Les noces rebelles de Sam Mendes

Leonardo di Caprio & Kate Winslet dans Les noces rebelles de Sam Mendes © Paramount Pictures France

Cauchemar conjugal. C’est plus le souvenir ému d’un Kevin Spacey se paluchant frénétiquement sous sa douche matinale dans l’ambiance délétère de l’american way of life d’American Beauty_2000 qui pousse à aller voir de plus près le dernier opus de Sam Mendes consacré à la biopsie d’un couple dans les années triomphantes de l’après-guerre, qu’une folle envie de retrouver « le » couple d’amants de Titanic_1998* et de découvrir ce qui serait advenu de leurs rêves et de leurs amours si Jack n’avait décidé de couler à pic laissant Rose idéaliser leur vie commune.

On peut aisément comprendre ce qui a attiré Kate Winslet dans cette histoire : l’évidente occasion d’incarner un superbe personnage de femme borderline dans la droite ligne de ses interprétations dans Marrakech Express de Gillies MacKinnon_1999, Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry _2004 ou Little children de Todd Field_2007 et oui, elle y est parfaite en névrosée fantasque.

A la voir, si lisse, si blonde, si frigide, on se dit même qu’elle ne déparerait pas dans un beau rôle de garce de film noir aussi létale que Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort**. Malheureusement, nous sommes ici plongés dans un grand drame psychologique, sans l’ombre d’un crime ou presque.

Quand le film débute, c’en est déjà fini de l’amour entre April/Kate Winslet et Franck/Leonardo di Caprio.

A-t-il du reste jamais existé si ce n’est dans les fantasmes de cette Bovary désormais confrontée au conformisme morbide d’une vie toute tracée : un mariage, des enfants (qui ne seront jamais que quantité négligeable, limite boulet, durant les deux heures que dure la projection), une maison pimpante toute équipée dans une banlieue chic (ironiquement baptisée Revolutionary road), puis la mélancolie, la médiocrité et les misérables coucheries.

Il est à noter que dans le rôle du mari lâche et pathétique (la scène de séduction d’une petite cruche de secrétaire est à cet effet exemplaire), étouffé par les chimères d’une épouse qu’il souhaiterait voir rentrer dans le rang, Leonardo di Caprio, même s’il trimballe toujours son air poupin, a pris de l’épaisseur et ne démérite pas face à une Kate Winslet transfigurée en desperate housewife. Aliénée, mauvaise mère, épouse toujours plus insatisfaite, sans grand talent malgré son ambition démesurée, April s’étiole au fur et à mesure que ses névroses l’envahissent et dépérit au même rythme que le spectateur totalement asphyxié par l’odeur de naphtaline qui s’échappe de ce film d’un autre âge. Il aurait été judicieux que le réalisateur insuffle à son œuvre d’un académisme étouffant un minimum d’humour et de distance.

Et comme si l’on n’avait pas déjà compris qu’il n’y aurait aucune issue positive au conflit cauchemardesque opposant une mythomane castratrice à un pitoyable gamin d’une veulerie à pleurer, Sam Mendes nous afflige encore en nous imposant la présence d’un chœur antique (incarné par Michael Shannon dont le talent mérite mieux que ce rôle navrant d’excité du bocal) venu en renfort nous traduire le sens caché des scènes de ménage interminables et répétitives que nous venons de subir. Le traitement des disputes affichant une fausse théâtralité, la Kate tournant virago et le Leonardo éructant à force moulinets de bras nous laissent à songer que nous assistons aux répétitions d’un juvénile remake de Qui a peur de Virginia Woolf ?**.

Peu à peu, l’ennui le gagnant aussi sûrement qu’une épouse frustrée, le spectateur se prend à espérer qu’April se décoiffe un peu, découpe son mari en petits morceaux et s’enfuit avec ses parties intimes vers Paris après avoir étouffé ses enfants, détruit son charmant mobilier à force tronçonneuse et mis le feu au quartier. Rien de tout cela, bien évidemment.

Sam Mendes, qui n’a jamais passé pour un maître de l’ellipse, n’hésite pas au contraire, très complaisamment, à enfoncer le clou sur les malheurs conjugaux des couples en désamour (la séduction d’un voisin — époux d’une « pondeuse » — s’achève sur un rapide et triste petit coït, un retour de flammes entre les époux condamne l’épouse à la maternité) jusqu’à une fin moralisatrice difficilement acceptable.

Espérons pour l’avenir du couple Mendes qu’il est moins dysfonctionnel que ceux qu’il se complait à épingler ici avec tant de cruauté.

* Partant du principe que le chef d’œuvre romanesque de James Cameron demeure Abyss_1989
** Double indemnity de Billy Wilder_1944**
*** Who’s Afraid of Virginia Woolf? de Mike Nichols_1967

© Paramount Pictures France

Les noces rebelles/Revolutionary Road de Sam Mendes_2009
avec Kate Winslet, Leonardo DiCaprio, Michael Shannon, Kathryn Hahn, David Harbour, Kathy Bates, Richard Easton et Zoe Kazan