Ha Ha Ha de Hong Sang-Soo

Ha Ha Ha de Hong Sang-Soo © Les Acacias

Qu’importe le flacon. Pour sûr, ça rigole sec dans Ha Ha Ha, la dernière plaisanterie de Hong Sang-Soo*, singulièrement dès lors qu’il n’y a pas de quoi. Et ça picole aussi, grave.

Sans doute aurait-il mieux valu s’en jeter un itou avant d’aller écouter deux amis d’enfance — dont l’un est un cinéaste en partance, spécialiste du surplace — se raconter leurs dernières aventures amoureuses et imbibées car survient au bout d’une heure trente (le film en dure deux) comme un sentiment d’ennui poli devant ce conte cruel des amours de passage et notre indulgence première pour ces vieux adolescents s’enfuit peu à peu au rythme des godets qu’ils éclusent hystériquement.

Mais que la vie fait parfois merveilleusement son office ! Ne voilà-t-il pas que hasard ou coïncidence, nos deux compères se sont auparavant trouvés en villégiature dans la même ville sans s’y croiser. Chacun y va à tour de rôle de ses bons moments tandis que le spectateur peut constater avec une gourmandise amusée qu’ils y ont rencontré le même couple (un poète — et ex-marine ! — invétéré coureur de jupons et sa dernière conquête qui va affoler bien malgré lui notre cinéaste) et qu’ils l’ignorent.

Les souvenirs affluant, l’alcool de riz déliant les langues, les souvenirs intimes se colorent de plus de franchise et d’impudeur. Et l’on assiste alors à un infernal chassé-croisé, où les dames — même de passage — ont toujours la place d’honneur et où la bibine coule à flots qu’il s’agisse de se désinhiber face à une cour empressée ou simplement d’y trouver le courage d’assumer ses responsabilités. Et nos potes de trinquer encore et toujours opportunément à la beauté des demoiselles et aux plaisirs fugaces.

Le film est parcouru de scènes burlesques dont la moindre n’est pas le brusque réveil d’un présumé SDF qui a fait auparavant l’objet de maintes hypothèses incongrues de la part de nos intellectuels. L’excentricité intrinsèque des protagonistes prête toujours à sourire même si souvent la mélancolie affleure devant l’impossibilité de ces grands dadais de construire une relation sur la durée, voire de se libérer des jupons maternels.

D’autant que la formidable Youn Yuh-jung incarne merveilleusement, candide et truculente à la fois, la mère poule du cinéaste, éperdue d’indépendance, généreuse et envahissante, restauratrice de son état et maitresse femme n’hésitant guère à materner sa clientèle pas plus qu’à rabrouer un fiston encombrant et moralisateur.

La petite musique si séduisante de Hong Sang Soo se fait certes encore entendre, mais à maintes reprises de manière cacophonique, nos joyeux fêtards — au fur et à mesure que le temps s’écoule et que leur jeunesse trépasse — se muant lentement mais sûrement en piliers de bar invétérés ressassant à l’infini de sempiternelles histoires de conquêtes stériles de femmes inaccessibles. On peut aisément imaginer retrouver nos velléitaires dans quelques années, toujours accrochés à leur eau de vie, ayant noyé leurs rêves et leur talent au fond d’une bouteille et férocement épinglés dans une chronique douce-amère.

Et le réalisateur, de tourner également légèrement en rond, en compagnie de ses personnages.

Nonobstant tout ceci ne doit pas nous empêcher d’attendre le prochain film de Hong Sang-Soo d’un pied encore ferme. Avec éventuellement un verre à la main.

* Prix Un Certain Regard au 63e festival de Cannes 2010

Ha Ha Ha de Hong Sang-Soo_2010
avec Kim Sang-Kyung , Moon So-Ri, Yu Jun-Sang, Kim Kang-woo et Youn Yuh-jung