Dr Kitano et Mr Beat. Que diable y a-t-il donc dans le crâne de Takeshi « Beat » Kitano ?
Rédigé à la manière d’un monologue, Kitano par Kitano est la somme de multiples interviews accordées — après bien des atermoiements — à Michel Temman, journaliste à Libération, qui s’efface fort judicieusement devant la parole de l’homme orchestre à la personnalité complexe (voire multiple) qui a enfin décidé de se découvrir, et ce devant quelques bonnes bouteilles : soit un bouffon + un acteur + un réalisateur + un homme de télévision + un danseur de claquette + un peintre + un humaniste, autant admiré internationalement que violemment critiqué dans son propre pays.
Ces confessions intimes dressent un portrait sans concession de Takeshi Kitano, monument d’excentricité pétri de contradictions, insaisissable pince-sans-rire, grand adepte de l’autodérision constante mêlée à une insatisfaction chronique. Même s’il avoue stoïquement être parfaitement égocentrique, l’homme — de par un attachement indéfectible à ses proches** — se révèle profondément touchant et par une dernière pirouette, demeure un mystère une fois le livre refermé.
Se livrant sans fard ni fausse modestie, qu’il s’exprime sur son enfance pauvre et difficile***, son triomphe télévisuel, ses rencontres professionnelles****, son engagement humanitaire pour l’Afrique, en passant par la critique cruelle de ses films*****, l’art contemporain, l’étude mordante de la société japonaise****** ou l’évocation de son « accident » et de la prise de conscience mystique qui en résulta, Takeshi Kitano dévoile sous des dehors hilares que sa nature — parfois infantile, tantôt salace — a horreur du vide. Et c’est sans nul doute ce qui le pousse à toujours demeurer en action, de crainte de sentir sa propre existence lui échapper, voire de périr d’ennui sans le travail acharné auquel il se soumet jour après jour.
Mais ne nous y trompons pas, si le réalisateur se flagelle inlassablement, c’est aussi pour mieux faire ressortir l’étonnement constant, la joie quasi enfantine et la saine satisfaction que provoquent chez lui ses multiples réussites. Comme une revanche prise sur les mauvais souvenirs d’enfance qui le poursuivent encore.
Une fausse autobiographie qui se lit comme un roman à conseiller aux inconditionnels (qui y retrouveront le mélange de gaieté rigolarde et d’humour saugrenu dans lequel baignent ses œuvres) et aux détracteurs (qui découvriront que sous le masque de clown se camoufle une intelligence rare et inquiète).
* Si l’on excepte quelques notes d’intentions précisant les détails des rencontres ou la biographie d’un interlocuteur.
** Ne confessera-t-il pas qu’à choisir entre ses compagnons de clowneries et sa propre famille, il n’est pas sûr et certain de ne pas privilégier ses Gundans, soit la troupe de comédiens et amis qui l’entoure perpétuellement.
*** S’il rend un persistant hommage à sa mère, il n’hésite pas à avouer s’être inspiré de son père pour jouer le géniteur monstrueux de Blood and bones/Chi to hone de Youchi Saï_2004.
**** Notamment avec Nagisa Oshima qui le révèlera en 1983 en lui confiant le rôle d’un tortionnaire dans Furyo/Merry Christmas Mr Lawrence, censé être au départ un écrin de luxe pour le « couple » David Bowie/Ryuichi Sakamoto… Idée géniale s’il en fut, Kitano étant plus connu de ses compatriotes jusque là comme « Beat », le ratiboisé du bulbe ne reculant devant aucune pitrerie dans le but d’agiter leurs zygomatiques.
***** Surtout ce qu’il nomme sa « trilogie de processus de la déconstruction en art » : Takeshi’s_2005, Glory to the filmaker !_2007 et Achille et la tortue/Akiresu to kame_2008, véritables psychothérapies où Kitano tente une bonne fois pour toute de régler son compte à son double « Beat » estimant que la meilleure manière de se blinder contre les critiques est encore de se démolir consciencieusement et vigoureusement.
****** Son franc parler et une absence totale de diplomatie en font d’ailleurs la cible favorite d’une certaine presse de droite japonaise.
Kitano par Kitano de Michel Temman et Takeshi Kitano
aux Editions Grasset & Fasquelle_2010
Quand je ne vais pas bien, j’ai un peu l’impression de manier une marionnette, la mienne, qui en réalité ne m’appartient pas. C’est de cette manière que je peux concilier Beat Takeshi et Takeshi Kitano.
Takeshi Kitano
Quelques liens.
A consulter :
Je ne saurais trop encourager les inconditionnels et/ou les curieux à explorer le site Kitano.net tout entier dédié à la vie et l’œuvre de Takeshi Kitano. Vous pourrez y trouver notamment un catalogue exhaustif de ses émissions de télévision, des interviews, et surtout quelques délirantes publicités pour des nouilles ou des jeux vidéos.
A lire :
J’ai rencontré Takeshi Kitano, cinéaste, peintre et dieu vivant de Jérémie Couston pour Télérama (avec quelques extraits de ses plaisanteries télévisées).
Anarchiste zen. Portrait de Takeshi Kitano d’Alexandre Prouvèze pour Evene.fr.
Kitano par Kitano, autobiographie d’un maître d’Alexandrine Dhainaut pour le webzine Il était une fois le cinéma.
A voir :
Takeshi Kitano : un monstre de l’image, une interview de Clément Sautet et Aurélien Chartendrault pour L’Express.fr.
Bande annonce de la Rétrospective Takeshi Kitano au Centre Pompidou.
Rencontre avec le réalisateur lors de l’inauguration du cycle Takeshi Kitano, l’iconoclaste au Centre Pompidou.
Exposition Takeshi Beat Kitano, Gosse de peintre à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain.