Ballade de l’intranquillité. Tu crois vraiment tout ce que l’on te dit ? demande doucement Avé à l’empoté qui craint de la blesser. Non.
L’idée qu’elle lui avait une nouvelle fois raconté des craques n’a pas effleuré ne serait-ce qu’une seconde l’esprit de Kamen. Pourtant, depuis que l’adolescente en fuite lui a imposé sa fantasque compagnie alors qu’il tentait d’aller en stop à l’enterrement de son meilleur ami, elle n’a cessé d’affabuler.
Avé s’invente d’autres vies que la sienne et ment comme elle respire, sans état d’âme. Sur le pourquoi de sa présence sur la même route que lui, aux conducteurs qui acceptent de les prendre à bord — et les en éjectent illico dès qu’ils sont mis au fait de sa galopante mythomanie par les démentis consternés de Kamen — mais aussi, dans une moindre mesure, à elle-même.
Kamen, lui, est un adepte de l’honnêteté et de la droiture à tout prix, dut-elle blesser ou lui nuire. Il se moque bien de ne pas avoir à s’efforcer de composer avec les autres, tandis qu’Avé s’y emploierait presque avec enthousiasme. Outre qu’elle a bien plus de conversation que Kamen, dont l’exceptionnelle réserve confine à l’autisme, son imagination fertile l’autorise à s’offrir au pied levé une personnalité qui empathise aisément, que ce soit dans la nécessité ou le partage. Voire, la provocation. Ainsi, les premiers échanges avec un chauffeur routier sont symptomatiques de la marotte d’Avé de se mettre incessamment en danger, sans que l’on puisse deviner s’il s’agit là d’un innocent divertissement ou d’une manière originale de s’affirmer vivante.
Leur aventure culmine lors d’un très long repas d’une tristesse à mourir — entre mélancolie, vertige et folie douce —, durant lequel va se révéler Avé, intronisée par erreur bien-aimée du fils suicidé par des parents éplorés. Kamen, foudroyé par cette nouvelle mystification et l’insolent aplomb de la gamine, boit comme un trou et laisse ainsi planer le doute sur un éventuel aveu explosif. Avé, quant à elle, se glisse dignement dans son nouveau rôle puis met au défi le garçon d’aller troubler la sérénité de la famille endeuillée — forcément touchée de sa présence en des temps si cruels — en leur révélant la supercherie.
Le premier film de Konstantin Bojanov risquerait de n’être qu’un road movie de plus — avec en toile de fond les paysages désertiques (et magnifiquement filmés) de la Bulgarie et son compte de scènes glauques ou répétitives — mettant en scène un juvénile duo que tout oppose, si nos écorchés vifs ne partageaient une blessure secrète, doublée d’une incapacité notoire à affronter la réalité.
Malgré leurs différences qu’ils croient irréconciliables, nos jeunes gens vont subrepticement se rapprocher. Quand Avé finira par entrouvrir à Kamen son jardin secret en lui confiant le vrai motif de sa fugue, ce sera pour mieux l’abandonner. Du moins aura-t-il entre temps (un peu) grandi.
Le couple d’acteurs, Anjela Nedialkova et Ovanes Torosian, ajoute au charme de cette ballade funèbre mais sans affèterie, où le chagrin qui affleure, et pourrait alourdir, est vite évacué par une énergie vorace.
Et nous, spectateurs, sommes désormais prêts à suivre Konstantin Bojanov sur d’autres routes.
Avé de Konstantin Bojano_2011
avec AnjelaNedyalkova, OvanesTorosyan, Martin Brambach, SvetlanaYancheva et NikolayUrumov