Au bout de la nuit de David Ayer

Keanu Reeves & John Corbett dans Au bout de la nuit de David Ayer © 20th Century Fox France

Un pour tous, tous pourris. James Ellroy est dingue. James Ellroy est un obsessionnel. James Ellroy a un compte à régler avec lui-même, avec la vie, avec les flics. James Ellroy devrait songer à se renouveler un peu. Car l’histoire de Au bout de la nuit (Street kings en VO. Un hourra pour le traducteur…) a été mille fois contée, très souvent en mieux et la plupart du temps d’ailleurs grâce à Ellroy lui-même.

Le film débute par un réveil pénible. Un corps encombrant (Keanu Reeves, lesté de kilos superflus censés sans nul doute donner plus d’épaisseur à son rôle de flic alcoolique, cynique et suicidaire… en bref, le cahier des charges habituel) une salle de bains minuscule vomit, crache et rote (un héros recommandable donc, quoiqu’il ait aussi un goût de chiottes en matière vestimentaire)… Ses charmantes ablutions achevées, notre héros donne rendez-vous à des coréens (les nouveaux bad guys en titre à Hollywood), balance quelques blagues racistes sur leurs personnes, leurs ancêtres, leurs descendances, leurs animaux domestiques, etc., se fait tabasser par les susceptibles qui lui piquent sa bagnole bourrée jusqu’à la gueule d’armes de destruction massive, les retrouve, les flingue sans sommation et réarrange la scène de crime tel qu’enseigné dans le manuel du parfait petit ripoux made in LAPD. Pas de doute, nous sommes bien dans un scénario de James Ellroy. Ça commence même à sentir quelque peu le réchauffé (la seule trouvaille du film étant la super planque où le malfaisant a camouflé sa petite fortune bien mal acquise).

Après cette scène d’ouverture quelque peu trépidante (et avec ce choupinet de Keanu jouant les mauvais garçons… on en ricane encore), le reste de la troupe débarque et là, damned and saperlipopette ! N’est-ce pas Amaury Nolasco, un des évadés de Prison break que voilà ? et Jay Mohr d’Action* en policier dandy, huileux et infect ? Tiens, il y a même John Corbett, le dernier flirt de Candice Bradshaw (Sex and the city, saison 6) qui se radine, précédant de peu le Dr House que l’on rencontre inopinément dans un hôpital (clin d’œil trop énorme pour être parfaitement honnête) où l’autre grand dadais est parti se faire soigner sur les instances de son supérieur hiérarchique… incarné par un Forrest Whitaker hilare, air patelin de matou matois à l’œil gauche perpétuellement endormi et d’une inquiétante sveltesse… Ne manquent plus à l’appel que Michael Chicklis et son équipe de dégénérés épinglés au casting de The Shield pour que l’on réclame à cors et à cris un plateau-télé !

Et c’est là que le bât blesse. Car songer à la qualité de l’écriture de la série de Shawn Ryan ne tourne pas en la faveur d’Au bout de la nuit. Ici, tout est convenu, l’histoire, les personnages, et les supposés coups de théâtre. Le spectateur a depuis longtemps reniflé les remugles putrides de l’arnaque interne tandis que cette nouille de Keanu (air perpétuellement éberlué de rigueur) passe les 2/3 du film à ne comprendre que pouic au fumeux coup (mal) monté de collègues mal intentionnés.

Narrant mollement une énième guerre des polices, la sauce scénaristique parfaitement indigeste bénéficie pour le coup d’une interprétation ad hoc. Keanu Reeves, Robocop empâté, ne possède malheureusement ni la détermination un peu basse du front de Russell Crowe dans LA Confidential, ni le charme brutal de Kurt Russell, héros retors de Dark Blue (co-scénarisé par David Ayer), mais il est bon de saluer les efforts infructueux qu’il fournit en essayant de nous faire croire à son personnage.

Si les séries télévisées à succès s’offrent des guests stars de luxe (avant de bénéficier du jeu subtil et précieux de Forrest Whitaker dans les saisons 5 et 6, les auteurs de The Shield avaient profité du talent de l’impeccable Glenn Close), le passage du petit au grand écran est franchement moins probant pour les canailles citées plus haut, la palme du j’m’en foutisme revenant à Hugh Laurie, particulièrement éteint en boeuf-carottes, qui reproduit à l’identique la partition qui l’a rendu célèbre.

Mais le plus troublant réside dans la présence au générique de Forrest Whitaker, justement, dont on se demande ce qu’il est bien venu faire dans cette galère. Effet secondaire du régime WeightWatchers ? La grâce pachydermique qui l’animait dans Ghost Dog semble l’avoir abandonné. Il compense ses kilos perdus par une excitation perpétuelle. Son duel final (œil mouillé, regard fou, sourire gamin et naïveté désarmante) face à un Keanu Reeves monolithique est un modèle de cabotinage éhonté. La faute à un scénario anémié et des partenaires falots. Bien involontairement, on finit par en rire… événement qui jamais n’arrive à la lecture d’un roman de James Ellroy.

* excellente série de Chris Thompson, iconoclaste et mal élevée, où Jay Mohr excellait en producteur cynique, décalque plus ou moins avoué de Joël Silver. Il y côtoyait déjà Keanu Reeves — dans son propre rôle — à l’occasion d’une scène mémorable où son assistante, interprétée par l’épatante Illeana Douglas, se permettait des privautés sur une partie sensible de l’anatomie de la star…

© Twentieth Century Fox France

Au bout de la nuit/Street kings de David Ayer_2008
avec Keanu Reeves, Forest Whitaker, Hugh Laurie, Jay Mohr, Amaury Nolasco, Chris Evans, The Game, John Corbett et Cedric the Entertainer