Rapt de Lucas Belvaux

Ivan Attal dans Rapt de Lucas Belvaux © Diaphana Films

Swimming with sharks. Amplement inspiré de la méchante aventure qu’a vécu en 1978 le baron Empain, Rapt de Lucas Belvaux ne convainc pas totalement. La faute sans doute à la relecture actuelle (pour raisons essentiellement financières) de l’événement.

Ne pouvant jouer sur le suspense car l’histoire et l’heureux – du moins en apparence – dénouement (le financier, après avoir été mutilé par ses kidnappeurs aux fins d’intimidation est relâché vivant bien que la rançon exigée n’ait jamais été versée) sont connus, le réalisateur a préféré s’attacher — parallèlement à la détention de son héros — aux drames familiaux, enfer médiatique et coups bas industriels qui se sont joués lors de son absence.

La question qui se pose n’est donc plus de savoir si notre victime va ou non être délivrée à temps mais bien plutôt, comment diable la famille va-t-elle gérer son intenable position financière et se comporter, après moult révélations graveleuses sur la vie de patachon mené par le pater familias, tout en persuadant les malfaisants d’accepter une somme bien inférieure à celle réclamée et ainsi, réussir à refiler cette maudite rançon au nez et à la barbe de policiers intransigeants*.

Tout ceci sous l’œil parfaitement inamical du pouvoir, des sous-fifres et autres ambitieux qui ne semblent rêver que d’une seule chose : être débarrassés à tout jamais de l’impudent héritier, dut-il devenir un martyr pour laver l’opprobre jeté sur le patronat.

Si Lucas Belvaux excelle à décrire par le menu cette comédie des apparences** (mention spéciale à Françoise Fabian, vipérine génitrice du héros) et l’appétit des médiocres (André Marcon offre également une interprétation remarquable), on a pourtant du mal à imaginer en 2010 où toute personne publique n’a plus de vie privée et risque désormais de payer le prix fort à la moindre incartade (siège de paparazzi, informations erronées et mise en ligne de sex tape) que soient divulguées dans les journaux people exhibés par les protagonistes des photos volées, alors qu’en son temps un magazine bien connu préféra exhiber sur sa couverture l’humiliant portrait du séquestré envoyé par ses ravisseurs.

De même que contrairement à ce qu’a pu dire l’acteur principal du film, Yvan Attal, venu seul (et légèrement éméché, ce dont il s’est excusé) défendre le film après sa présentation***, on ne peut faire d’amalgames avec les faits survenus durant les tristement fameuses années de plomb et l’époque actuelle. Mettre en parallèle la souffrance du baron Empain, victime du grand banditisme, et celle (dont on ne saurait se gausser par ailleurs) ressentie par des patrons retenus en otages par des employés désespérés est un raccourci qu’il vaut mieux éviter de prendre. On ne peut du reste pas plus comparer le rapt dont s’agit avec ceux d’Hanns-Martin Schleyer abattu l’année précédente par la Fraction Armée Rouge ou de Georges Besse assassiné quelques dix ans plus tard par Action Directe. Ni préjuger en outre de la personnalité des victimes****.

Nonobstant, c’est au moment précis où notre héros est relâché que le film prend de l’ampleur et acquiert son intérêt. Comment se reconstruire après la peur, les révélations, la suspicion et la mise en quarantaine… Ainsi, une scène domestique des plus banales – un dîner de famille où le chien vient quémander un peu de nourriture au revenant importun – devient le comble de l’horreur.

On ne saurait nier l’implication totale d’Yvan Attal (il reviendra lors des questions posées par le public sur son fameux « régime »… Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur l’absolue nécessité de se mettre en danger pour valider la valeur d’une interprétation) et son entier dévouement. Du pantin égoïste sous amphétamines uniquement mu par ses obligations professionnelles ou sa recherche de plaisirs immédiats du prologue, à l’homme émacié de l’épilogue, en cheminant par la déshumanisation du séquestré, il opère un sans-faute.

Par le choix de Gérard Meylan (d’une inquiétante bonhommie) pour le rôle de la crapule, Lucas Belvaux, s’il ne juge pas ses personnages, prouve tout de même où vont ses sympathies. Car c’est avec son kidnappeur (un bon vivant uniquement préoccupé de la bonne marche de son business) que son héros a les échanges les plus francs sans faux-semblant ni pure bienséance.

Il est d’ailleurs amusant de noter que s’il ne rechigne pas à causer chasse et arme à feu avec son (peut-être) futur bourreau, il a bien plus de mal à franchir la frontière de son intimité et à babiller sur ses aventures extra-conjugales. La lutte des classes est donc loin d’être finie.

Mais le réalisateur se range, quant à lui, définitivement du côté de l’humain et le film s’achève sur un plan des plus crus d’une glaciale solitude. Dommage. L’histoire ne faisait que débuter.

* Parmi d’autres infructueux essais, une scène quasi surréaliste voit l’avocat de la famille (joué par le trop rare Alex Descas) s’égarer en fin de course sur une plage occupée par des policiers en faction.
** Les scènes familiales sont empreintes d’une théâtralité de mauvais aloi parfaitement étouffante… et Anne Consigny devrait prendre garde à ne pas devenir notre Maria Schell nationale en pleurant de film en film. Son talent mérite mieux : pour preuve, la remarquable scène de retrouvailles. En un instant passent tant d’émotions dans son regard – incrédulité, reconnaissance, haine et froideur – que l’on a plus aucun doute sur le devenir du couple.
*** Merci à CineManiaC de son invitation.
**** Nous mettrons donc sur le compte du repas arrosé l’emballement de l’acteur répétant à l’envie que nul ne mérite d’être enlevé et de souffrir, fut-il un patron… Affirmation qu’une personne au cerveau normalement constitué ne peut mettre en doute. Le débat est clos.

Rapt de Lucas Belvaux_2009
avec Yvan Attal, Anne Consigny, André Marcon, Françoise Fabian, Alex Descas, Michel Voïta, Gérard Meylan, Patrick Descamps et Maxime Lefrançois