Celle qui murmurait à l’écorce des arbres. Les voies du seigneur sont décidément impénétrables. C’est sans doute ce que se dit la mère supérieure (interprétée par Françoise Lebrun, bien loin de La maman et la putain de Jean Eustache_1973) à la vision des toiles exaltées aux formes étranges et aux couleurs chatoyantes que lui présente Séraphine, paysanne touchée par la grâce, alors en plein délire créatif. Mais nous sommes déjà quasiment à la fin de l’histoire. Reprenons depuis le début.
Séraphine, donc, trime comme bonniche pour toute la bonne société de Senlis au début du XXe siècle. Ame simple, sans grande éducation, elle n’aime rien tant, après une dure journée de labeur, se frotter aux arbres, se baigner nue dans les cours d’eau, ou s’activer frénétiquement à quelques obscurs rituels : subtiliser du sang d’animal à la boucherie où elle travaille, chaparder de la bougie dans les églises, arracher quelques plantes ou ramasser un peu de boue…
C’est que Séraphine a un secret. Lorsque Senlis s’endort — tout en chantant des cantiques (tête des propriétaires de la chambrette qu’elle occupe !) — elle prépare des couleurs et peint, sur des petits morceaux de bois récupérés, les mystérieuses créations divines qu’elle a tout loisir de contempler lorsqu’elle vaque quotidiennement à ses multiples occupations.
Les étranges fleurs du mal et les fruits mûrs que brosse fiévreusement la brave Séraphine, moqués par les esprits étriqués et paternalistes du coin, vont faire le bonheur de Wilhem Uhde, collectionneur allemand (incarné ici par le délicieux Ulrich Tukur, tout en raideur germanique, découvert en 2002 dans Amen de Costa-Gavras), amoureux des primitifs et découvreur du Douanier Rousseau. Et Wilhem d’encourager son talent, et Séraphine de croire définitivement à un destin d’exception.
Ses toiles se feront de plus en plus exubérantes, habitées par la nécessité, les secrets, les amours contrariés, la douleur et la passion quasi charnelle que l’autodidacte entretient avec son art, et qui la mènera à sa perte lorsqu’elle attendra — en vain — une consécration qui ne viendra pas du temps de sa raison.
Martin Provost signe ici un film très contemplatif, sans misérabilisme aucun. Tous les protagonistes, jusqu’au moins avenant des notables, sont représentés avec tendresse. Mais cette destinée hors norme, contée avec une grande pudeur, ne serait qu’un biopic respectueux de plus si le réalisateur ne s’était offert une actrice d’exception, Yolande Moreau.
Disparues la compagne clownesque des Deschiens ou l’excentrique Irène de Quand la mer monte… Ne subsiste plus que Séraphine, à qui elle offre son corps lourd et un regard chavirant qui vous transperce de son évidence. Les scènes qu’elle partage avec Ulrich Tukur sont des petits sommets d’humour et d’affection mutuelle. Et lorsqu’elle est seule à habiter l’écran, elle l’envahit et nous emporte aisément dans un monde luxurieux peuplé d’arbres gigantesques à la sève généreuse.
Nonobstant, il sera bon d’aller respirer les étranges visions de la vraie Séraphine de Senlis qu’expose actuellement le Musée Maillol, et ce, jusqu’en janvier 2009.
Séraphine de Martin Provost_2008
avec Yolande Moreau, Ulrich Tukur, Anne Bennent, Geneviève Mnich, Nico Rogner et Francoise Lebrun