Les désastres de la guerre. Luna et Amar s’aiment d’un amour tendre et vigoureux. Ils travaillent ensemble dans la même compagnie aérienne ; lui, au sol, comme aiguilleur du ciel, elle, dans les nuages, charmante hôtesse de l’air s’éclipsant vers des contrées étrangères. Luna et Amar souhaitent un enfant mais vont être contraints par la stérilité d’Amar d’en passer par l’insémination artificielle. Amar est alcoolique et en perd son travail, mais le soutien de la douce et impétueuse Luna semble indéfectible.
Cette histoire simple et fort chabadabadesque serait d’une banalité à pleurer si Luna et Amar n’étaient également des survivants de la guerre fratricide qui divisa à jamais l’ex-Yougoslavie à l’orée du XXIe siècle.
Musulmans non pratiquants vivant à Sarajevo, ville dont l’architecture et les esprits sont encore fortement marqués par le conflit, la stabilité de leur couple se lézarde dangereusement le jour où, par le plus grand des hasards (?), Amar croise le chemin d’un ancien compagnon d’armes, converti au salafisme.
Exalté par ces retrouvailles fortuites, le fragile Amar — qui vit dans le souvenir d’un frère mort en héros durant les hostilités — se laisse insidieusement séduire par les belles promesses qui lui sont faites d’un avenir meilleur sous la sainte garde d’Allah et en oublie tout sens commun.
Si soudaine appréhension il y a, elle provient essentiellement de nos clichés tant sur l’alcoolisme que sur l’intégrisme. Aucune violence pourtant, qu’elle soit verbale ou physique, dans le comportement d’Amar. C’est bien ce qui le rend singulièrement inquiétant. Comme brusquement habité par une flamme intérieure et devenu sourd aux supplications de sa compagne prompte à la révolte, il ressemble comme un frère aux malheureux héros d’Invasion of the body snatchers*.
Cette force qui vient de s’emparer de son corps et de son âme, Amar la nomme Allah et se met à prêcher en son nom d’inacceptables leçons pour tout bon musulman qui se respecte. Pour l’indépendante Luna, cette obstination nouvelle et ces imprécations évoquent fondamentalisme et intolérance. Surtout après une sinistre visite dans un camp retranché, où les nouveaux compagnons de son cher et tendre ont élu domicile pour y vivre loin des tentations de la vie moderne, repliés sur eux-mêmes et observant des valeurs, certes pures dans leurs intentions, mais malgré tout abimées par la soif de pouvoir des hommes et leur désir de revanche.
Jasmila Zbanic ne juge pas, ni les éventuels choix de sa troublante héroïne (la fin reste ouverte, aux spectateurs de l’écrire), ni les faiblesses d’Amar, ni même les barbus (tout au plus pointe-t-elle du doigt en une scène unique les contradictions de leur enseignement).
Son propos n’est pas là mais bien plutôt de composer un subtil portrait de femme, et à travers elle et la difficulté à se reconstruire — parfois très égoïstement — après un conflit meurtrier, nous éclairer sur le destin d’un peuple sur le chemin de la résilience et du pardon.
Joli film sur la désagrégation d’un amour mais toutefois résolument optimiste, Le choix de Luna est illuminé par la solaire beauté de son interprète principale, la pétillante et délicieuse Zrinka Cvitesic.
* Film paranoïaque de Don Siegel_1956
Le choix de Luna/Na putu de Jasmila Zbanic_2009
avec Zrinka Cvitesic, Leon Lucev, Ermin Bravo, Mirjana Karanovic et Marija Köhn