Inglourious Basterds de Quentin Tarantino

Diane Kruger, Michael Fassbender & Til Schweiger dans Inglorious basterds de Quentin Tarantino © Universal Pictures International

QT le recycleur.  Le sixième* opus de Quentin Tarantino, Inglourious basterds ou comment le cinéma permet — pur fantasme d’un virtuose — de changer le cours de l’Histoire est un bâtard de la plus belle espèce. Dommage qu’il ne tienne pas sur la longueur les promesses annoncées dans la scène d’ouverture.

S’il souhaitait se montrer fort respectueux de la vérité historique pour son Walkyrie, Bryan Singer eut beaucoup de peine à fasciner avec son faux suspense (Von Stauffenberg va-t-il réussir à abattre Hitler ?) et l’absence de crédibilité quant à l’embauche d’une armada d’acteurs so british chargés d’incarner la fine fleur de l’armée allemande.

Grand bavard devant l’éternel, Quentin Tarantino ne pouvait succomber à une erreur aussi grossière, et là est la première force d’Inglourious basterds, qui réunit un casting hallucinant d’acteurs issus d’univers et de nationalités différentes pour un film joyeusement polyglotte**.

Le second pied de nez à tout film hollywoodien qui se respecte est de faire cohabiter le classique et le trivial***, d’amalgamer les genres comme les références et d’honorer ainsi le cinéma bis qui jamais ne connut un tel état de grâce, ni semblable budget. Remercions donc ici le réalisateur pour son petit jeu de pistes burlesque qui ne peut que pousser ses laudateurs à la curiosité : revoir ou découvrir (dans le désordre, et cette liste est loin d’être exhaustive) les films de Chaplin, Leone, Ford, Godard, Corbucci, Pabst, Lubitsch, Hitchcock, Clouzot, Sirk, Sollima, Walsh, Fuller, Lang, Aldrich, Margheriti, ou Cardiff et y admirer Zarah Leander, Aldo Ray, Marlene Dietrich, Yvettte Mimieux, Brigitte Helm, Dorothy Malone, Danielle Darrieux, Jim Brown, Audy Murphy, voire Edwige Fenech (pour les amateurs de beautés transalpines peu farouches****).

Sacrifiant à une vieille habitude, en décidant de découper son conte de fées (en deux mots, une jeune juive venge le massacre de sa famille en fomentant un complot visant à éliminer le führer et ses ouailles lors de la première du biopic d’un sniper***** tout en ignorant qu’une horde de juifs américains, grands amateurs de scalps, caresse le même but) en cinq chapitres inégaux (en longueur et en intérêt), Quentin Tarantino prend le risque de perdre le spectateur. Tout concoure pourtant à faire se retrouver tous les protagonistes au cinéma, dans une salle conçue comme un piège, où va se jouer la vraie fiction : l’élimination pure et simple de la menace nazie. Belle idée s’il en est.

La mise en bouche convoque tour à tour deux légendes westerniennes, John Ford et Sergio Leone (qui se partagèrent Henry Fonda, aussi inoubliable en bon qu’en brute) et nous présente le personnage le plus glauque jamais enfanté par l’imagination délirante de Quentin Tarantino. Justement récompensé par un prix d’interprétation à Cannes, Christoph Waltz, en nazi linguiste d’une bonhomme perversité, offre une prestation ahurissante. Alliant la viscosité d’un poulpe à l’amabilité du crotale, il est sans contexte l’Uma Thurman d’Inglourious basterds. Même si en définitive, c’est Diane Kruger, remarquable en agent double, qui aura droit dans un délicieux démarquage de Cendrillon au fameux plan fétichiste sur ses charmants orteils, c’est irrévocablement Christoph Waltz qui sera filmé de bout en bout avec amour et fascination. Un vrai coup de foudre cinématographique.

On ne peut malheureusement pas en dire autant de la rencontre Quentin Tarantino/Mélanie Laurent. Alors que tous (ou presque) jouent leur partition côté farce, sa froide prestation fondée sur le sérieux et des œillades intempestives plombe singulièrement la plaisanterie. A fortiori, Julie Dreyfus (dans un hommage très appuyé aux traductions simultanées du Mépris de Godard******), fort pimpante et donc, Diane Kruger, étonnante — et il faut l’avouer, remarquablement servie — remportent la palme du glamour et de l’humour, côté dames.

Côté garçons, les inglourious basterds débarquent dans le second chapitre, menés tambour battant par le Da Vinci de la croix gammée, un Brad Pitt quasi défiguré par une mâchoire prognathe et affublé d’un accent à couper au couteau, qui s’auto-parodie allègrement*******. Toutefois, même si son talent n’égale pas celui de Lee Marvin, recruteur de douze salopards pour Robert Aldrich [The dirty dozen_1967], il a l’air de tellement s’amuser à se ridiculiser (une scène anthologique restera toutefois à jamais dans les annales de son CV, soit une interprétation sans rire et sans peur d’un producteur italien dans le texte) qu’on finit par le trouver diablement sympathique… particulièrement dans la mesure où l’équipe des basterds est bien pâlotte et nous fait regretter Cassavetes, Bronson, Sutherland ou Savalas à deux exceptions près.

D’un côté, Til Schweiger, le psychopathe de service, est souverainement hilarant en serial killer d’officiers nazis à ses heures perdues. On s’attendrait presque, dès qu’il croise sa proie favorite, à l’entendre geindre Ich kann nicht! tel M, le maudit/Peter Lorre dans le film éponyme de Fritz Lang_1931. De l’autre, Eli Roth (raffiné réalisateur de Hostel 1 et 2, deux films d’exploitation — torture et perversion — d’une haute portée morale), s’est vu offrir par son petit camarade de jeu le rôle du Bear Jew, le pourfendeur de cranes et assouplisseur de squelettes d’ennemis à coups de battes de baseball. Son jeu très limité et son air frustre font d’autant plus merveille lorsqu’il essaie de se faire passer pour le fameux Antonio Margheriti, réalisateur de films d’horreur gothique et de westerns parodiques (il n’est d’ailleurs que justice qu’un américain emprunte son pseudonyme à un réalisateur qui signa les trois quarts de ses œuvres sous le nom d’Anthony M. Dawson).

Les scènes de chasse au nazillon et cueillettes de scalps, filmées de manière hyperréaliste, évoquent d’emblée le sadisme de certains westerns italiens mais rappellent également Le dernier train du Katanga de Jack Cardiff [Mercenaries ou The Dark of the sun_1968], épopée sanguinaire émaillée de folles bagarres — dont une à la tronçonneuse — et massacres en tous genres, truffée de nazis et de mercenaires bas du front et interprétée par Rod Taylor (ici, en Winston Churchill dans la séquence britannique) et Yvette Mimieux (nom donné au personnage interprété par Maggie Cheung, malheureusement éliminée du montage final********).

Si l’on savoure gaillardement le recrutement de l’agent anglais (Michael Fassbender, tout en nuances et distinction charmeuse), « critique de cinéma dans le civil », la rencontre prévue au sommet entre nos héros et l’agent double permet à Quentin Tarantino de donner à nouveau pleine mesure de ses péchés mignons, bavardages extravagants (en l’occurrence, nos joyeux drilles vont se trouver dans l’ironique obligation de jouer à Qui suis-je ? avec l’ennemi) et suspense sur la continuité. Il étire la scène avec un plaisir narquois alors que le public subodore que tous ces enfantillages ne peuvent s’achever que dans un bain de sang puisque que lors de La grande évasion de John Sturges [The great escape_1963], les excellents Richard Attenboroug et Gordon Jackson nous ont prouvé qu’aussi doués que soient les britanniques en matière d’infiltration ou de langues étrangères, ils finissent toujours par trahir leurs origines anglo-saxonnes par excès de politesse.

Pour jubilatoires que soient ces scènes, Quentin Tarantino pêche par excès de zèle dans les séquences françaises et rate ses effets les trois quarts du temps. Si la première rencontre entre Mélanie Laurent et Daniel Brühl est réussie (outre que la donzelle lui propose, s’il souhaite lever une française d’aller faire un tour du côté de Vichy, leur discussion sur le respect montré en France aux réalisateurs prête à sourire lorsque l’on se remémore les problèmes rencontrés par Henri-Georges Clouzot lors de la sortie de son Corbeau en 1943*********), les séquences suivantes (la rencontre dans un café où la péronnelle lit impunément Le saint à New York de Leslie Charteris et la convocation de ladite à une rencontre surréaliste avec Joseph Goebbels pour la réquisition de son cinéma) sont fort longues et un tantinet laborieuses. Sans parler des échanges entre la demoiselle et son projectionniste d’amant et la description en fanfare du complot qu’elle ourdit : lors de la fabrication du home movie, le jeu médiocre des deux acteurs couplé à un manque total d’alchimie est pour beaucoup dans l’ennui ressenti.

Par contre, la frustration est grande de ne pas assister plus longuement au jeu du chat et de la souris qu’instaure Christoph Waltz lorsqu’il retrouve sa victime… Scènes abandonnées sur la table de montage ? Indice quant à l’effarant twist final ? Impossible d’en juger, à moins qu’un DVD director’s cut ne vienne combler les trous du scénario.

Qui trop recycle finit par lasser et Quentin Tarantino se tire finalement une superbe balle dans le pied. Tout à son enthousiasme (la dernière réplique du film prononcé par Brad Pitt n’est-elle pas : You know somethin’, Utivich? I think this might just be my masterpiece… Gageons qu’il s’agit là d’un pur clin d’œil du bonhomme qui n’est jamais le dernier pour se complimenter), le réalisateur semble parfois se parodier et finit même par s’auto-citer : le fameux bingo! déjà prononcé — et de manière moins cabotine — par Gogo/Chiaki Kuriyama dans Kill Bill). Qu’il apprécie Ennio Morricone (dont il n’a pu obtenir le concours pour cause d’agenda surchargé), personne ne songera à lui en tenir rigueur, qu’il emprunte mélodies et musiques à d’autres films pourquoi pas lorsqu’elles servent le film (pour mémoire, le duel sis dans un jardin japonais enneigé baignant dans un climat surréaliste grâce au Don’t let me be Misunderstood made in Santa Esmeralda ; combat à l’issue duquel d’ailleurs The bride/Uma Thurman scalpe d’O-Ren Ishii/Lucy Liu) mais deux fausses notes parfaitement déroutantes sont pour beaucoup dans la déception qu’est finalement Inglourious basterds qui a une fâcheuse tendance sur sa durée à lâcher les spectateurs en cours de route.

Et Mélanie Laurent en fait malheureusement les frais. Etait-ce une si bonne idée de faire retentir Putting on fire de David Bowie, chanson composée par Georgio Moroder pour le Cat people de Paul Schrader_1982 lors d’un long plan fixe ? Outre que les paroles décalquent immodérément l’épilogue à venir et que la jeune femme vient d’être comparée à la charmante Danielle Darrieux (pardon ?), cet air aux connotations effroyablement eighties rappelle également le jeu instinctif et animal de Nastassja Kinski, soit l’antithèse parfaite de notre actrice mesurée et cérébrale.

Le coup de grâce intervient lors de l’ultime confrontation entre Mélanie Laurent et Daniel Brülh filmée dans un ralenti ridicule qui éteint toute émotion alors que retentit (sacrilège !) la musique qu’Ennio le maestro avait écrite pour Revolver de Sergio Sollima, un des plus beaux fleurons du cinéma italien des années 70 [La poursuite implacable/Blood in the Streets_1973]. On s’attendrait presque à entendre chanter Daniel Beretta…

Et peu importe que le film s’achève sur un morceau de bravoure (que n’aurait pas renié la Carrie de Brian de Palma) et un embrasement qui laisse un goût amer de cendres. La merveilleuse beauté du film en noir et blanc réalisé pour l’occasion (en un ultime hommage à Brigitte Helm) et qui n’en finit pas de brûler fait regretter les faux pas qui parsèment le film.

Reste à imaginer qu’ayant enfin réglé son compte au cinéma tout entier, Quentin Tarantino se libère définitivement de la créature QT qu’il a lui-même contribué à créer et nous offre prochainement une œuvre enfin débarrassée de toutes fioritures.

L’ultime intérêt d’Inglourious basterds est de rappeler à notre bon souvenir Man hunt/Chasse à l’homme de Fritz Lang_1941 où, lors d’une partie de chasse, le héros interprété par Walter Pidgeon capture un bref instant Hitler dans sa ligne de mire et passe le reste de l’histoire à regretter de ne pas avoir tiré.

Et, blague à part, gageons — à toutes fins utiles — que ce brave Hubert Bénisseur des Filles Bath aurait été comblé par le twist final imaginé par Quentin Tarantino, lui qui ne rêvait qu’à une réconciliation des juifs et des nazis à la fin d’OSS117 : Rio ne répond plus de Michel Hazanavicius…

La vérité historique est une fille que l’on peut violer à condition de lui faire de beaux enfants.

Alexandre Dumas

* Si l’on considère Kill Bill 1 et 2 comme un seul et même film et si l’on oublie charitablement sa participation en 1995 au film à sketches Four rooms/Groom service.

** Un bémol cependant se doit d’être apporté concernant l’équipe française (Hormis Denis Minochet tétanisé par Waltz, Mélanie Laurent et Jackie Ido) qui semble très mal à l’aise et peine à s’adapter au ton cartoonesque de l’ensemble… Par excès de cartésianisme n’en doutons pas. Et passons sous silence le « rôle » dévolu à Léa Seydoux…

*** Il va de soi que ce terme est à prendre avec les pincettes nécessaires… n’en déplaise à ceux qui s’offusquèrent il y a quelques mois qu’un « bisseux » comme Jess Franco ait les honneurs d’une rétrospective à la Cinémathèque Française.

**** Ce petit plaisantin de Tarantino affuble de ce patronyme le général britannique interprété par le frétillant Mike Meyers qui n’est pas loin d’avoir retrouvé son mojo.

***** Dans un film intitulé La gloire de la nation, tout un programme ! Le film d’un intérêt confondant — un sniper transforme un quartier en boucherie en tirant comme des lapins les soldats qui l’encerclent — a été réalisé par Eli Roth, déjà responsable de Thanksgiving, une des fausses bandes annonces égayant le double programme Grindhouse de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez_2007.

****** En une auto-citation toutefois du rôle qu’elle tenait auprès de Lucy Liu/O-Ren Ishii dans Kill Bill.

******* Brad en profite pour nous servir un peu de réchauffé, lorsque menaçant un soldat d’en appeler au golem, le « Bear Jew« , il mâchouille goulument les mots, les yeux emplis de gourmandise, sur le même ton employé pour terroriser Osborne Cox/John Malkovitch dans le Burn after Reading des frères Cohen_2008.

******** Si l’on en croit les rumeurs qui pourraient éventuellement s’avérer exactes puisque le réalisateur lui-même se répand à chaque interview sur la qualité époustouflante du jeu de Maggie Cheung, les scènes auraient été retirées pour ne pas froisser la susceptibilité de la présidente du Festival de Cannes, Isabelle Huppert, envisagée un moment pour le rôle et ayant déclaré forfait pour cause de conflits d’agenda…

********* Faussement accusé de donner une image bien peu reluisante de la France en des temps si cruels où la délation était le sport favori de certains, il sera à la libération frappé d’une interdiction à vie d’exercer son métier et ne devra son salut professionnel qu’à certains éminents confrères comme Jacques Becker ou Henri Jeanson.

Inglourious basterds de Quentin Tarantino_2009
avec Brad Pitt, Christoph Waltz, Eli Roth, Diane Kruger, Mélanie Laurent, Michael Fassbender, Til Schweiger, Daniel Brühl, August Diehl, Mike Myers, Julie Dreyfus, Jacky Ido, Denis Ménochet et Rod Taylor


Epilogue en forme de revue de blogs
Reconnaissons que Quentin Tarantino a également le grand mérite de ne laisser personne indifférent et qu’il vaut mieux diviser plutôt que de connaître un règne consensuel.
Parmi les plus dithyrambiques, citons Vincent d’Inisfree, mais également l’enthousiasme délirant de Rob Gordon a toujours raison et Sandra M. qui témoigne de son expérience cannoise sur inthemoodforcannes.
Tandis que Kilucru des Irréductibles avoue sa déception, Edisdead de Nightswimming est bien plus circonspect alors que Vierasouto de Cinemaniac s’excuserait presque de ne pas s’être laissée séduire.
Et finalement, sur Buzzmygeek, Chandleyr, plus pragmatique, essaie de ne pas trop bouder son plaisir malgré les infidélités de Quentin Tarantino au script original, qu’il a apparemment eu le loisir de consulter.