La passion de Mickey. Un film qui s’achève par un générique bercé par la voix de Bruce Springsteen* ne peut décidément pas être mauvais.
Il n’est guère innocent que le film (gore) de Mel Gibson, The passion of the Christ_2004 soit évoqué dans le dernier opus de Darren Aronofsky. Le réalisateur ne sort-il pas du purgatoire où l’ont plongé les critiques assassines et le flop (injustifié, au vu des dithyrambes que récolte aujourd’hui le dernier film ampoulé de David Fincher) de The fountain ? Et l’acteur qu’il a choisi (on n’ose imaginer ce qu’aurait été The wrestler interprété par ce grand cabotin de Nicolas Cage) pour filmer sa résurrection n’entame-t-il pas lui aussi son propre chemin de croix vers une consécration méritée ?
Après une radiographie de l’Amérique junkie (dans Requiem for a dream_2001), Darren Aronofsky filme aujourd’hui les laissés-pour-compte du grand rêve américain et de la société du spectacle en s’immergeant au cœur même d’une drôle de confrérie, celle des catcheurs professionnels… Mais fi des stars et des grands matchs retransmis par la World Wide Wrestling Federation (dont les fleurons restent Dwayne The Rock Johnson ou Hulk Hogan qui poursuivent tous deux une carrière à Hollywood) et place aux petits, aux sans-grades, aux obscurs.
Le réalisateur s’attache ici à décrire la survie d’un vétéran qui fut célèbre lors des fameuses années don’t worry be happy (Bobby McFerrin_1988) et qui, par manque de talent, d’opportunité ou d’intelligence, ne sut se reconvertir et continue désormais, avec ses compagnons d’infortune, à se produire pour le bonheur de ses fans sur des rings ressemblant plus à un abattoir qu’à une salle de sport. Certaines scènes de combat, d’une violence inouïe, en disent fort long sur le dolorisme latent de ces modernes gladiateurs qui n’hésitent pas à s’automutiler pour assurer un spectacle digne de ce nom (ainsi, après une joute à l’agrafeuse, le dos de notre héros portera-t-il les mêmes stigmates que le Pale rider d’un certain Clint Eastwood, autre grand masochiste devant l’éternel).
Ironiquement, c’est justement en (affable, voire impayable) boucher que le pathétique héros de The wrestler se déguise, la journée venue, pour subsister, payer le loyer de son misérable mobil home, s’offrir de temps en temps une lap dance et acheter anabolisants, calmants et autres substances parfaitement illicites lui permettant de contrôler un corps devenu récalcitrant avec l’âge.
Et parlons-en de ce corps. Celui de Randy The Ram* Robinson dont le nom ressemble à un pseudo. Ça tombe bien, c’en est un : sa véritable identité est Robin (comme le petit copain de Batman) Razinski et n’a pas l’heur de plaire à son propriétaire. La consonance ne verse certes pas du côté « mâle yankee »… D’ailleurs, dans ce milieu shooté à la testostérone, les catcheurs ressemblent au mieux à Attila (ou, ici, à un Ayatollah combattant sous les couleurs iraniennes… The Ram ne se privera pas de briser l’étendard sous les acclamations chauvines des rednecks pur teint qui composent le public), au pire à Axl Rose. Hommage ? Mickey Rourke lui emprunte sa chevelure peroxydée, ses fringues d’un goût douteux et son arrogance toute rock’n roll. Mais conserve son regard fracassé.
Aussi botoxé qu’une Pamela Anderson, la peau cramée par les UV, le visage détruit par les innombrables chirurgies très inesthétiques subies lors de ces dix dernières années, le corps meurtri par les excès, abîmé par de vilains tatouages (dont un christ implorant qui lui mange le dos) et alourdi par la mauvaise graisse et des muscles hypertrophiés, le Mickey est proprement sidérant. S’offrant sans aucune pudeur à la caméra scrutatrice de Darren Aronofsky, il trouve en The wrestler non pas le rôle de sa vie, mais un personnage, qu’en adepte de la méthode Stanislavski poussée à son paroxysme, il s’emploie à créer depuis près de vingt ans.
Sa présence incandescente transcende le film, réalisé comme un documentaire (plus de belles images léchées, priorité aux plans bruts de décoffrage panachés de mauvais goût) autant sur les à-côtés des petits matchs minables (il faut voir toutes ces grandes brutes comploter leur chorégraphie comme autant de coups de théâtre à offrir à un public qui mérite, pour sa fidélité, d’en avoir pour son argent) que sur le vécu d’un acteur star, éternel phœnix renaissant sans cesse de ses cendres, gâté par trop de succès, de morgue non feinte, de choix de carrière désastreux et d’un talent sans égal pour l’autodestruction.
Darren Aronofsky a l’intelligence dès que débute le film, en un involontaire (?) hommage à la jeune Rosetta des frères Dardenne, de suivre et de faire corps — avec toute la tendresse nécessaire — avec son fameux bélier en perpétuel mouvement et de ne plus le quitter jusqu’à sa fin, en une parodie de crucifixion sur les cordes… d’où il s’envole.
Entretemps, il nous aura fait craindre un grand mélodrame teinté de sentimentalisme à la Rocky, avec rédemption, grande scène de pardon familial et victoire à la clé. Fausse alerte. Il n’y aura pas de seconde chance pour le barbare en chignon, ni avec sa fille (interprétation toute en ferveur de l’exquise Evan Rachel Wood) avec qui il dansera sur les années gâchées, ni avec la femme qu’il courtise, stripteaseuse improbable*** et encore moins avec le petit cœur fragile qui bat sous sa frustre carcasse.
Le discours précédant ce qui sera vraisemblablement son dernier combat, celui pour lequel il abandonne toute idée d’accéder à la « normalité », s’il n’a été écrit par l’acteur lui-même, pourrait avantageusement lui servir de mot de remerciements à la cérémonie des Oscars s’il est distingué par ses pairs cette année.
Chapeau bas l’artiste !
* Le morceau The wrestler, spécialement composé pour le film, figure sur l’album Working on a dream. Bruce Springsteen est également l’auteur, entre autres, des chansons des génériques de Philadelphia de Jonathan Demme_1993, The Crossing guard de Sean Penn_1995 et Dead man walking de Tim Robbins_1995.
** Ce surnom de « Bélier » ne lui vient pas d’une grande endurance sexuelle mais décrit sa prise favorite : l’art de s’envoler comme une ballerine du haut des cordes du ring pour finir par un plaqué au corps de ses malheureux adversaires qui n’en peuvent mais.
*** Et pour cause, elle est jouée par Marisa Tomei, qui après avoir affolé les deux hommes de sa vie dans Before the devil knows you’re dead de Sidney Lumet_2007, continue de révéler la bombe sexuelle qui sommeille en elle. Elle est le très gros cliché du film : mère courage le jour, stripteaseuse la nuit et s’en tire plutôt pas mal (voire même très bien disent les garçons).
The wrestler de Darren Aronofsky_2009
avec Mickey Rourke, Marisa Tomei, Evan Rachel Wood, Ajay Naidu, Mark Margolis, Todd Barry, Ernest Miller (II) et Dylan Summers