Johnny 3.16 de Erick Ifergan

Vincent Gallo dans Johnny 3.16 de Erick Ifergan © KMBO

Crise de foi. Sur Hollywood Boulevard, là où se côtoient le sacré et le profane, ne brillent que les étoiles inlassablement astiquées par un mutilé de guerre. Cet étrange monde s’étiole à l’ombre de la réussite insolente des stars de cinéma et il n’en est pas un qui n’y rêve encore à un avenir pimpant ou qui n’y joue pas, pour la gloire ou son propre salut, le rôle qu’il s’est patiemment forgé.

Le gérant d’une supérette (Seymour Cassel, impayable) apprécie qu’on le bénisse tout en admettant se foutre de la religion comme de l’an 40, la femme de ménage transsexuelle d’un hôtel de passe fantasme sur la vie des résidents, les putes tapinent, les retraités tchatchent et font la manche, les émigrés migrent… Tandis que Sally (Nina Brosch dont le délicieux minois prend admirablement la lumière), shampouineuse nantie d’une mère impotente (Hello Louise Fletcher !) qui la sadise, entre en transe en plein taf à la vision d’un téléfilm narrant la passion dévastatrice qui lia à jamais les destinés de Salomé et Jean le Baptiste.

Et ce sont bien tous ces laissés-pour-compte du Grand Rêve Américain qui s’agitent au rythme éraillé d’un Tom Waits imbibé que le héros de Johnny 3.16, un prêcheur vêtu d’un costume blanc déniché dans un surplus pour Bee Gees — et sur-interprété par un Vincent Gallo délirant alors au début de sa carrière — entend ramener dans le droit chemin de l’amour divin.

Notre prédicateur, tout à sa litanie, en néglige son catéchèse et la plus élémentaire des prudences quant à l’effet de ses ardentes paroles sur de plus simples esprits que le sien. Car il nous faut toujours nous méfier de nos désirs, aussi altruistes soient-ils, et nous interroger en quel subtil enfer peut aboutir la réalisation de nos souhaits. Sans oublier que certains plongent en religion comme d’autres dans le vide.

Car voici que Sally, psalmodiant les paroles d’amour fou et de haine entremêlés de la tentatrice qui laissa notre Baptiste de marbre, est victime d’une crise de foi carabinée et s’enflamme. Elle sera Salomé ou ne sera pas. Comme possédée par les mânes de la pécheresse, l’impudente se lance à l’assaut de notre fiévreux du samedi soir qui n’en demandait pas tant, lui offrant jusqu’à son âme, prête à lui baigner les pieds, voire beaucoup plus puisqu’exceptionnelles affinités.

Dès lors qu’il lui brame « Jesus loves you », notre gourgandine totalement à l’ouest lui rétorque « I love you too ». Mine égarée (Gallo y excelle) de notre ancien pêcheur qui se mue illico en bel indifférent. Entrainant bien malgré lui la Jezabel dans son sillage, les hallucinations dont il est alors victime laisse à penser que le passé de notre bonhomme est bien moins immaculé que son costard. Pourtant, il résiste corps et biens et renvoie notre délinquante à son égout, se faire castagner par des péripatéticiennes agacées de la concurrence déloyale (il est bon de noter que comme ces dames, notre sermonneur virera manu militari la donzelle de son bout de trottoir territoire) et abimer par le mac de service, roi Hérode des peepshows, qui n’envisage que de la salir.

A idolâtrie chimérique, remède de cheval. Brûlant de ferveur divine et égoïstement cloitré dans sa chaste armure, notre cœur pur de Johnny en a oublié la plus élémentaire des vérités : toujours se méfier d’une femme dépitée.

Si l’ensemble du film peut parfois sembler trop esthétisant [ce n’est pas parce qu’Erik Ifergan, le réalisateur, s’intéresse à la part sombre d’Hollywood que la photo de son film ne se doit pas d’être superbe ; il en a d’ailleurs profité pour se faire épauler par Darius Khondji], voire poseur, l’humour sous-jacent qui parcoure chaque scène désamorce toute prétention auteuriste.

Il est peu de dire que l’on rit beaucoup devant Johnny 3.16 bien que le sujet — un fait divers sordide — ne s’y prête guère. Et ce, notamment grâce à l’air (é)perdu de ce diable de Vincent Gallo qui plane — et ce n’est pas une litote — à la recherche de son auréole perdue. Erick Ifergan n’est pas avare de compliments vis-à-vis de son principal interprète qui s’est entièrement investi dans son rôle… Et ce n’est guère étonnant, tant sa beauté lunatique est magnifiée par la mise en scène. Il faut le voir pour le croire, mais le réalisateur se permet de lui filmer l’entrejambe comme si le ciel lui-même s’y trouvait et pendant que Sally/Salomé rampe et s’humilie devant ce corps/offrande qui se dérobe obstinément à ses caresses, Johnny/Gallo, lui, prend la pose et exulte.

Quant à Nina Brosch, petit bourgeon vénéneux, elle trimballe la grâce folle d’une étoile filante définitivement cramée au seuil de la renommée.

Pour la petite histoire, Johnny 3.16 a été réalisé en 1998, l’année où Vincent Gallo est passé à la réalisation avec Buffalo 66’. Nonobstant, ayant connu une postproduction des plus chaotiques, il n’a enfin été distribué qu’en 2006 — sous le titre bien moins intriguant d’Hollywood Salome — et est demeuré inédit en nos contrées. Il serait dommage de passer à côté de ce premier long métrage qui a le charme un peu vain certes, mais foncièrement dingo des films maudits.

* cf. l’Évangile selon Jean, chapitre 3, verset 16 « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».

A noter : Sur le DVD édité par KMBO, vous pourrez découvrir entre autres galeries de photos, une interview d’Erick Ifergan, réalisateur/photographe, et un hilarant court-métrage — Divine présence — sur les troubles de la lévitation en milieu religieux.

Johnny 3.16/Hollywood Salome de Erick Ifergan_1998
avec Vincent Gallo, Nina Brosch, Seymour Cassel, Eyal Doron, Melissa van der Schyff et Louise Fletcher