vietnamienne (et notamment à la sienne, Yen-Khe Tran-Nu, qu’il caresse langoureusement de sa caméra), gardienne du foyer et des rites ancestraux. Néanmoins animée d’une volonté de fer.

Qu’en outre, Saïgon, la maison et le papayer aient été entièrement reconstitués en studio contribuent à rendre cette chimère encore plus fantastique. D’ailleurs, l’arrivée nocturne de Mui sous une pluie torrentielle ne semble-t-elle pas sonner le glas, et d’une dynastie décadente, et d’un pays alors en plein bouleversement ?

Oui, le rythme est lent mais les mondes qui se meurent n’adoptent pas toujours le rythme explosif d’un film catastrophe.

Sans doute l’épisode de la « nouvelle maitresse », femme moderne, futile et hautaine — Comment diable peut-elle sous estimer le pouvoir de Mui, toute bonniche qu’elle soit ? Mystère et salade de papaye ! — est-il de trop, et bouscule l’harmonie, le calme et la volupté dont le réalisateur nous a habilement enveloppé depuis deux heures. Nonobstant, l’enfance de Mui demeure un instant de grâce et de bonheur inégalé.

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A la fin de la projection, Christophe Rossignon, producteur des courts et des 3 premiers longs métrages de Trần Anh Hùng au sein des productions Lazennec — A noter qu’il fut en 1993 lauréat du Prix Georges de Beauregard du Meilleur Jeune Producteur —, revint se prêter au jeu des questions/réponses avec les spectateurs.

Il ne semblait guère à l’aise. Timidité ? Pourtant, à l’écouter parler de la production du film et de la reconstitution de la moiteur vietnamienne dans les studios de Bry-sur-Marne, du réalisateur (dont il produit la prochaine œuvre) et de son épouse, il exhalait un enthousiasme discret qui finit par emporter le public. Un peu trop même puisqu’une dame n’hésita pas à lui demander des conseils pour de futures vacances au Vietnam ! Tête du producteur… Et rire général quand il lui fit remarquer qu’il lui était impossible de lui dire quand il pleuvait le moins (!) au Vietnam et qu’il n’était point une agence de voyages.

Quant à moi, je me dis in petto, tandis que la salle se vide, qu’il me fallait revoir Cyclo au plus vite.

Mes chers voisins, les Mouettes © FredMJG
Mes chers voisins, les Mouettes © FredMJG

Je rentre directement à l’hôtel. Fourbue, mais ravie. Repue d’images aussi, je rechigne à me restaurer. L’ascenseur condescend à me remonter au 3ème. Je tente un appel au wifi, les mouettes qui nichent en face me répondent. Je m’écroule. Demain est un autre jour.

A voir : Sur la chaine YouTube du Festival, A la découverte du cinéma vietnamien

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